Samedi, Paris aurait dû être le théâtre d’une soirée de fête, d’une finale de Ligue des champions entre deux monuments du football européen, du match de l’année. Si le Real Madrid a bien battu Liverpool sur le terrain (1-0), ce n’est pas le score qu’on retient trois jours plus tard. Des milliers de supporters ont été bloqués en voulant entrer dans le stade.
Des mouvements de foules et une organisation défaillante qui auraient pu provoquer un drame. Pierre Barthélémy, avocat parisien spécialisé, pointe du doigt les incohérences de la version officielle et analyse la polémique et les tensions diplomatiques qui ne cessent de prendre de l’ampleur.
Est-ce qu’on a évité le pire samedi lors de cette finale de la Ligue des champions?
Clairement. Il y aurait pu y avoir des morts avec ces mouvements de foule et des piétinements. Heureusement, la police a relâché à temps ses points de pré-filtrage. Cela a permis à des gens sans billet d’accéder aux abords du stade, mais cela a peut-être sauvé des vies. Les supporters eux-mêmes, qui sont pourtant accusés à tort par le gouvernement, ont été exemplaires. J’étais sur place et j’ai été marqué par leur flegme hors-norme. Je ne connais pas beaucoup de Français qui auraient fait preuve d’une telle patience collective.
Sur les images, on voit des charges de police sur les supporters et du gaz lacrymogène répandu en masse. Est-ce qu’il y a eu un usage disproportionné de la violence de la part de la police?
À ma connaissance, il n’y a eu aucune violence systémique des forces de l’ordre. Certains policiers ont fait un usage abusif de leur gazeuse, mais il y avait 6800 agents présents pour couvrir l’événement dans la région. La grande majorité d’entre eux s’est bien comportée. Le vrai problème a été la gestion des points d’accès et des flux.
Le club de Liverpool a été marqué par la catastrophe d’Hillsborough qui a provoqué la mort de 97 personnes en 1989. Est-ce qu’on peut dresser des parallèles avec le match de dimanche?
Je n’ai lu que des récits d’Hillsborough, mais samedi, dès les premières bousculades, des supporters anglais ont évoqué ce fantôme. Ce trauma collectif est encore très présent. Déjà à l’époque, les supporters avaient été irréprochables et ils avaient été accusés à tort par les autorités. Cet événement explique aussi la vivacité des réactions aujourd’hui. Grâce aux réseaux sociaux et aux preuves en vidéo, il est nettement plus facile aujourd’hui de contester les versions officielles.
La polémique enfle autour de l’organisation de la finale de la Ligue des champions. L’affaire est-elle en train de se transformer en incident diplomatique?
Oui. À la base, ce n’était qu’un «simple» échec organisationnel, qui a eu des répercussions importantes et qui a été largement couvert pas les médias. Cet événement honteux est en train de prendre une proportion plus grande encore. En blâmant les supporters de Liverpool, en rejetant la faute sur des innocents et en inventant n’importe quel prétexte, le gouvernement français est en train de transformer la situation en incident diplomatique. Même le Premier ministre britannique Boris Johnson s’est déjà exprimé sur le sujet. Il n’y a eu aucun mea culpa, aucune reconnaissance de tort de la part de la France. Le raté sur le plan de la communication est catastrophique.
Est-ce qu’on fait face à un mensonge d’État?
À ce stade, on ne peut pas être à 100% affirmatif. Cela dit, le gouvernement ne fournit aucun élément de preuve pour confirmer ses affirmations. Tout le contraire des journalistes et des supporters présents sur place qui ont des éléments concrets et une version discordante de celle des autorités françaises.
Quel est le principal point de discorde?
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, affirment qu’entre 30’000 à 40’000 supporters anglais ont tenté d’entrer dans le stade sans billet ou avec de faux billets. Le problème, c’est qu’on ne sait pas comment ces dizaines de milliers de personnes sont supposément arrivées au stade de France, ni comment elles seraient reparties. C’est à se poser la question si elles existent vraiment. Les chiffres des opérateurs de transports publics (ndlr: la SNCF et la RATP) ne correspondent pas à ceux du gouvernement. Les autorités font sûrement un amalgame: 40’000 supporters, c’est justement le nombre de personnes qui étaient présentes à la fan zone au centre-ville de Paris.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin affirme que ce genre de débordements n’arrivent que lors des matches de football. Est-ce que c’est un problème propre à ce sport?
C’est vrai qu’en France, les incidents qui impliquent des supporters ont surtout lieu lors des matches de football, en Ligue 1 et Ligue 2. Mais, il s’agit de supporters radicaux, d’ultras ou de hooligans. En moyenne sur une saison, il y a 700 interpellations, dont seulement 350 pour violence, pour 13 millions de spectateurs présents dans les stades français. Pour la finale de samedi, cet argumentaire autour des violences autour du football ne tient pas une seconde. Parce que ce ne sont pas les supporters qui sont fautifs.
La situation ne cesse de s’envenimer depuis samedi soir. Quelle pourrait être la suite dans cette affaire?
Dans un monde normal, les ministres impliqués présenteraient leurs excuses, reconnaîtraient leurs erreurs et on passerait à autre chose. Dans le monde qui est le nôtre, le gouvernement est capable de s’entêter jusqu’au bout dans sa version, en espérant que cela finisse par passer, que le temps nécessaire aux enquêtes joue en sa faveur.