La fiscalité, ça fait peur et c’est compliqué, pour le commun des mortels. Pourtant, dans une démocratie semi-directe comme la nôtre, la population est régulièrement appelée à se prononcer sur cette thématique.
La prochaine votation importante à ce sujet aura lieu ce dimanche 18 juin: les Suisses devront dire «oui» ou «non» à l’application de la réforme de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20 sur l’imposition des grands groupes d’entreprises.
Un sujet qui dépasse largement la Suisse (voir encadré ci-dessous), puisque 140 pays à travers le monde se sont mis d’accord pour imposer les multinationales à un taux minimal d’au moins 15%. Pour notre petit pays, il s’agira donc simplement de mettre en œuvre — ou pas — cette nouvelle mesure. Cette hausse concernera pas moins de 1000 grandes entreprises en Suisse.
Une augmentation des recettes fiscales bienvenue et inoffensive? Blick a voulu faire le point avec un gros poisson de l’entrepreneuriat: Pierre de Pena, patron de Caterpillar et vice-président du Groupement des entreprises multinationales (GEM). Il nous dévoile ce que veulent vraiment ces énormes groupes. Et nous explique pourquoi, en réalité, ils ne risquent pas de quitter le pays de sitôt. Interview.
Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que le groupe des 20 principaux pays industrialisés et émergents (G20), on n’impose pas assez les grands groupes d’entreprises actifs internationalement, alors que ces derniers sont de plus en plus mondialisés.
Pour plus d’équilibre et d’égalité entre les nations de par le monde, 140 États environ, dont la Suisse, se sont engagés à prélever désormais au moins 15% d’impôts sur le bénéfice des multinationales.
Aujourd’hui, en Suisse, où ces dernières seraient au moins au nombre de 1000, ce taux n’est pas atteint. Le Conseil fédéral souhaite que ça change. Ainsi, il appelle la population à voter «oui» à la mise en œuvre de la réforme par l’OCDE le 18 juin. «Si la Suisse ne l’introduit pas, d’autres États pourront percevoir la différence entre le taux d’imposition effectif et le taux minimal de 15%», peut-on lire sur le site de la Confédération.
En cas de «oui», ces nouvelles recettes rapporteront à la Suisse entre 1 et 2,5 milliards de francs. Dont 75% reviendront aux Cantons, et 25% à la Confédération. Grâce à la péréquation financière, tous les Cantons pourront profiter de ces recettes — même ceux qui n’hébergent pas de grandes entreprises sur leur sol.
La mise en œuvre du projet nécessite une modification de la Constitution helvétique.
Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que le groupe des 20 principaux pays industrialisés et émergents (G20), on n’impose pas assez les grands groupes d’entreprises actifs internationalement, alors que ces derniers sont de plus en plus mondialisés.
Pour plus d’équilibre et d’égalité entre les nations de par le monde, 140 États environ, dont la Suisse, se sont engagés à prélever désormais au moins 15% d’impôts sur le bénéfice des multinationales.
Aujourd’hui, en Suisse, où ces dernières seraient au moins au nombre de 1000, ce taux n’est pas atteint. Le Conseil fédéral souhaite que ça change. Ainsi, il appelle la population à voter «oui» à la mise en œuvre de la réforme par l’OCDE le 18 juin. «Si la Suisse ne l’introduit pas, d’autres États pourront percevoir la différence entre le taux d’imposition effectif et le taux minimal de 15%», peut-on lire sur le site de la Confédération.
En cas de «oui», ces nouvelles recettes rapporteront à la Suisse entre 1 et 2,5 milliards de francs. Dont 75% reviendront aux Cantons, et 25% à la Confédération. Grâce à la péréquation financière, tous les Cantons pourront profiter de ces recettes — même ceux qui n’hébergent pas de grandes entreprises sur leur sol.
La mise en œuvre du projet nécessite une modification de la Constitution helvétique.
Pierre de Pena, en tant que vice-président du GEM, et en tant que grand patron, vous n'êtes certainement pas un fan des impôts, de manière générale. Est-ce qu'un monde où les entreprises ne paient pas d’impôts serait possible — et souhaitable?
Non et non. Je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner. Car les entreprises, ce sont avant tout des employés et des infrastructures. Nous avons tous besoin d’une éducation publique de qualité, de sécurité, de stabilité. Et ces choses-là sont des prestations de l’État — financées par les impôts. Cela dit, il faut trouver le bon équilibre entre des entrées fiscales qui permettent de garantir ces prestations, et l’attractivité économique.
La fiscalité occupe une grande place dans l'actualité, ces derniers mois. Pourtant, beaucoup de gens «ordinaires» n'y comprennent pas grand-chose. Pourquoi ce sujet fait-il si peur, selon vous?
Parce que c’est compliqué. À commencer par l’échelle nationale: faire sa déclaration d’impôts, déjà, qu’on soit un individu ou une entreprise, c’est compliqué. Et c’est encore plus compliqué dans un contexte international, pour les sociétés qui ont des implantations dans plusieurs pays, par exemple. Le fonctionnement de la fiscalité, et surtout de la fiscalité internationale, est très complexe. Mais il faut absolument prendre le temps de l’expliquer.
Est-ce qu’on ne l’explique pas assez bien, aujourd’hui?
On ne prend peut-être pas assez le temps de le faire, et c’est un sujet difficile. La fiscalité internationale est faite de concepts très abstraits. Mais, ce qu'il faut surtout comprendre, c’est que les États de par le monde ont une volonté d’avoir des règles internationales communes — et donc plus faciles à appréhender. Notamment via les actuelles réformes de l’OCDE dont nous allons parler.
Mais le manque d'engouement général pour ce sujet arrange bien les multinationales, non?
Pas vraiment, en réalité. Dans les pays démocratiques comme la Suisse, les sujets liés à la fiscalité font l’objet de votations populaires. Dans ce contexte, pour avoir des débats publics sereins, il faut que les choses soient claires pour tout le monde. S'ils ne comprennent pas ou pas bien, les gens tendent à prendre des positions plutôt épidermiques, émotionnelles.
La Suisse était encore qualifiée de «paradis fiscal» il y a quelques années. Mais les choses changent, on dirait. On crie à la «perte de l'attractivité» un peu partout. Est-ce qu'une page de l'histoire helvétique est définitivement en train de se tourner? Pour le meilleur, ou pour le pire?
Oui, il est vrai que la Suisse a changé. Mais plutôt pour le meilleur que pour le pire. La Suisse est un petit pays, avec un petit marché intérieur. Donc c’est un pays qui a construit sa richesse surtout sur l’exportation et le commerce… Et, pour pouvoir commercer à l’international, il faut un environnement juridique stable. Être mis au ban par les autres nations parce qu’on est trop «habiles» fiscalement, ce n’est pas quelque chose de souhaitable pour notre avenir. La Suisse a donc manifesté une volonté de se conformer aux normes internationales, depuis plusieurs années. Nous l’avons vu via les nouvelles règles de jeu pour les banques, ou encore à travers la réforme de la fiscalité des entreprises, approuvée par le peuple en 2019. Désormais, la prochaine étape est la réforme de l’OCDE.
La fiscalité, on en a surtout parlé en amont de la votation fédérale du 18 juin sur le projet de l’imposition des grands groupes d’entreprises, décidée par l'OCDE. Le Conseil fédéral recommande de voter oui. Qu'est-ce qui va changer, si ça passe, comme ce sera probablement le cas?
Il faudra simplement faire davantage attention à maintenir notre compétitivité. En soi, cette votation vise simplement à la mise en œuvre des nouvelles règles internationales en Suisse. Ces règles internationales ont été établies par un consensus de près de 140 pays, qui représentent près de 90% du PIB mondial. Tout le monde va les adopter — cela signifie qu’il y aura un nouveau nivellement international en matière de fiscalité. Et je ne pense pas que la Suisse aura de la peine à rester compétitive, même avec un taux d’imposition de 15%.
Donc l’adoption de cette réforme ne risque pas de faire partir les grandes entreprises de Suisse?
Non. Car les multinationales vont continuer à bénéficier des atouts de la Suisse: la main d’œuvre qualifiée, la stabilité juridique… Et cette stabilité juridique dépend aussi d’un «oui» du peuple ce dimanche pour la votation sur l’OCDE. Même si cela peut vous paraître bizarre qu’un groupement de multinationales défende une hausse d’impôts. Mais, si le peuple n’approuve pas cette réforme, la différence entre les 15% d’imposition qu’a instauré l’OCDE et les taux qui sont actuellement prélevés en Suisse — souvent plus bas — ira à des États tiers. Plus précisément: soit au pays de la société mère (ndlr: si elle n’est pas en Suisse), soit aux pays qui ont des transactions avec l’entreprise (ndlr: c’est-à-dire où l’entreprise a des filiales). Ce serait d’une complexité colossale.
La Suisse est-elle un peu naïve de se plier ainsi aux ordres de l’OCDE, alors que des paradis fiscaux subsistent de par le monde (par exemple les îles Fidji, les Bahamas, Panama ou encore le Delaware aux États-Unis…)?
Non. La Suisse est très intégrée dans le commerce international, contrairement à beaucoup de paradis fiscaux. Nous devons nous aligner sur les règles internationales et en tirer le meilleur.
Revenons à une échelle plus locale: Genève a récemment décidé de supprimer la taxe professionnelle communale (TPC), pour parer à l'impact de la votation fédérale du 18 juin, justement. Certains dénoncent un énième cadeau fait aux grandes entreprises. Que répondez-vous à ce genre de critiques?
La TPC est un vieil impôt napoléonien. C’est un peu une genevoiserie. Et ça touche tous les acteurs économiques: des indépendants aux multinationales, en passant par les petites sociétés. Cet impôt est calculé sur le chiffre d'affaires, et il revient aux communes. L’idée de cette réforme, en réalité, c’est de remplacer la TPC par une augmentation de l’impôt sur le bénéfice. Ce changement de calcul est une bonne chose pour les indépendants, par exemple, car beaucoup risquent d’être exonérés. Et des négociations ont déjà eu lieu entre le Canton et les communes pour maintenir le revenu de ces dernières malgré cette suppression de la TPC.
Si la suppression de la TPC devait finalement ne pas advenir, ou qu’une autre loi sur davantage d’impôts pour les multinationales entrait en vigueur, vous déménageriez à Zoug, par exemple, ou même à l’étranger?
Zoug est une ville magnifique, mais non. Clairement pas.
Pourquoi?
Car je ne pense pas que Genève aie perdu en attractivité. Et je pense que, si les multinationales se sont prises d’affection pour la Suisse en premier lieu, c’est surtout pour les gens, en réalité. Nous avons une main d’œuvre très qualifiée, sortie de grandes écoles reconnues à l’international, et qui vit dans un climat social paisible, qui plus est. Et puis il y a la main d’œuvre étrangère, qu’il est facile de recruter, grâce à la position géographique de notre pays. La Suisse, c’est des gens intelligents qui se mettent ensemble pour créer de la haute valeur ajoutée. Notre force, c’est l’innovation et la qualité. Avec des exemples comme notre industrie horlogère.
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Le 18 juin également, les Genevoises et Genevois devront se prononcer sur l’initiative de la gauche «Pour une contribution temporaire de solidarité des grandes fortunes». J’imagine que vous appelez plutôt les gens à voter contre. Pourquoi?
En tant que membre du GEM, je ne peux pas aborder cette question. Notre groupe n’entre pas dans le débat de la fiscalité des personnes physiques. Ce que je peux dire, c’est que, de façon générale, nous avons intérêt à ce que nos employés bénéficient d’une imposition compétitive. Mais ce n’est pas au GEM de porter ce débat.
Est-ce que la gauche ne comprend vraiment rien à la fiscalité?
Non, je ne pense pas qu’on puisse dire cela. Je dirais plutôt que nous avons des objectifs communs, mais des perspectives différentes. Je pense que tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut des rentrées fiscales. C’est plutôt sur la question de savoir comment préserver ces rentrées fiscales que les points de vue divergent. La gauche se focalise sur l’augmentation des taux, au risque de faire fuir la masse imposable. Alors que la droite est plutôt dans la logique de préserver ou augmenter la masse imposable, via des taux d’imposition compétitifs.
Finalement, si on dézoome un peu, même en termes d’«attractivité» fiscale, les choses ne vont pas si mal en Suisse, comparé à nos voisins, non?
Tout à fait. Mais il faut rester attentifs, et suivre les grandes tendances internationales. Nous ne sommes pas une île.