L’affaire dépasse l’entendement. Nous sommes le 2 novembre, lorsque la joueuse de tennis Peng Shuai se confie. Sur Weibo, le Twitter chinois, elle décrit comment elle aurait été forcée à avoir des relations sexuelles par l’ancien vice-Premier ministre du gouvernement Zhang Gaoli.
Le post est resté en ligne à peine 20 minutes. Il a ensuite disparu, tout comme Peng Shuai. L’inquiétude grandit dans le monde entier pour la joueuse de 35 ans. Comment se porte-t-elle? Que lui est-il arrivé? Comment un être humain peut-il tout simplement disparaître? «Ce n’est pas inhabituel en Chine», explique l’expert du pays Ralph Weber, professeur à l’Institut européen de l’université de Bâle. «C’est l’un des outils dont dispose le parti-État. On peut faire disparaître les gens légalement.»
«Le gouvernement montre à la population où sont les limites»
C’est ce qui arrive à ceux qui critiquent le système ou aux avocats des droits de l’homme. Et également à Peng Shuai. «Un chef de parti accusé de viol, c’est brûlant sur le plan de la politique intérieure, explique Ralph Weber. Le parti se considère aussi comme un modèle moral, il ne peut pas laisser faire ça.»
Il part du principe que la tenniswoman est sous «surveillance dans un lieu prévu à cet effet». Une sorte d’emprisonnement sans accès à un avocat et sans que les proches soient informés du lieu où elle se trouve. «Ces gens sont brisés à l’intérieur. La plupart du temps, il s’agit de quelqu’un qui s’est opposé au système et qui admet qu’il avait tort. Souvent par une déclaration télévisée par laquelle le gouvernement montre à la population où sont les limites.»
Ralph Weber pense guère que Peng Shuai sera torturée, même si cela est difficile à estimer: «En tant que sportive de premier plan, elle est certainement un cas plutôt inhabituel. Il se peut très bien qu’elle réapparaisse soudainement, annonce sa retraite et fasse autre chose.» Un peu comme ce fut le cas pour le milliardaire du site Alibaba, Jack Ma après sa disparition de trois mois.
Le patron de la WTA n’est pas dupe
Une déclaration publiée en son nom par la télévision d’État chinoise cette semaine, affirmant que ses accusations n’étaient «pas vraies», qu’elle se reposait chez elle «et que tout allait bien», semble manifestement fausse.
Depuis, toutes les tentatives de contact de la WTA avec Peng Shuai ont échoué. Le CEO de l’Association, Steve Simon, menace de retirer des tournois à la Chine. Ce n’est pas sans conséquence: la WTA risque de perdre des centaines de millions de dollars. «Nous sommes définitivement prêts à le faire et nous réglerions toutes les complications que cela impliquerait», a déclaré Steve Simon à «CNN».
Williams et Djokovic se défendent
La WTA ose et semble toucher une corde sensible, y compris chez de nombreuses stars du tennis: de Serena Williams à Novak Djokovic, Stan Wawrinka et Andy Murray, en passant par les légendes Martina Navratilova et Chris Evert, beaucoup se sont solidarisés avec Peng Shuai. Roger Federer est resté muet jusqu’à présent.
Et les Chinois? Ils ne semblent pas se laisser décourager. «On s’accommode des dommages causés à la politique étrangère. Avant les Jeux olympiques de février à Pékin, c’est en fait un désastre», souligne Ralph Weber. L’hiver risque pourtant d’être long pour Peng Shuai et tous ceux qui tremblent avec elle.