Elle a des angles pointus et des bords tranchants. Elle est souvent farouche, parfois revêche, toujours franche. Elle polarise. Et elle skie avec génie. Elle a enlevé le classement général de la Coupe du monde en 2016, elle est devenue double championne du monde en 2021 et elle est la Suissesse qui a remporté le plus de victoires en Coupe du monde (34), derrière l'inénarrable Vreni Schneider (55).
Bien sûr, on parle ici de Lara Gut-Behrami. La Tessinoise a disputé sa première course professionnelle à 16 ans et s'est imposée pour la première fois à 17 ans. Particularité: depuis son enfance, elle évolue dans une cellule d'entraînement privée, le plus souvent avec son père et coach, Pauli Gut. Cela a parfois provoqué des tensions avec la fédération suisse. À tel point qu'en 2010, Lara Gut-Behrami a été suspendue pour deux courses parce qu'elle avait critiqué publiquement des entraîneurs et n'avait pas respecté le code vestimentaire.
Celle qui a épousé l'ex-star de l'équipe nationale de football Valon Behrami en 2018, était également toujours en guerre avec les médias. Et aujourd'hui? En Chine, elle veut remporter ce qui manque encore à son palmarès: l'or olympique. Sa première chance se présente lors du géant lundi (1re manche à 2h30 heure suisse, 2e manche à 7h30). Que pensent les anciennes stars suisses du ski de Lara Gut-Behrami?
Erika Hess (triple championne du monde 1982, championne du monde 1985, double championne du monde 1987)
«Lara est arrivée très tôt en Coupe du monde. Elle avait toujours son père avec elle. Le soutien de sa famille l'a aidée à rester elle-même et à suivre sa voie. Ce soutien était très important, car elle était encore très jeune à l'époque. Mon parcours a été exactement l'inverse. Cela montre que l'on peut arriver au but par les deux voies. Bien sûr, Lara a des problèmes. Mais elle est comme ça, c'est sa nature. Lara est Lara. Elle veut ainsi se protéger de trop d'agitation et de trop de questions. Il faut aussi s'isoler de temps en temps et avoir la paix. Que cela plaise ou non aux journalistes, elle s'en moque. C'est aussi la recette de son succès. Comme elle ne se laisse pas influencer, elle skie vite. À Pékin, je la crois capable de remporter une médaille, surtout en super-G et en descente. Ce qui est sûr, c'est que si une Suissesse devait gagner, je verserais probablement des larmes. Je ne pourrais d'ailleurs jamais commenter en direct pour la télévision, car je suis bien trop émotive!»
Paul Accola (vainqueur du classement général de la Coupe du monde 1992)
«J'avais déjà dit avant les championnats du monde de Cortina: si Lara devait remporter l'or, ce serait vraiment génial! Et elle l'a fait. Cette fois-ci aux Jeux olympiques, ce serait encore plus génial. J'aime bien Lara, elle ne se laisse pas faire - comme moi. Avec le recul, j'aurais peut-être dû faire une équipe privée comme elle. Cependant, je me suis toujours inspiré de tout le monde dans l'équipe. Mike von Grünigen avait d'ailleurs aussi une équipe privée, même si elle n'a jamais été déclarée comme telle. Il a réuni autour de lui tous les gens qui comptaient pour lui - mais personne ne l'a remarqué. Mike a fait ce qu'il fallait. Car moins il y a d'entraîneurs, mieux c'est! Ils ont tous de bonnes intentions, mais la plupart du temps, ils sont beaucoup trop nombreux à se mêler de tout. Ils sont les plus grands adversaires d'un skieur - les journalistes en font également partie. Revenons à Lara: je lui fais confiance pour tout, surtout en super-G. Il ne faut pas trop écouter les messages radio, mais faire son propre truc. C'est exactement ce que fait Lara, alors que d'autres se laissent immédiatement déstabiliser. Cette confiance en elle vaut de l'or.»
Sonja Nef (championne du monde de géant en 2001)
«Lara a eu beaucoup de malchance cet hiver. D'abord la grippe, puis le Covid, l'isolement et enfin la chute à Saint-Moritz. Elle avait pourtant commencé la saison en force! C'est pourquoi je trouve qu'il est très difficile de prédire comment elle va s'en sortir en Chine. Lara pourrait gagner, mais aussi ne rien gagner. Si je regarde sa carrière, j'aurais pensé au début qu'elle gagnerait encore plus. Mais elle s'est gravement blessée, ce qui l'a fait reculer. Mais Lara a toujours été très ambitieuse, elle a toujours su se relever de ses échecs. Pour cela, il faut un certain égoïsme - je l'avais, et Lara l'a aussi, mais cela ne se voyait pas. Il manque encore à Lara un titre olympique pour couronner sa carrière. Je suis persuadée qu'elle veut absolument la médaille d'or à Pékin. Mais si elle n'y parvient pas, le monde ne s'écroulera pas pour elle, elle a trop mûri pour cela. En tout cas, je croise les doigts pour elle et je lui souhaite de tout cœur de pouvoir couronner sa carrière.»
Peter Müller (champion du monde de descente en 1987)
«En fait, la Suisse devrait sans cesse remercier le Seigneur de nous avoir donné une skieuse comme Lara! Au lieu de cela, on n'a cessé de la démolir. Je ne peux pas le comprendre. Quelle Suissesse a déjà remporté 34 victoires en Coupe du monde? Sa souplesse, son courage, sa volonté d'attaquer - tout est tout simplement sensationnel. Je ne comprends pas pourquoi Lara n'a été élue qu'une seule fois Sportive suisse de l'année. Je n'ai rien contre Belinda Bencic, qui a gagné l'année dernière. Mais Lara a été deux fois championne du monde! Cela me fait mal de voir que l'on piétine une athlète qui a tant investi dans le sport et qui a maintenu la fédération à flot pendant les périodes sombres. Je pourrais très bien m'imaginer qu'elle gagne le super-G olympique, qu'elle fasse ensuite la descente et qu'elle se retire ensuite. En revanche, elle est plutôt outsider pour le slalom géant.»
(Adaptation par Yvan Mulone)