La légende du ski Sonja Nef
«Mon père était comme enterré vivant»

Ce mardi, Sonja Nef fête ses 50 ans. À Blick, elle raconte pourquoi, enfant, elle aimait transgresser les interdits. Pourquoi elle a été émue aux larmes lors de son mariage. Et pourquoi, aujourd'hui encore, elle a du mal à croire que Corinne Rey-Bellet est décédée.
Publié: 18.04.2022 à 11:22 heures
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Dernière mise à jour: 18.04.2022 à 11:24 heures
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Sonja Nef revient sur les moments forts et les échecs de sa vie dans une interview accordée à Blick.
Photo: BENJAMIN SOLAND
Daniel Leu

Sonja Nef, on dit que vous étiez une vraie «Lusmaitli» – une polissonne en français – appenzelloise quand vous étiez enfant. Que faisiez-vous pour mériter ce surnom?
Beaucoup de choses (rires). Il nous arrivait par exemple de crever des pneus de vélo avec des ciseaux. Ce n’était pas méchant, nous n’étions simplement pas conscientes des conséquences à l’époque.

Vous êtes-vous faite prendre à ce petit jeu?
Oui. Et en guise de punition, nous avons dû recopier le règlement de l’école. Nous cherchions aussi des mégots dans l’herbe et nous finissions de les fumer. J’avais peut-être 9-10 ans. À l’époque, je trouvais tout ce qui était interdit passionnant – j’étais une enfant sauvage et rustre. Et clairement pas une fille typique.

Vos parents ont-ils toujours été compréhensifs à l'égard de vos actions? On m’a donné extrêmement d’amour et j’ai eu une enfance merveilleuse, même si je n’ai pas toujours été la plus facile.

Quelle était la situation financière de la famille Nef?
Mon père Willi était chauffeur de camion et ma mère Frieda cousait à la maison des draps en tissu. Ils devaient faire attention à l’argent et il n’était donc pas question de passer des vacances d’été coûteuses. Mais cela ne nous a jamais dérangés. Une fois, nous sommes allés en vacances au lac de Constance, dans un bateau pneumatique. C’était merveilleux. D’autres fois, j’avais le droit de faire un tour avec mon père, dans son camion.

Comment c’était?
Génial, je l’accompagnais de temps en temps pendant mes vacances à Genève. Il y avait toujours de l’escalope avec des frites – et ce deux fois par jour! On dormait dans son camion. C’était une véritable aventure.

Sonja Nef a remporté deux globes du géant, en 2001 et 2002.
Photo: Benjamin Soland

Jetons un regard en arrière sur votre carrière de skieur. Comment tout cela a-t-il commencé?
Comme mon père était passionné de ski, j’étais déjà sur les lattes à l’âge de trois ans. Avec des couches-culottes, car je ne voulais pas aller aux toilettes, pour ne pas perdre de temps.

On raconte que vous avez voulu boycotter une remise de prix lorsque vous étiez enfant, est-ce vrai?
Oui, c’était lors de la Salami-Cup à Elm (GL). J’avais environ sept ans. Je n’ai terminé que deuxième et j’étais vraiment en colère. Le plus drôle, c’est que peu de temps après, il s’est avéré qu’il y avait eu une erreur de chronométrage et que j’avais quand même gagné la course.

En 1989, vous avez fait une lourde chute lors des championnats d’Autriche juniors et vous vous êtes déchiré le ligament croisé du genou droit. C’était le début d’une longue période de souffrance.
En raison de complications, ce genou a dû être opéré cinq fois au total. Entre 17 et 20 ans, je n’ai participé à aucune course et j’ai été exclue du cadre de Swiss-Ski en 1992. Pendant des années, j’ai quotidiennement appliqué du Voltaren pour soulager les douleurs et freiner les inflammations.

Vous avez malgré tout continué à vous battre et vous avez fêté vos débuts en Coupe du monde en mars 1993 à Vemdalen, en Suède. Vous souvenez-vous du voyage?
Bien sûr. Alors que les coureuses confirmées pouvaient prendre l’avion, j’ai dû prendre le bateau pour me rendre en Suède. J’ai dû passer deux jours entiers sur la route. A l’époque, il fallait se battre beaucoup plus qu’aujourd’hui pour obtenir une place en Coupe du monde. Il fallait déjà monter sur le podium de la Coupe d’Europe pour avoir une chance. Et ensuite, on avait une seule possibilité pour se classer parmi les 30 premières. Sinon, on était tout de suite mise de côté.

Vous avez saisi votre chance et vous êtes classée 22e.
Et ce avec le dossard 54. Cette satisfaction est inimaginable, car auparavant, de nombreux médecins m’avaient dit que je ne pouvais plus skier avec ce genou. Et même à Swiss-Ski, personne ne croyait plus en moi.

La chance n’a pas duré longtemps, car votre genou a dû être opéré deux fois. Vous aviez alors la vingtaine et n’aviez ni argent ni formation.
J’étais souvent très triste à l’époque. Avant de m’endormir, mes pensées tournaient toujours en rond. Je parlais aussi à mon genou à cette époque. Je lui ai demandé pourquoi il me laissait tomber. Pourquoi il me faisait mal après chaque sortie à vélo. Pourquoi je devais toujours quitter les pistes plus tôt, alors que les autres pouvaient encore s’entraîner.

Combien de fois avez-vous pensé à tout arrêter durant cette période?
Plus d’une fois. Mais j’ai toujours senti que si mon genou me suivait à nouveau un jour, je pourrais y arriver. À l’époque, j’ai aussi dévoré de nombreux livres qui expliquaient que les pensées peuvent déplacer des montagnes. C’est à chacun de voir si, pour lui, le verre est à moitié plein ou à moitié vide. Pour moi, il a toujours été à moitié plein.

Sonja Nef en quelques mots

L'or en géant aux Championnats du monde 2001, le bronze dans la même discipline aux Jeux olympiques de 2002, deux globes de cristal et quinze victoires en Coupe du monde: tel est le palmarès de l'Appenzelloise. En 2006, elle a pris sa retraite.

En 2011, elle a épousé l'Autrichien Hans Flatscher, qui travaille aujourd'hui comme responsable de la relève chez Swiss-Ski. Le couple a trois enfants: Sophia (15 ans), Anna (13 ans) et Julian (8 ans). Tous trois sont des skieurs passionnés.

L'or en géant aux Championnats du monde 2001, le bronze dans la même discipline aux Jeux olympiques de 2002, deux globes de cristal et quinze victoires en Coupe du monde: tel est le palmarès de l'Appenzelloise. En 2006, elle a pris sa retraite.

En 2011, elle a épousé l'Autrichien Hans Flatscher, qui travaille aujourd'hui comme responsable de la relève chez Swiss-Ski. Le couple a trois enfants: Sophia (15 ans), Anna (13 ans) et Julian (8 ans). Tous trois sont des skieurs passionnés.

Aviez-vous au moins un plan B?
Concrètement non. Mais il a toujours été clair pour moi que j’aurais pu commencer un apprentissage d’infirmière, même à 25 ans.

En 1996, votre carrière semblait enfin prendre son envol. Aux Championnats du monde dans la Sierra Nevada, vous étiez en tête du géant avec plus d’une seconde d’avance après la première manche.
Et c’était une seconde d’avance sur ma grande idole, Deborah Compagnoni. Entre les deux manches, j’étais déjà championne du monde dans ma tête et je pensais que j’allais encore réaliser le meilleur temps de la deuxième manche.

Au lieu de cela, vous avez été éliminée.
Je ne savais tout simplement pas comment gérer une telle situation à l’époque, et j’avais des pensées totalement erronées après la première manche. Pour remporter de grands succès, il faut avoir une certaine maturité mentale. Je ne l’avais pas encore à l’époque. Après Sierra Nevada, j’ai longtemps lutté contre le destin. Aussi parce que je savais comment allait mon genou et que je n’avais aucune idée du temps qu’il allait encore tenir.

Cinq ans plus tard, vous étiez à nouveau dans la même situation aux Championnats du monde de Sankt Anton, en tête après la première manche.
J’étais alors une autre personne et j’avais entre-temps pris conscience que la vraie vie était plus importante qu’un titre de champion du monde.

Comment en êtes-vous arrivée à cette conclusion?
Il y avait plusieurs raisons. Mon frère avait perdu à l’époque un bon ami qui souffrait d’un cancer de la moelle épinière. Et Maria Walliser m’avait dit un jour qu’elle donnerait tous ses titres de championne du monde si sa fille pouvait marcher normalement. De tels destins m’ont frappée et j’ai pris conscience de ce qui compte vraiment.

Malgré tout, que s’est-il passé en vous à Sankt Anton après le premier tracé?
Je savais très bien qu’avec le meilleur temps de la manche, je n’avais pas encore fait un pas vers la médaille d’or. Je ne me suis pas non plus réjouie de cela et je n’ai pas pensé une seule seconde à la remise des prix ou à quelque chose de similaire. Comme il avait fortement neigé et que la deuxième manche avait été repoussée, je me suis alors enfermée dans les toilettes et j’y ai repris des forces. J'ai pris un peu de recul sur les choses. Je me suis dit que si je devais à nouveau être éliminée, c'est qu'il fallait qu'il en soit ainsi.

Votre plan a fonctionné. Vous avez été sacrée championne du monde et êtes devenue la coqueluche de la nation. Ce rôle vous a-t-il plu?
Je l’ai ressenti comme une reconnaissance et j’en ai aussi profité. Car en tant que chouchou de la nation, j’avais un argument supplémentaire lors de la conclusion de contrats.

En 2004, vous avez déclaré: «Il y a peu de belles femmes dans le ski. Beaucoup de skieuses se fichent de leur apparence.» Comment cela a-t-il été perçu?
Est-ce que je l’ai vraiment dit comme ça? Je voulais dire qu’à l’époque, de nombreuses skieuses ne montraient pas leur côté féminin et se montraient plus rustres. Moi aussi, je faisais les courses sans maquillage. Mais ensuite, le ski s’est féminisé. C’est surtout Lindsey Vonn qui a révolutionné le sport dans ce domaine.

Venons-en à un sujet plus triste. Vous avez perdu quelques compagnons de route importants, comme Régine Cavagnoud par exemple.
En 2001, nous sommes montées ensemble sur le podium à Sölden. Deux jours plus tard, elle est décédée dans un accident lors de l’entraînement de descente. Cela m’a extrêmement marquée, car j’ai alors pris conscience du danger de la vie et du fait que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. La mort fait partie de la vie.

Cinq ans plus tard, la skieuse Corinne Rey-Bellet a été tuée par son mari.
Corinne et moi avions le même âge et nous nous étions déjà rencontrées lors d’une course quand nous avions environ neuf ans. Plus tard, nous avons intégré le cadre C en même temps. On avait des personnalités totalement différentes, mais nous nous estimions et nous nous admirions beaucoup.

Comment avez-vous appris son décès?
J’étais en train d’organiser ma fête de fin de saison à Heiden lorsqu’un journaliste m’a appelé pour me l’annoncer. Au début, je n’y croyais pas du tout. C’est ce que je ressens encore aujourd’hui. Il y a encore des situations où je n’arrive pas à croire qu’elle n’est plus là.

En 2010, le destin a de nouveau frappé. Votre père Willi est tombé dans un «coma éveillé».
Il était complètement paralysé et restait allongé. Pendant une année entière. Il était comme enterré vivant. C’était l’enfer. À un moment donné, les médecins ont dit: «Si les choses ne s’améliorent pas dans les prochaines semaines, nous devrons envisager d’arrêter les machines.»

Le plus incroyable, c’est que votre père vous comprenait, mais ne pouvait pas se faire entendre.
Nous ne savions pas vraiment s’il nous comprenait. Ses yeux étaient toujours fermés. Mais lorsqu’il s’est réveillé, il nous a dit qu’il était conscient de beaucoup de choses, mais que parfois il ne savait tout simplement pas si c’était réel ou s’il avait juste rêvé.

Comment avez-vous remarqué qu’il revenait lentement à lui?
À un moment donné, une infirmière a eu l’impression que son index avait très légèrement bougé. Elle lui a alors dit de bouger son index s’il l’entendait. Et effectivement, il a bougé. Plus tard, nous avons convenu avec lui qu’un clin d’œil signifiait oui et deux non. Ensuite, les choses se sont améliorées lentement mais sûrement. Il a ensuite dû tout réapprendre. Cela a duré des mois.

En 2011, vous avez épousé votre mari Hans Flatscher. Votre père était présent au mariage.
C’était incroyablement émouvant, car ma maman avait aussi un cancer à l’époque. Les médecins ont dit un jour que mon père ne pourrait plus jamais marcher. Mais c’était son grand objectif. Le jour de mon mariage, il est arrivé en voiture. Il est descendu, avec seulement une canne et sans déambulateur, et a couru vers moi. C’était la première fois qu’il marchait à nouveau.

Six ans plus tard, votre père est décédé d’un cancer. Comment va votre mère aujourd’hui?
Un jour, on lui a dit qu’elle ne verrait plus Noël. Cela fait maintenant dix ans, et elle est toujours en vie. Parfois, je ne comprends pas pourquoi les médecins osent de tels pronostics.

Nous sommes assis ici dans votre maison à Mörschwil (SG), avec vue sur le lac de Constance. Votre projet était autrefois différent. Vous aviez construit une maison à Unken, en Autriche, la patrie de votre mari. Pourquoi n’y habitez-vous pas?
Quand on est une sportive de haut niveau, on vit dans une bulle. Lorsque la maison a été construite, j’étais encore active et je commençais à douter doucement. Quand ma carrière a touché à sa fin, je me suis demandé: est-ce que je veux vivre là? Ma réponse était non. Ce qui est bête, c’est que la maison était déjà construite…

En septembre 2020, Blick avait déjà rendu visite à Sonja Nef et sa famille.
Photo: Valeriano Di Domenico

Pourquoi ne vouliez-vous pas y vivre?
J’aime avoir une grande ville et un lac près de chez moi. Mais Unken se trouve dans une cuvette, avec des parois rocheuses abruptes des deux côtés. J’ai failli y mourir étouffé. Un jour, j’ai dit à Hans que je ne pouvais pas y vivre.

Vous a-t-il compris?
Au début, non. Ce n’était pas facile pour notre relation. Mais depuis, il se sent très bien ici aussi.

La maison existe-t-elle encore?
Oui, nous y sommes souvent à Noël et pendant les vacances d’été. Cela me plaît beaucoup aussi. Et aussi parce que je sais que je peux toujours repartir.

Ce mardi, vous avez 50 ans. À quoi ressemble votre vie aujourd’hui?
Huit mois par an, je suis femme au foyer. En hiver, je donne des conférences ou je suis engagée par des entreprises pour des journées de ski. Nos trois enfants sont très engagés dans leur sport. Nous habitons dans un endroit pas terrible pour skier, car les montagnes ne sont pas au coin de la rue. Sans aide, les enfants ne vont donc pas très loin. Concilier tout cela est un énorme défi, car mon mari est aussi très souvent en déplacement en tant qu’entraîneur.

Faites-vous encore du ski?
Oui, mais seulement lorsqu’il fait beau.

Et comment va votre genou?
J’ai une nouvelle articulation du genou depuis deux ans. Cela m’a permis de retrouver ma qualité de vie.

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