La guerre a tout changé
Le fabuleux destin du gardien qui a dégoûté le LHC

Fin février, Janne Juvonen n'avait encore jamais joué en Suisse. L'invasion russe en Ukraine a mis fin à la saison de son équipe d'Helsinki en KHL. Débarqué en catastrophe à Ambri-Piotta, il a porté les Tessinois vers une série de succès inespérés.
Publié: 19.03.2022 à 15:11 heures
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Dernière mise à jour: 19.03.2022 à 15:25 heures
Photo: Getty Images
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Ugo CurtyJournaliste Blick

Il est environ 22 heures en ce 27 février. Janne Juvonen s’apprête à s’endormir dans son appartement d’Helsinki. La tête embrumée par les doutes qui accompagnent la suite de sa carrière. Son club de Jokerit vient de se retirer des play-off de la KHL pour protester contre l’invasion russe en Ukraine, lancée trois jours plus tôt.

«Le téléphone a sonné, se souvient le gardien finlandais, quelques minutes après sa prestation XXL vendredi soir contre le LHC (1-2). C’était mon agent. Il m’a demandé: «Tu veux encore jouer?». Il m’a rapidement expliqué qu'il y avait cette possibilité de signer à Ambri. J’avais moins de 30 minutes pour me décider.»

Des Tessinois devenus invincibles

Janne Juvonen raccroche, se retourne dans le lit et explique la situation à sa copine. «Elle était vraiment emballée à l’idée de venir en Suisse, alors le choix était facile.» Et tout s’est enchaîné pour l’international suomi. «Je me suis levé en vitesse et j’ai rempli des papiers, signé mon contrat jusqu’à une heure du matin, poursuit-il. Le lendemain, j’ai à peine eu le temps de faire ma valise. Je suis passé chercher mes affaires de gardien à la patinoire, fait mes adieux à mes coéquipiers et on a filé à l’aéroport.»

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Direction Ambri-Piotta, via Milan. Le lendemain, Janne Juvonen porte déjà le maillot léventin pour la première fois contre Genève-Servette. C'était le 1er mars dernier et une lourde défaite (1-5) qui sera aussi la dernière. Depuis, les Tessinois ont enchaîné sept victoires consécutives, en grande partie grâce à leur ange gardien et ses 95,58% d’arrêts.

Le Finlandais a pallié avec brio la blessure de Benjamin Conz. «À la base, je n’avais débarqué que pour les sept derniers matches de la saison régulière, se souvient le Finlandais, un sourire malicieux au coin de la bouche. La fenêtre était vraiment petite pour espérer se qualifier pour les play-off.»

Un visage de bébé tueur

Désormais, Ambri-Piotta mène 1-0 dans sa série contre le LHC. Vendredi, le dernier rempart a repoussé 35 des 36 tentatives adverses. «C’était génial de jouer face à un tel public. C’était plutôt bruyant mais c’est ce genre de soirées qui te rappelle pourquoi tu fais tout ça.»

Son visage de poupon est encore rougi par les efforts. Les yeux un peu perdus dans le vide, le joueur de 27 ans n’est pas encore totalement sorti de son match. Mais le ton est posé, presque lancinant. Il est aussi tranquille en dehors de la glace que dans le feu de l’action. «C'est vrai que je suis vraiment calme, rigole encore le joker d’Helsinki. Je ne suis pas quelqu’un qui court dans tous les sens. D’habitude, à côté du hockey, je ne fais pas grand-chose. J’aime bien rester à la maison avec ma copine et notre chien. On fait aussi des balades mais c’est à peu près tout.»

Le titre olympique... face à la Russie

Dans la précipitation, il n’a pas été possible d’organiser le transport jusqu’en Suisse de l'imposant berger australien du couple. Sa conjointe, elle, s’apprête déjà à rentrer au pays à cause de ses études. Janne Juvonen compte prolonger cette improbable aventure léventine le plus longtemps possible.

Son année 2022 avait commencé de la pire des manières. Touché par le Covid et privé d’entraînements pendant des semaines, il embarque malgré tout pour les JO de Pékin avec l’équipe de Finlande sans jamais griffer la glace. Le quatrième portier dans la hiérarchie a suivi le sacre olympique de sa sélection depuis les tribunes chinoises.

Une victoire en finale contre… la Russie (2-1). Quatre jours après cette joie immense, Vladimir Poutine et son armée envahissaient l’Ukraine. Une agression qui a mis fin à la saison de Janne Juvonen et de son équipe d’Helsinki qui a boycotté les finales de la ligue continentale KHL, gérée par les Russes.

«Le hockey n’était pas le plus important»

«Dès le début de la guerre, on a su que c’était terminé pour nous, se remémore le gardien. C’est triste parce que Jokerit était enfin de retour à un bon niveau. Les deux premiers jours ont été durs à vivre. Nous étions un groupe fantastique composé d’amis qui se connaissaient bien, pour la plupart depuis longtemps. Nous ne voulions pas que notre histoire se termine comme cela, mais il y a des choses plus graves dans la vie. Le hockey n’était pas le plus important à ce moment-là.»

En trois semaines, la carrière de Janne Juvonen a connu un rebondissement inattendu. Il est déjà devenu la mascotte de cette équipe d’Ambri-Piotta qui prend un malin plaisir à défier les pronostics.

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«C’est vrai que j’ai réussi à sortir de gros matches ces derniers temps, lâche-t-il dans un nouveau sourire amusé. Je surfe sur la vague. Ce n’est pas maintenant que je vais changer quelque chose. De toute manière, je n’ai pas eu trop le temps de réfléchir depuis que je suis arrivé en Suisse.» Vendredi à la Vaudoise aréna, il a parfois été aidé par ses poteaux, ses coéquipiers et un soupçon de réussite pour dégoûter les stars lausannoises.

Match décisif dimanche

Ces adversaires menaçants mais muselés, il les retrouvera déjà dimanche à la Gottardo Arena pour l’Acte II de cette série (19h45). En cas de succès, les Tessinois se qualifieraient pour les quarts de finale et enverraient au tapis l’une des grosses cylindrées du championnat.

Un exploit qui deviendrait presque un jour normal dans la nouvelle vie de Janne Juvonen à Ambri-Piotta.

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