Jeudi matin, des touristes pas tout à fait comme les autres prennent des photos au marché central de Tiraspol, devant des énormes piles de fruits et légumes. Elles et ils sont habillés en grenat, parlent français et profitent de ce voyage pas comme les autres en terre transnistrienne, une expédition que personne n'aurait entreprise si le tirage au sort de l'Europa League ne leur avait pas proposé ce déplacement.
Soixante supporters servettiens attendus
Tiraspol n'est en effet une destination touristique pour personne, au contraire de Prague et de Rome, les deux autres villes où jouera (ou a déjà joué) le Servette FC dans cette phase de groupes. Ils étaient plusieurs centaines en Italie et, ce jeudi, ils ne sont que 60, chiffre officiel, à avoir décidé de rejoindre l'aéroport de Chisinau (depuis la Suisse via Vienne, Milan-Bergame ou Varsovie), puis de prendre un taxi pour rejoindre Tiraspol, à une heure et demi de route (sans le temps d'attente au checkpoint, forcément aléatoire et dépendant de l'humeur du militaire russe préposé au contrôle du véhicule).
Le temps est doux en ce jeudi à Tiraspol, largement plus de vingt degrés, et le parc public du centre-ville est très fréquenté. A l'entrée de celui-ci, une grand-maman se trouve devant une balance et propose à chaque passant de se peser. Le coût? Trois roubles transnistriens. C'est à dire à peu près trois fois rien. La babouchka, qui ne parle que le russe mais sait attirer le chaland, y compris l'étranger, complète ainsi sa maigre retraite (quelques dizaines de francs suisses), dans un pays où le salaire moyen s'élève à environ 200 ou 300 francs suisses, selon les estimations et les témoignages recueillis depuis notre arrivée.
Touchante, la grand-maman veut savoir d'où l'on vient, nous bénit d'un signe de croix dans un sourire et insiste pour apprendre un mot de français. On lui propose «amour», ce «Lyoubov» russe, l'idée lui plaît, elle le répète trois fois comme pour bien l'imprimer et le retenir plus tard. Une scène de vie comme une autre, un jeudi à Tiraspol.
Si les revenus sont faibles, tant en Moldavie qu'en Transnistrie, le coût de la vie au marché est très peu élevé également. A Tiraspol, un expresso coûte 10 roubles dans un café, c'est à dire quelque chose comme 30 centimes, un montant qui permet par ailleurs d'acheter deux pommes au marché. Louer un appartement tout à fait convenable pour quatre nuits revient à un peu plus de 50 francs, le loueur précisant dans un sourire que ce montant permet normalement de régler le loyer mensuel, à peu de choses près.
Un immense marché central à deux pas du centre-ville, en partie à ciel ouvert
Au centre-ville de Tiraspol, à quelques pas du gouvernement transnistrien et de l'immense statue de Lénine, pas loin du monument aux morts et du char T-34 commémorant la guerre en Afghanistan, se trouve donc le marché central, lequel s'étend sur plusieurs centaines de mètres. Sur les étals à ciel ouvert, les fruits et légumes., mais aussi les pommes de terre, les pâtes, le riz et tous les féculents. Pour trouver la viande et le fromage, il suffit de pousser une porte, laquelle s'ouvre sur d'innombrables stands où les denrées périssables sont proposées par des vendeuses et vendeurs qui passent d'une échoppe à l'autre selon les volontés des clients.
Il faut franchir une autre porte pour tomber sur les magasins d'habits et d'électronique, où les prix sont abordables, bien loin des magasins officiels où, par exemple, les machines à laver de marques occidentales ou asiatiques sont affichées à des prix européens, inaccessibles pour le 99% des citoyens transnistriens, lesquels ne se donnent même pas la peine d'y entrer.
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Tout autour du marché central, où se vêtit et se nourrit littéralement la population de Tiraspol, se trouvent les fameux bancomats, d'où l'argent sort uniquement s'il est prélevé par une carte de crédit locale, mais aussi des stands de café, de thé et de kvas, cette boisson russe typique et impossible à décrire autrement qu'en une fermentation de pain. Là aussi, l'expérience, surprenante, vaut largement la peine et ne coûte que quelques roubles.
C'est donc dans ce pays si particulier (qui n'en est même pas officiellement un, d'ailleurs) que Servette se déplace pour y disputer un match de football ce jeudi face à des footballeurs du Sheriff qui peuvent facilement toucher plusieurs dizaines de milliers de dollars par mois en cas de bons résultats européens. Le Sheriff Tiraspol est la propriété d'un oligarque, Viktor Gushan, lequel peut en effet se montrer aussi généreux que facilement enclin à rompre unilatéralement les contrats des joueurs peu performants...
Le match se déroulera dans des conditions parfaites
De tout ce contexte, Servette fera cependant facilement abstraction ce jeudi soir et il sera extrêmement aisé de se concentrer uniquement sur le football. Les installations du Sheriff sont exceptionnelles, le terrain en bon état et les tribunes tout sauf hostiles. Durant 90 minutes, les Genevois n'auront à penser qu'au football, mais leurs supporters, eux, auront été dépaysés durant leur voyage et ils auront été récompensés de leur curiosité en découvrant un territoire qu'ils n''auraient jamais envisagé visiter sans le football. Contrairement à Rome ou Prague, Tiraspol n'est pas une destination venant immédiatement à l'esprit, mais elle a également son charme, celui de la découverte.