Quiconque entre dans la maison d’Erika Reymond-Hess est accueilli par Mulmul. «J’ai reçu le chat de la sœur de Jacques, explique la femme de 59 ans. Il est né le jour où Jacques est mort.»
Jacques Reymond était le grand amour d’Erika. Le couple a été marié pendant 32 ans. Au printemps 2020, il est décédé du coronavirus. Jacques est omniprésent dans le salon de la maison. Des photos de lui sont accrochées partout.
Le fait qu’Erika Reymond-Hess ait été une skieuse accomplie ne passe pas inaperçu dans la maison. Les huit globes de cristal (2 grands, 6 petits) qu’elle a gagnés sont posés sur un vieux buffet. Au-dessus de la cheminée se trouve une petite partie des coupes gagnées. Mais elles ne sont pas importantes pour elle. «Une fois, l’un de mes fils m’a caché deux globes de cristal. Je ne l’ai pas remarqué pendant des semaines.»
Erika Reymond-Hess, nous avons un problème!
Ah bon? Lequel?
Vous avez dit un jour: «Je vis dans le présent. Je ne suis pas quelqu’un qui regarde toujours en arrière.» Pourtant, c’est ce que nous voulons faire dans cette interview.
C’est vrai. J’essaie toujours de vivre ici et maintenant. Mais nous pouvons quand même volontiers revenir sur ma carrière, je n’ai rien à cacher (rires).
On dit que votre naissance en 1962 était déjà particulière.
Il avait beaucoup neigé ce jour-là et notre ferme était située en haut de la montagne. Lorsque la sage-femme est enfin arrivée chez nous, j’étais déjà là. Mes grands-parents et ma tante, qui habitaient juste à côté, ont apparemment participé activement à ma naissance.
Vous avez grandi dans une ferme au-dessus de Grafenort, dans le canton d’Obwald. Comment s’est passée votre enfance?
De manière très agréable. Mes parents faisaient de l’élevage. Nous, les enfants, devions beaucoup aider, surtout pour faire les foins. Mon père et mon oncle avaient construit un téléski privé juste à côté. Dès que la première neige arrivait, nous allions skier. Bien sûr, nous n’avions pas de dameuse pour préparer la piste. On commençait par «piétiner» la neige fraîche avec nos skis, puis on essayait de la tasser avec un rouleau en bois que nous avions fabriqué nous-mêmes.
Vos parents étaient-ils aussi des skieurs passionnés?
Non, ils ne savaient pas skier du tout. Ils n’ont jamais assisté à l’une de mes courses de Coupe du monde. Même à la télévision, ils ne me regardaient pas en direct. Par peur que je tombe. Ce n’est que lorsqu’ils savaient le résultat final qu’ils regardaient l’enregistrement.
Il paraît que vous avez d’abord chaussé des skis loués à l’armée.
Nous étions une famille de paysans avec un petit revenu. Mes parents ne pouvaient pas se permettre de payer des skis pour leurs six enfants. C’est pourquoi ils ont loué des skis de l’armée pour moi. Ils ne coûtaient que cinq francs pour un hiver. Pour moi, c’était même une motivation. Je savais que si je skiais vite, je finirais par avoir de bons skis.
Avez-vous aussi gagné de l’argent quand vous étiez jeune?
Oui, j’ai travaillé à 14 ans dans une usine de savon et de lessive à Stans (ndlr: dans le canton de Nidwald). Je travaillais à la chaîne. J’emballais des savons et je collais des étiquettes dessus. Si c'était à refaire, je le referais. Grâce à l’argent que j’ai gagné, j’ai pu continuer à faire du ski.
Le jour de vos 15 ans, vous avez pu prendre l’avion pour la première fois de votre vie. Comment c’était?
Vraiment excitant. Nous sommes partis d’Autriche pour une course de Coupe d’Europe en Tchécoslovaquie, avec un avion à hélice. Je me souviens encore que j’ai reçu des Mozartkugeln (ndlr: des boules en chocolat à base de pistache) et que nous avons dû mettre les sacs de ski dans le couloir parce qu’il n’y avait plus de place.
Vous êtes arrivée en Coupe du monde à l’âge de 15 ans. Vous sentiez-vous parfois dépassée par ce qui vous entourait?
À l’époque, je ne réalisais pas grand-chose et j’avais simplement envie de découvrir le monde. Cela m’a permis de grandir rapidement.
Qui s’occupait de vous à l’époque dans le cirque blanc?
C’était surtout Lise-Marie Morerod. Comme moi, elle était paysanne et m’a beaucoup soutenue. Nous partagions généralement la même chambre. Une fois, elle m’a même offert un chaton blanc en peluche que j’emportais ensuite à chaque course et que je mettais sur la table de nuit. En grandissant, je l’ai donné à ma nièce.
En 1978, Lise-Marie Morerod a eu un terrible accident de voiture. Soudain, c’est vous qui avez dû vous occuper d’elle.
Cet accident m’a énormément affectée. Elle a subi un grave traumatisme crânien. Lorsqu’elle est ensuite revenue en Coupe du monde, je me suis occupée d’elle. Comme elle souffrait alors encore de pertes de mémoire, je veillais à ce qu’elle n’oublie aucun rendez-vous et à ce qu’elle emporte toujours toutes ses affaires. Aujourd’hui encore, nous avons une relation très intime.
Avec six titres de championne du monde, l'Obwaldienne est la skieuse suisse la plus titrée de tous les temps. Aux Jeux olympiques de 1980, elle a remporté la médaille de bronze en slalom. En 1982 et 1984, elle a remporté le classement général de la Coupe du monde, auxquels se sont ajoutés six petits globes de cristal.
Elle a remporté au total 31 courses de Coupe du monde (dont 21 slaloms), et même deux en une journée à l'Alpe d'Huez en 1982. En 1987, elle a mis fin à sa carrière à l'âge de 25 ans.
Erika Reymond-Hess a eu trois fils et est quatre fois grand-mère. Son fils Marco Reymond est également skieur et a disputé jusqu'à présent cinq courses de Coupe du monde. Elle vit à Saint-Légier-La Chiésaz (VD), s'occupe régulièrement de ses petits-enfants et de la course de ski populaire «Erika Hess Open».
Avec six titres de championne du monde, l'Obwaldienne est la skieuse suisse la plus titrée de tous les temps. Aux Jeux olympiques de 1980, elle a remporté la médaille de bronze en slalom. En 1982 et 1984, elle a remporté le classement général de la Coupe du monde, auxquels se sont ajoutés six petits globes de cristal.
Elle a remporté au total 31 courses de Coupe du monde (dont 21 slaloms), et même deux en une journée à l'Alpe d'Huez en 1982. En 1987, elle a mis fin à sa carrière à l'âge de 25 ans.
Erika Reymond-Hess a eu trois fils et est quatre fois grand-mère. Son fils Marco Reymond est également skieur et a disputé jusqu'à présent cinq courses de Coupe du monde. Elle vit à Saint-Légier-La Chiésaz (VD), s'occupe régulièrement de ses petits-enfants et de la course de ski populaire «Erika Hess Open».
En 1980, vous avez fêté votre premier grand succès: une médaille de bronze olympique en slalom. Vous souvenez-vous de ce que vous avait offert votre voisin, en tant que récompense?
Maintenant que vous le dites… Il m’avait offert deux bottes de foin. Mon père et les animaux en ont profité.
Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit quand on vous mentionne la date du 13 janvier 1981?
Ce 13 janvier, j’ai gagné ma première course de Coupe du monde avec le numéro 13. Et ce, à 13h13 exactement. C’est du moins ce que dit la légende.
Il y avait alors un fort brouillard à Schruns, en Autriche. Certaines de vos adversaires doutaient que vous ayez passé toutes les portes correctement. Entre nous, avez-vous triché?
Non, non, tout était propre. Je suis quelqu’un d’honnête. Si j’avais triché à l’époque, je l’aurais déjà dit.
Votre victoire a également eu des conséquences pour votre famille.
Mon père et mes frères avaient alors promis que dès ma première victoire en Coupe du monde, on ne fumerait plus dans le salon. Mon père était un fumeur de pipe passionné. Le fait qu’il y ait renoncé pour moi dans cette pièce était très progressiste pour l’époque.
Vous avez définitivement pris votre envol lors des championnats du monde de 1982. Vous avez remporté trois médailles d’or. D’un seul coup, vous êtes devenue la chouchoute de la nation. Ce rôle vous a-t-il plu?
Je ne sais toujours pas comment j’ai fait à l’époque. Le buzz était énorme. Tout le monde voulait quelque chose de moi. Mon entourage et la ferme m’ont certainement aidée. J’ai toujours pu m’y retirer et être moi-même. À l’époque, beaucoup pensaient que j’étais une machine qui livrait toujours la marchandise. Mais j’étais une femme qui avait aussi besoin de repos de temps en temps.
À l’époque, vous disiez: «La pression me rend malade. Dans quelques années, je ne pourrai plus supporter ça.» Vous avez également ressenti cette pression avant les Jeux olympiques de 1984. Est-ce pour cela que vous n’avez pas obtenu de médaille à Sarajevo?
Sarajevo a été très difficile pour moi. Les nombreux journalistes, les longues journées, l’arrivée compliquée sur la montagne… J’ai ressenti la pression, peut-être aussi parce que j’étais porte-drapeau lors de la cérémonie d’ouverture. Aux Jeux olympiques, tout le pays attend des médailles du leur. Mais je me suis ensuite relevée et j’ai encore été championne du monde à trois reprises, en 1985 et 1987.
Normalement, les sportifs prolongent leur carrière à cause des Jeux olympiques. Pour vous, c’était l’inverse. Vous avez arrêté l’année avant les Jeux olympiques de 1988. Pourquoi?
Je ne voulais pas m’infliger les Jeux olympiques une nouvelle fois. C’est pour ça que les championnats du monde à domicile de Crans-Montana en 1987 ont été la conclusion parfaite. Je n’ai jamais skié pour établir des records, mais parce que j’aimais ça. Quand on était au départ, on ne courait pas pour son entraîneur ou pour les journalistes de Blick, mais pour soi-même. Avant la saison 1986-1987, je me suis rendu compte qu’après dix ans de ski de compétition, j’avais envie de quelque chose de nouveau.
Vous n’avez jamais envisagé la possibilité d’un retour?
Non, pas une seconde. Je savais à l’époque que je voulais fonder une famille.
En 1988, vous vous mariez avec votre ancien entraîneur Jacques Reymond. Au printemps 2020, votre mari est décédé à cause du Covid. Savez-vous où il a été contaminé?
À l’époque, nous avons eu une fête de famille, une semaine avant le premier confinement. Ensuite, nous avons tous attrapé le coronavirus. Nous étions tout simplement au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais oui, parfois je me dis que si la Suisse avait tout fermé une semaine plus tôt, nous ne serions pas tombés malades et mon mari serait encore en vie aujourd’hui.
Quand vous êtes-vous rendu compte de la gravité de la situation?
Relativement vite. Alors que je n’avais que quelques jours de fièvre et que j’étais très fatiguée, son état s’est aggravé. Il a donc été hospitalisé. Là, il a été intubé et placé dans un coma artificiel pendant trois semaines.
Avez-vous pu lui rendre visite?
Très rarement, trois fois en tout. C’était l’horreur absolue, on ne peut même pas se l’imaginer. D’un seul coup, on ne peut plus soutenir la personne que l’on aime tant et être proche d’elle.
Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois?
Le jour de notre 32e anniversaire de mariage, j’ai pu lui rendre visite à l’hôpital. On l’avait juste avant sorti du coma artificiel, car c’était le seul moyen d’avancer.
Avez-vous pu lui parler?
Bien sûr, je lui ai parlé, mais je n’ai plus eu de réponses de sa part. Nous étions simplement en contact par les yeux et je lui ai montré des photos de ses proches et les ai accrochées dans la chambre d’hôpital. C’était un moment très intense et important, car j’ai pu lui dire que la famille était unie et que je ferais tout pour qu’il soit fier de sa famille. Et je l’ai remercié encore une fois pour tout l’amour qu’il m’a donné.
Avez-vous pensé jusqu’à la fin qu’il pourrait encore s’en sortir?
Nous savions depuis le début que cela pouvait basculer des deux côtés. Mais même si la situation était très critique, nous n’avons pas perdu espoir jusqu’à la fin. Quelques heures avant sa mort, nous nous sommes encore parlé au téléphone. L’infirmière lui a mis le téléphone à l’oreille. Je lui ai dit que je serais toujours là pour lui. Malheureusement, il n’a pas pu me répondre.
Comment avez-vous appris son décès?
On m’a appelée depuis l’hôpital. C’était brutal. J’ai perdu beaucoup de poids par la suite. Mais notre famille a pris grand soin les uns des autres. Nous nous sommes dit que nous voulions continuer à vivre. Jacques aussi l’aurait voulu.
Votre mari est devenu grand-père pour la première fois un an auparavant. Le fait qu’il ait pu vivre cela vous aide-t-il?
Oui, je suis extrêmement heureuse qu’il ait pu devenir grand-père. Il était si fier de son petit-fils. C’est dommage qu’il n’ait pas pu voir les suivants, car depuis, il aurait déjà été quatre fois grand-père.
Vous avez dispersé ses cendres dans le lac de Joux. Pourquoi?
La Vallée de Joux est un lieu magique. La cérémonie était très intime et triste, mais en même temps très belle. Nous avons fait jouer ses chansons préférées et ses frères et sœurs ont lu des textes très prenants. C’était très émouvant.
Quand vous y allez aujourd’hui, vous sentez qu’il est là?
Oui, à la Vallée de Joux, il est partout avec nous. La semaine dernière, j’ai fait du patin à glace sur le lac de Joux avec l’un de mes fils. Comme je le faisais autrefois avec Jacques. Dans ces moments-là, je lui parle à voix haute. Ou quand je donne le repas à mes petits-enfants. Je dis parfois: Jacques, tu pourrais m’aider à nourrir ces bouches affamées. Ou quand je cours autour du lac. Dans ces moments-là, j’ai l’impression qu’il est à mes côtés.
Où trouvez-vous cette force?
Je ne sais pas, on la reçoit simplement de quelque part. Bien sûr, il y a encore des moments très difficiles. Je pense à Jacques tous les jours. Mais parfois, c’est comme dans le sport. Il faut se ressaisir, chercher le positif. Heureusement, j’ai un très bon entourage sur lequel je peux toujours compter. Si je vais mal, je sais qui je peux appeler. Les milliers de lettres que j’ai reçues m’ont également aidée. Je les ai toutes lues et j’en ai tiré des forces.
Comment gérez-vous les pensées négatives?
On a le droit d’être triste. Aujourd’hui, je dois faire seule beaucoup de choses que nous faisions auparavant à deux. Mais je lui ai promis que je ferais tout pour qu’il puisse être fier de moi. C’est une grande motivation pour moi.
Serait-il fier de vous?
Je pense que oui. Il aimerait certainement aussi que je continue à vivre heureuse et à m’amuser, car Jacques a toujours été quelqu’un de très joyeux.
Vous avez 60 ans ce dimanche 6 mars. Qu’est-ce que ce chiffre vous fait?
Rien pour l’instant. J’ai tellement de choses à faire que je n’ai pas encore eu le temps de faire des recherches. C’est peut-être une bonne chose.
(Adaptation par Matthias Davet)