C'est donc ici, dans ce stade olympique de Berlin tellement chargé d'histoire, que l'équipe de Suisse a l'occasion d'entrer dans le grand monde, encore une fois. Trois ans après avoir éliminé la France, en 8es de finale de l'Euro, voilà que se dresse un autre grand voisin, l'Italie, qui fait moins peur quand on la regarde de près que quand on la contemple de loin, forte de ses quatre titres de championne du monde et double vainqueure de l'Euro, dont le dernier en date. La Squadra Azzurra est un monument du football mondial. Mais un monument qui doute.
Murat Yakin, à qui tout réussit ou presque depuis le début de la compétition, mis à part la suspension de Silvan Widmer, laquelle pourrait avoir des conséquences funestes ce samedi, a dit une chose très juste à la veille d'affronter l'Italie: il ne sert à rien de chercher un favori.
Concrètement, la Suisse est favorite. Mais «immatériellement», non
Sur la dynamique, sur la forme de ses leaders, sur les certitudes du moment, la Suisse l'est. Sur la force de l'habitude, sur le poids de l'histoire, sur la faculté à gérer des matches à élimination directe, l'Italie a un avantage éternel. Et il n'est pas interdit de penser qu'à l'heure d'aborder cette rencontre, la proportion de chances de l'un et de l'autre soit à égalité plus ou moins parfaite.
Est-ce déjà arrivé dans l'histoire, que la Suisse puisse aborder un 8es de finale d'une grande compétition en regardant une grande nation du jeu dans les yeux? Non. Mais ce constat ne présage en rien du résultat final, puisque la Nati s'est faite sortir par la Pologne (2016) et la Suède (2018) à ce stade, et a sorti la France (2021) lors des trois derniers tournois avant le naufrage contre le Portugal au Qatar en 2022, ce qui est l'exact contraire de la logique. Non, cela ne dit rien du résultat final.
Passer en quarts, ce serait le sens de l'histoire
Mais cela dit tout du statut qu'est en train de se construire le football suisse, lequel pourrait atteindre les quarts de finale de l'Euro pour la deuxième fois de suite. Ce résultat, brut, traduirait une évolution et le fait que la Suisse a définitivement fait sauter ce plafond de verre qui l'envoyait à la maison invariablement après les 8es de finale. Ce serait le sens de l'histoire, au fond. Après avoir toujours échoués à se qualifier, jusqu'en 1994, les Suisses ont commencé par participer de temps en temps, puis à participer tout le temps, tout en atteignant les 8es à chaque fois, sans aller plus loin. Le prochain palier, logique, serait de grimper d'un échelon. A 20h ce soir, ou un peu plus tard, la Suisse du football saura si elle a su s'inviter à cette table ou non.
Les Suisses veulent écrire leur histoire, en ce samedi 29 juin, et le drame est donc qu'une élimination face à cette Italie, cette fois, serait vue comme une déception. Ce simple constat dit tout de l'évolution récente de cette équipe, escortée de tous les doutes à son arrivée en Allemagne et accompagnée de tous les espoirs, désormais. L'évolution de la perception de la situation d'une équipe est faite de subtilités, d'humeur changeante du peuple aussi, et toute la difficulté, à l'heure de l'analyse et des projections, est là: l'équipe de Suisse est-elle vraiment meilleure qu'à l'automne dernier, lorsqu'elle n'arrivait pas à battre la Biélorussie? Sans doute, oui. Mais pas fondamentalement différente, non plus.
La Nati n'a pas reculé face à l'Allemagne
Ce sont les mêmes joueurs, les mêmes hommes, certes dans un système tactique différent, mais ce qui a changé, Granit Xhaka l'a dit, c'est l'état d'esprit. Non pas que la Suisse n'ait pas été conquérante dans le discours, elle qui voulait gagner ses dix matches de qualification et n'a réussi à battre deux fois qu'Andorre, mais, désormais, elle accompagne ses paroles d'actes et le moment le plus réjouissant de cette première phase a sans doute été le moment où, menant au score face à l'Allemagne, à Francfort, elle n'a pas souhaité reculer et défendre son but d'avance, mais a continué à presser pour aller marquer le deuxième. C'est vrai, l'Allemagne a égalisé, mais le fait de voir la Suisse ne pas se comporter en petite équipe a marqué les esprits, et pas seulement chez les suiveurs de la Nati. Sous l'impulsion de son leader Granit Xhaka, cette équipe se voit aller plus loin et n'a peur de personne.
L'Italie peut encore gagner l'Euro, après avoir frôlé l'élimination
Cela suffira-t-il pour battre l'Italie? Peut-être pas. Le football est ainsi fait qu'un poteau rentrant ou sortant décide si une compétition est réussie ou non. Demandez à la Squadra Azzurra: si Riccardo Calafiori, suspendu ce samedi, n'avait pas décidé à la 98e minute de procéder à ce dépassement de fonction et si Matteo Zaccagni avait à peine moins bien enroulé sa frappe, tout ce petit monde serait déjà quelque part entre Capri, Ibiza et Dubaï aujourd'hui. Mais l'Italie est là. Et bien là. Et elle peut encore gagner l'Euro. Comme la Suisse? Non. Pas encore. La Suisse ne peut pas se permettre de parler ainsi. Mais ses joueurs ont le droit de le penser et de croire en eux. Ils ont mérité d'aborder ce 8es de finale avec confiance. Ils se la sont construite au fil des années. Grâce à eux. Et même quand personne ne croyait en eux, mis à part eux-mêmes, il y a encore quinze jours de cela.