Portrait du puissant président de la FIFA
«Gianni est très autoritaire, les gens ont peur de lui»

Il devait mener la FIFA vers un grand avenir, plus sain. Mais aujourd'hui, il a remplacé Sepp Blatter dans le rôle du grand méchant de la planète football. Gianni Infantino est-il si terrible que ça? Blick a mené l'enquête auprès de proches, anciens et actuels.
Publié: 28.11.2022 à 09:26 heures
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Dernière mise à jour: 28.11.2022 à 15:51 heures
Pouce en l'air, Gianni Infantino s'est accommodé du «Mondial du désert» au Qatar, décidé avant son arrivée à la FIFA.
Photo: IMAGO/Shutterstock
Fabian Eberhard, Sebastian Wendel, Emanuel Gisi

Un match de football dure 90 minutes, le ballon est rond et une fois qu'il est engagé, tout le reste ne compte plus. Dès que le sport occupe le devant de la scène, les violations des droits de l'Homme et les accusations de corruption passent au second plan. C'était le grand espoir de la FIFA.

Mais dans ce Mondial pas comme les autres, rien ne se passe comme prévu. Pas seulement parce qu'avec les nouvelles règles, les matches durent volontiers un quart d'heure de plus. Ce qui frappe, surtout, c'est que le calme ne revient pas hors des terrains. La FIFA se retrouve dans un tourbillon sans fin.

Des espoirs douchés

Comment cela a-t-il pu se produire? Lorsque Gianni Infantino a succédé à Sepp Blatter, voici six ans, cela devait être davantage qu'un passage de témoins entre Haut-Valaisans de différentes générations (52 ans et 86 ans). L'instance mondiale du football devait surtout changer d'ère.

Fini les pots-de-vin, la corruption et les tricheries? Un journaliste qui a beaucoup côtoyé Gianni Infantino à l'époque raconte: «Il disait souvent qu'il voulait débarrasser la FIFA du pouvoir de l'argent. Il était si convaincant qu'à l'époque, je l'ai cru. J'étais persuadé que la fédération deviendrait un meilleur endroit que sous Sepp Blatter.»

Six ans plus tard, les espoirs semblent être douchés. Ou, plus précisément, Gianni Infantino a remplacé Sepp Blatter poste pour poste comme figure la plus controversée du football mondial. Obtenir des témoignages sur la personnalité du juriste qui a étudié à l'Université de Fribourg? Très difficile. Ceux qui sont brouillés avec lui ne veulent pas que leur nom apparaisse et ceux qui le soutiennent se font très discrets.

«Il est très autoritaire»

Gianni Infantino, lui, est partout. Il fait la une des journaux au sommet du G20 lorsqu'il demande un cessez-le-feu entre Russes et Ukrainiens, lorsqu'il écrit aux fédérations nationales pour leur demander d'arrêter de faire de la politique et de se concentrer sur le sport, et tient lui-même une (étrange) conférence de presse avant le tournoi, où il explique qu'il se sent qatari, migrant ou encore gay.

Pourquoi agit-il ainsi? Alexander Koch a travaillé près de 17 ans comme porte-parole de la FIFA, dont une année sous l'ère «Gianni». Gianni? C'est ainsi que l'Allemand appelle son ancien dirigeant. Que retient-il de lui? «C'est quelqu'un de très autoritaire, les gens ont peur de lui», confie à Blick l'ancien chef de la communication.

La Coupe du monde au Qatar? Omniprésent chez lui à Doha, le Valaisan semble apprécier.
Photo: Getty

Impossible de contester la moindre décision, selon Alexander Koch. Gianni Infantino n'a, de plus, aucun problème à réprimander bruyamment des collaborateurs, même haut placés dans la hiérarchie, en public. Un ancien employé sous couvert d'anonymat raconte à Blick que l'homme fort de la FIFA lui aurait un jour demandé: «C'est moi qui te paie. Et toi, que fais-tu pour moi?»

L'entourage de Gianni Infantino est trié sur le volet, des personnes qu'il a lui-même choisies, selon Alexander Koch. Autant de proches qui vouent fidélité au haut dirigeant. «Il n'entretient presque aucun contact avec les autres. Personne ne le voit, poursuit l'ancien chef de la communication. Lorsqu'il arrive à une manifestation, il passe devant tout le monde et va s'asseoir avec son petit cercle d'initiés.» Un autre témoin raconte: «Si vous n'êtes pas avec lui, vous êtes contre lui.»

Un incompris?

Les personnes qui sont favorables au président de la FIFA estiment que c'est un incompris. Qui est vraiment Gianni Infantino? Sa jeunesse à Brigue, dans le Haut-Valais, a été évoquée par l'Italo-Suisse dans son fameux discours sulfureux avant la Coupe du monde.

Il a grandi comme fils d'immigrés italiens, ces travailleurs qui ont afflué en Suisse dans les années 1970, dans le contexte des initiatives Schwarzenbach. Gianni Infantino va être profondément marqué. Moqué, aussi, à en croire sa tirade de Doha. Il devient convaincu que sa mauvaise image est liée à la xénophobie suisse.

Sa sœur, Daniela, ne veut plus parler de son frère en public. Un jour, elle avait néanmoins racontée dans un journal local que le petit Gianni avait rédigé un texte, en quatrième primaire, dans lequel il expliquait qu'il voulait devenir footballeur professionnel, mais comme il n'avait pas assez de talent, il serait avocat du football.

Une prophétie: Gianni Infantino est bien devenu avocat. «Il n'était pas le meilleur des juristes, mais il était très bon pour entretenir des relations», expliquait à la «NZZ», en 2018, le professeur honoraire Piermarco Zen-Ruffinen. Gianni Infantino a travaillé pour lui. «Il a toujours été difficile à cerner. Vous avez beau le rencontrer cinq fois, vous ne le connaissez toujours pas très bien.»

Gelson et «Zubi» à la rescousse

Gelson Fernandes, ex-international suisse devenu directeur de la FIFA pour les associations membres africaines, a un avis plus positif. «Gianni Infantino est un grand président», a déclaré l'ancien milieu de terrain à Keystone-ATS, très récemment. Le Valaisan a estimé que la Suisse devrait être «fière» de son patron.

Sur demande de Blick, l'auteur du fameux 1-0 contre l'Espagne en 2010 accepte de détailler. «Il est incroyablement travailleur et passionné. Le plus important, pour lui, c'est que le football soit accessible à tout le monde. Il s'engage pour que les infrastructures soient améliorées dans les régions les plus pauvres.»

Pour Gelson Fernandes, les critiques européennes à l'encontre de Gianni Infantino sont donc injustes. Mais c'est en partie la faute de la FIFA, qui devrait communiquer davantage sur la manière dont elle développe le football dans les régions les plus pauvres. «Je me base sur les faits, parce que je suis en contact direct avec ce qu'a réalisé Gianni en Afrique. Là-bas, les gens sont heureux qu'il soit président.»

Quid de l'homme Gianni Infantino? «Il est ouvert et honnête, ce sont des valeurs qu'il défend. Et c'est un homme à l'esprit familial, tant dans sa vie privée que professionnelle. Vraiment, je souhaite pour lui et le football qu'il reste président quatre ans de plus.»

Une chasse aux sorcières

Autre ex-international suisse désormais au service de la FIFA: Pascal Zuberbühler. Pour le Thurgovien de 51 ans, qui travaille depuis 2017 pour la fédération mondiale, ce qui se passe avec «Gianni» est une chasse aux sorcières dérangeante. «J'ai du mal avec ça. On essaie de lui chercher des poux.»

L'ancien gardien de l'équipe de Suisse a eu l'occasion de faire plusieurs voyages aux côtés de Gianni Infantino. Et il a appris à apprécier le personnage: «Gianni a un cœur énorme. Il est ouvert à tout, quelle que soit la couleur de peau, l'orientation sexuelle ou la religion. Et c'est un fan absolu de football.»

«Gianni Infantino est un bon président»: Gelson Fernandes vit une période dorée à la FIFA.
Photo: Keystone

Comme Gelson Fernandes, «Zubi» perçoit son chef suprême comme un travailleur acharné et méticuleux. Que pense le Thurgovien de l'affirmation selon laquelle Gianni Infantino dirigerait la FIFA de manière si autoritaire que tout le monde aurait peur de lui? «Écoutez... Parfois, il faut être un peu autoritaire, dans la vie.»

L'objectif avoué d'Infantino était de faire oublier son prédécesseur et d'inscrire la FIFA dans une nouvelle ligne de conduite. Mais plusieurs employés de l'instance du football mondial avec lesquels Blick a pu s'entretenir ne voient pas cette capacité dans le Valaisan. «Sepp Blatter avait une compétence sociale. Gianni Infantino ne sait pas motiver les gens, ni former une équipe, regrette Alexander Koch. Cela étouffe dans l'œuf tous les projets novateurs.»

«Blatter et lui? Le jour et la nuit»

«Blatter et lui? C'est le jour et la nuit, explique quelqu'un qui a travaillé sous les deux présidents. Sepp Blatter, c'était le patron. Il connaissait les gens et il les appréciait. Il défendait certaines valeurs et donnait par exemple une deuxième chance à des gens qui avaient eu plus de mal dans la vie.» Depuis que Gianni Infantino en a repris les rênes, l'entreprise (encore) située sur les hauts de Zurich serait devenue sans âme. «Sepp Blatter est la meilleure personne pour ce poste, mais Gianni Infantino rapporte davantage d'argent», aurait dit un jour un délégué de la FIFA.

Du Qatar, par exemple. Autrefois, la FIFA dictait ses conditions aux pays organisateurs. Aujourd'hui, c'est tout l'inverse: Gianni Infantino et sa puissante fédération s'aplatissent devant le pays de la péninsule arabique. La FIFA n'a pas hésité à menacer les capitaines des nations européennes, dont la Suisse, pour qu'ils renoncent à leur fameux brassard «One Love».

Gianni Infantino a participé à l'interdiction des brassards «One Love»... avant de poser avec (et la ministre allemande Nancy Faeser).
Photo: DR

Gianni Infantino a eu beau laissé entendre lors de son entrée en fonction qu'il considérait l'attribution de la Coupe du monde — décidée avant son élection — au Qatar comme une erreur, il s'est depuis réconcilié avec cette idée. Et c'est à Doha qu'il a déplacé son centre de vie, avec sa femme libanaise et leurs filles. Il ne passe plus qu'une semaine par mois à Zurich.

En plus de ce déménagement, les prises de position répétées de Gianni Infantino ces derniers jours ont eu de quoi irriter l'opinion publique. Ceux qui l'ont côtoyé de près ne sont pas surpris: le sommet du G20 est l'un des endroits où le patron de la FIFA veut se sentir légitime. Chez lui.

Il se voit comme un chef d'État

Gianni Infantino se voit sur un pied d'égalité avec tous les chefs d'État. À l'issue du sommet de Bali, le Valaisan a fait envoyer par une grande agence des photos de lui avec les chefs d'État Joe Biden, Emmanuel Macron, Justin Trudeau ou Rishi Sunak à des médias sélectionnés. Le monde doit voir sur quel terrain diplomatique l'homme le plus influent du football arrive à se mouvoir.

La soif de reconnaissance de Gianni Infantino donne parfois lieu à d'étranges situations. Un initié raconte une anecdote: Vladimir Poutine serait connu pour être constamment en retard. Chaque fois qu'il devait rencontrer le président russe, le président de la FIFA devait poireauter. Qu'aurait-il alors fait? La fois suivante, il a lui-même fait attendre Vladimir Poutine. «C'est un signal qu'il donne pour montrer qu'il est comme un chef d'État.»

La cohabitation de Gianni Infantino avec les grands de ce monde a donné lieu à un cliché mémorable, il y a quatre ans, lors de la Coupe du monde en Russie. Le patron de la FIFA était alors assis en tribune d'honneur, flanqué du prince héritier d'Arabie Saoudite Mohammed Ben Salman à gauche et du président russe Vladimir Poutine à droite.

Gianni Infantino en sulfureuse compagnie à la Coupe du monde 2018.
Photo: Imago

Difficile de faire mieux comme cliché qui a mal vieilli: quatre mois plus tard, Ben Salman faisait tuer et démembrer le journaliste Jamal Khashoggi à l'ambassade saoudienne d'Istanbul. En février 2022, Vladimir Poutine lançait sa guerre d'agression russe contre l'Ukraine.

Déjà à l'été 2018, Mohammed Ben Salman était considéré comme le représentant d'un régime autocratique. Et le fait que la Russie de Poutine avait envahi la Crimée en 2014 n'était pas un secret il y a quatre ans.

Coupe du monde 2030 en Arabie saoudite?

Certains se posent donc la question: de qui Gianni Infantino sert-il les intérêts? Il y a ceux qui estiment que le Valaisan est en avance sur son temps, qu'il a simplement reconnu les réalités du XXIe siècle plus tôt que le reste de l'Europe, avec des rapports de force qui se déplacent.

L'argent arabe et asiatique remplace l'influence occidentale. Revenons au football: en 2030 doit avoir lieu la Coupe du monde qui marque le centenaire de la première édition, en Uruguay. L'idée serait de l'organiser sur sol sud-américain pour marquer le coup. Or, au lieu de cela, elle pourrait bien avoir lieu en Arabie saoudite. L'argent bat la tradition.

Où est donc passée la promesse faite par Gianni Infantino au début de son mandat à la tête de la FIFA, lorsqu'il voulait libérer l'organisation du pouvoir de l'argent? Ce qui dérange beaucoup d'anciens et actuels collaborateurs de la fédération, c'est que le poste de président du Valaisan devait être un rôle de direction stratégique. Une réorganisation qui visait à éviter une gestion opérationnelle comme Sepp Blatter la pratiquait déjà.

Or, la directrice générale, Fatma Samoura, est inconnue au bataillon ou presque depuis que Sepp Blatter est en poste. Quelle que soit la décision, elle passe toujours par Gianni Infantino. Interrogé à ce sujet, le service de presse de la FIFA n'a pas voulu répondre aux sollicitations de Blick.

Le jeu vidéo «FIFA», sa débâcle

L'actuel président de la FIFA est donc le visage et le cerveau du football mondial. Comme Sepp Blatter l'a été avant lui. Un copier-coller? «Les gens forts s'entourent de collaborateurs forts. Lui s'entoure de faibles», persifle une source bien informée. Il n'y aurait pas de ligne stratégique et beaucoup de projets ne seraient pas menés à terme.

Autre point souligné par les voix critiques: les idées d'Infantino ne cessent de s'enliser. La Coupe du monde des clubs, la Coupe du monde tous les deux ans, la Ligue des nations... Un cas emblématique: l'iconique série de jeux vidéos «FIFA». L'instance mondiale du football réclamait beaucoup plus que les 100 à 150 millions de francs payés jusqu'ici pour l'utilisation des noms officiels.

L'édition 2023 sera la dernière du célèbre jeu vidéo «FIFA».
Photo: DUKAS

Résultat des courses? EA Sports s'est retiré et fera le même jeu, simplement sans les noms officiels. «C'est un échec total. Gianni Infantino s'est complètement planté», se désole un collaborateur. Le président de la FIFA, lui, voit les choses autrement. «Le seul jeu correct, celui qui porte le nom de FIFA, sera le meilleur pour les fans de football», promet-il dans la «Handelszeitung». C'est la société Epic Games, derrière le jeu à succès «Fortnite», qui a la lourde tâche de mener à bien ce projet.

S'il y a une chose qui unit soutiens et détracteurs, c'est le fait que Gianni Infantino est solidement assis sur le trône du foot mondial. Il n'y a que peu de choses qui pourrait l'en déboulonner. En voici deux: d'abord, que les sources de financement se tarissent, de sorte que les fédérations nationales commenceraient à se poser des questions. Et puis, surtout, la procédure pénale en cours contre le Haut-Valaisan et six autres accusés.

Sa réélection, une formalité

Selon la «NZZ», les interrogatoires menés par les procureurs spéciaux Maurer et Weder devraient passer à la vitesse supérieure début 2023. Mais Gianni Infantino peut songer tranquillement à sa réélection à la tête de la FIFA. Grâce au système électoral de la fédération, il peut être sûr d'obtenir un nouveau mandat en mars: le délai pour les autres candidatures étant expiré.

Les Allemands et les Danois ont beau menacer ces derniers jours de ne pas l'élire, il n'y a pas de quoi être inquiet. S'il se retire en 2027, ce ne sera qu'en raison de la limitation des mandats. Car Gianni Infantino n'a plus besoin de l'Europe. Avec son discours de bashing contre le Vieux-Continent, l'Italo-Suisse s'est attiré les applaudissements du reste du monde.

Ces votes lui sont acquis. Aux Fidji, aucun patron de football ne veut discuter des droits de la communauté LGBTQIA+. Les droits des gays au Qatar? Pas un sujet en Namibie. Là-bas, on l'écoute et on le croit. Sans s'y opposer. C'est ce qu'aime Gianni Infantino. Et il le leur rend bien.

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