Qui dit Serbie — Suisse en Coupe du monde dit forcément affaire de l'aigle bicéphale. Quatre ans après cette fameuse rencontre de 2018, Stephan Lichtsteiner — un des trois joueurs à avoir fait ce geste — revient sur cette folle soirée. Celui qui entraîne actuellement les M15 du FC Bâle évoque également sur les débats autour du brassard «One Love».
Stephan Lichtsteiner, la Nati va-t-elle se qualifier pour les 8es de finale ce vendredi?
Oui!
Pourquoi en êtes-vous si sûr?
La Suisse a de meilleurs joueurs et un meilleur entraîneur que la Serbie. Les gars sont en forme et la plupart d'entre eux savent, grâce au match de 2018, ce qui les attend. La rencontre se jouera avant tout dans la tête, et c'est là que je nous vois prendre l'avantage.
Contre la Serbie, la Suisse doit-elle jouer la victoire ou le nul — et espérer que le Cameroun ne gagne pas contre le Brésil?
Jouer le match nul est toujours risqué. Mais se mettre à dos les Serbes serait aussi une erreur. Ils ont 90 minutes devant eux et savent ce qui se passe dans le match en parallèle. Avec Murat Yakin, nous avons un entraîneur intelligent qui sait comment réagir dans telle ou telle situation.
Granit Xhaka a promis de renoncer aux gestes politiques. La fédération a prononcé une interdiction de l'aigle bicéphale. On dirait que tout est allé de travers en 2018...
Il y a quatre ans, Granit et Xherdan ont dû faire face à de nombreuses marques d'hostilité avant et pendant le match. D'un point de vue humain, il était compréhensible qu'ils se soient laissés emporter avec le geste de l'aigle bicéphale et qu'ils aient ainsi exulté pour leur deuxième patrie à côté de la Suisse. Mais personne ne veut vivre une deuxième fois ce qui s'est passé.
On dirait que Xhaka et consorts regrettent tous leurs actes. Est-ce aussi le cas pour vous? En 2018, vous aviez également fait ce signe de l'aigle bicéphale.
J'ai toujours été solidaire avec mes coéquipiers et je ne suis pas un capitaine qui ne veut pas se brûler les doigts. Cela fait partie du sport et de l'amitié au sein d'une équipe. À l'époque, nous n'étions menés que 0-1 à la pause, grâce à Yann Sommer. Mais dans le vestiaire, tout le monde était mécontent et il y avait beaucoup d'agitation. Lorsque nous avons réussi à renverser la vapeur, c'était déjà incroyablement émouvant d'un point de vue sportif. L'ambiance surchauffée dans les tribunes a fait le reste. Rétrospectivement, c'était peut-être un peu trop, mais je ne dirais pas que c'était une erreur.
Est-il difficile pour les joueurs de faire abstraction du caractère politiquement explosif du match?
La meilleure réponse que la Nati puisse donner est une victoire sur le terrain. C'était déjà notre priorité en 2018. Les gars sont expérimentés, intelligents et ont tiré les leçons du passé. Mais bien sûr, occulter complètement les aspects secondaires ne fonctionne pas. Cela fait partie du jeu et un footballeur doit pouvoir le supporter, sans que cela affecte ses performances.
Un autre sujet abordé durant cette Coupe du monde au Qatar était le brassard de capitaine «One Love» avant le premier match. Auriez-vous souhaité que les fédérations et les capitaines ne s'inclinent pas devant la FIFA?
Le Qatar a des opinions et des lois que nous ne partageons pas, mais que nous devons respecter. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut les approuver. Sinon, il aurait fallu être cohérent dès le départ et ne pas participer du tout à cette Coupe du monde. Défendre ses propres opinions dans un pays étranger est difficile et peut conduire à des divisions. Et avec le Covid et la guerre en Ukraine, nous en avons malheureusement déjà assez en ce moment dans le monde. Une Coupe du monde doit faire les gros titres sur le plan sportif et ne pas être utilisée pour des conflits sociaux et politiques.
Parlons donc plutôt de sport. Vous avez joué avec la plupart des joueurs de l'équipe nationale actuels. Est-ce que cela vous démange quand vous les voyez évoluer?
Lors de l'Euro il y a un an, c'était difficile pour moi parce que ce tournoi devait avoir lieu en 2020 et devait être le couronnement de ma carrière. Puis le Covid est arrivé et a gâché mes plans. Depuis, je regarde les matches quand mon emploi du temps me le permet. J'ai raté la première mi-temps du match contre le Cameroun parce que c'était une journée de visite à l'école de mon fils, ce qui a bien sûr prévalu. Le match contre la Serbie, nous le regarderons en famille, sauf peut-être ma fille, qui s'intéresse moins au football.
La Suisse a perdu 1-0 contre le Brésil, sans jamais avoir tiré en direction des cages. Auriez-vous souhaité une équipe plus courageuse contre les Brésiliens?
Au-delà des statistiques, nous avons déjà eu deux ou trois actions offensives dangereuses qui auraient pu déboucher sur un but. Le Brésil n'a pas non plus eu beaucoup d'occasions. Devant la télévision, je pense toujours comme un joueur et, de ce point de vue, la Suisse a livré un match solide contre le grand favori. À la fin, une scène jouée de manière exceptionnelle par le Brésil a fait la différence. On ne peut pas défendre sur le but encaissé. La Nati peut tirer de ce match une grande confiance pour celui, décisif, contre la Serbie.
Sommes-nous en train de voir la meilleure équipe nationale de tous les temps ?
Ce genre de comparaisons est pour les médias et est finalement inutile. Nous sommes constamment à un haut niveau depuis de nombreuses années — malheureusement les détails ont longtemps joué contre nous. En 2006, les quarts de finale étaient déjà à portée de main lors de la séance de tirs au but contre l'Ukraine. En 2014, nous avons perdu en prolongations contre l'Argentine et en 2016 aux tirs au but contre la Pologne. Contre la Suède en 2018, nous aurions été assez bons pour gagner, mais nous ne l'avons tout simplement pas fait sur le terrain. Il y a un an, la chance a tourné du côté de la Suisse contre la France — et ce n'était pas trop tôt!
Sous Murat Yakin, la Nati est plus variée que sous son prédécesseur Vladimir Petkovic. L'a-t-il aussi rendue meilleure?
«Muri» n'a pas eu la tâche facile de reprendre l'équipe après la qualification pour les quarts de finale de l'Euro en 2021 et de la maintenir à ce niveau, avec des exigences accrues. Il fait un excellent travail. «Vlado» n'était pas très apprécié des journalistes, mais il a connu de grands succès. Et la première pierre de la Nati actuelle a été posée par Ottmar Hitzfeld, qui a osé intégrer de jeunes joueurs comme Granit et Xherdan. Ces trois entraîneurs ont tous d'énormes mérites pour le football suisse.
Et quand verrons-nous Stephan Lichtsteiner devenir entraîneur chez les professionnels ?
Pour l'instant, je suis au bon endroit avec les juniors. Pour eux, les connaissances d'anciens joueurs qui ont acquis de l'expérience pendant des années au niveau international sont extrêmement précieuses. En Suisse, le chemin est malheureusement long et semé d'embûches avant d'obtenir une licence d'entraîneur UEFA. Je ne suis pas d'accord avec la réglementation de la fédération selon laquelle il ne devrait pas y avoir trop d'entraîneurs. C'est le marché qui détermine qui y arrive et qui n'y arrive pas. Et pour que les joueurs puissent apprendre quelque chose après une carrière internationale, la formation doit être adaptée au niveau. Il ne sert à rien pour un étudiant de suivre les cours d'un enseignant du primaire. Il en va de même dans le football.
Comment ça?
En ce qui concerne la planification et les structures, je peux moi aussi apprendre certaines choses. Mais en fin de compte, c'est sur le terrain que se décide si l'on est un bon entraîneur. Les joueurs n'ont rien à gagner à ce que je rédige mes idées avec un en-tête et un interligne correct dans un rapport de vingt pages. Ce qui est important, c'est comment je réagis dans certaines situations, comment je lis un match et comment je leur parle. Ce sont des compétences qu'un ex-professionnel a généralement dans son sac à dos.