Milaim Rexhepi, socialiste et féru de foot
«Oui, on peut être un élu de gauche et suivre la Coupe du monde»

Homme de gauche et fan de football, Milaim Rexhepi est tiraillé au sujet de la prochaine Coupe du monde au Qatar. Ce d’autant plus qu’il est membre du Conseil général à Martigny, rare ville à avoir accepté une fan zone sur ses terres. Interview.
Publié: 09.11.2022 à 06:20 heures
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Dernière mise à jour: 10.11.2022 à 00:13 heures
Milaim Rexhepi a commencé le football à l'âge de 6 ans.
Photo: DR
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Matthias DavetJournaliste Blick

Vous êtes socialiste et féru de football. Est-ce que vous vous réjouissez du coup d’envoi de la Coupe du monde?
D’un point de vue footballistique, je m’en réjouis. C’est l’un des événements les plus suivis et la consécration pour tout footballeur. Ça rassemble les gens mais…

Oui?
Cette Coupe du monde 2022 ne me transcende pas. Au niveau des dates déjà: on a l’habitude d’avoir un Mondial en été avec des gens sur les terrasses. Et malheureusement, le pays choisi ne respecte pas les droits humains, n’a pas de culture foot et ce sont les pétro-dollars qui ont parlé pour l’attribution.

Vous allez tout de même regarder certains matches de cette Coupe du monde?
Oui, on peut être un élu de gauche et la suivre. Par contre, je serai focalisé sur l’équipe de Suisse. Ses matches sont notés dans mon agenda.

Avez-vous déjà pensé à la boycotter?
Non, la boycotter ne m’a jamais effleuré l’esprit. Je suis avant tout un fan de foot et ça fait 30 ans que je baigne là-dedans. De plus, le boycott ne résoudra plus rien maintenant. Il aurait eu du sens il y a douze ans, lorsque le Qatar a été désigné comme pays organisateur.

Donc c’est trop tard, on ne peut plus rien faire?
Non, il faut envoyer des journalistes sur place pour qu’ils remontent encore des choses que nous n’avons pas vues. Ouvrir les frontières permet aussi à des associations comme Amnesty d’avoir des gens là-bas. Certes, on n’arrivera pas à résoudre tous les problèmes en un claquement de doigts. Il faudra du temps et apporter des solutions.

Vous parlez des journalistes et des associations. Mais il y aura également des fans suisses au Mondial. Les comprenez-vous?
Pour ma part, je n’y serais pas allé. Le Qatar est un pays qui est en train de se faire de la publicité avec le sport et ça me révolte. Il y a de nombreux pays qui auraient pu profiter de tout cet argent investi. Ces millions injectés auraient pu résoudre des problèmes comme la famine ou l’accès à la santé dans des pays du tiers-monde.

Et lorsque vous regarderez les matches, vous penserez aux milliers de morts sur les chantiers?
Tout le monde va y penser, car je suppose que, à part les Qataris, la population mondiale est contre cette organisation. Ce qui s’est passé sur les chantiers est abject et désolant, et j’espère qu’il y a des moments durant les matches pendant lesquels on en parlera. Le but est qu’on ne redonne pas un tel événement à des pays qui ne respectent pas les bases de l’humanité.

Allez-vous autant suivre cette Coupe du Monde que si elle se déroulait dans un pays moins problématique que le Qatar?
Honnêtement, je ne pense pas. Je vais suivre les résultats, mais je ne regarderai pas tous les matches en replay…

Ce que vous faites lors des autres Coupes du monde?
Oui. Et en tant qu’entraîneur, j’organise toujours quelque chose autour de l’événement avec mon équipe, comme un concours de pronostics. On s’échange aussi normalement de nombreux messages WhatsApp et ça crée une ambiance dans le groupe. Cette année, je vais renoncer à tout cela.

Au sein de votre parti, des personnes vous ont-elles fait part de leur envie de boycotter ce Mondial?
Certains membres de mon parti sont totalement contre et vont boycotter. Il y aura même peut-être des manifestations. Et je les comprends tout à fait.

Certains ont-ils tenté de freiner vos ardeurs?
Non. On a des discussions ouvertes au sein du parti et ils comprennent ma décision.

Ueli Maurer a dit qu’il assisterait au match Suisse-Brésil. À l’inverse, Viola Amherd y a renoncé. À la place de nos conseillers fédéraux, qu’auriez-vous fait?
Je peux comprendre Ueli Maurer puisqu’il est le conseiller fédéral de tout un pays, y compris les joueurs qui représentent la Suisse à la Coupe du monde.

Mais vous, y seriez-vous allé?
C’est une question difficile. À mon poste actuel, non, je ne me serais pas rendu au Mondial. Mais je ne suis pas outré qu’Ueli Maurer le fasse… s’il se rend dans l’optique de soutenir les joueurs. Si c’est par invitation du Qatar, ça me plaît un peu moins.

Parlons fan zone. Certaines villes ont pris la décision de ne pas en organiser. Comprenez-vous cette décision?
Oui, je les comprends.

Milaim Rexhepi se rendra à la fan zone de Martigny.
Photo: DR

Pourtant, ce n’est pas le cas à Martigny…
Ce n’est pas la ville qui organise la fan zone, mais le Martigny-Sports subventionné à moitié par la commune. Et il y a quand même 450 juniors inscrits au club. Le foot est un sport très populaire qui permet d’améliorer les relations sociales.

Mais approuvez-vous cette fan zone?
Honnêtement, je ne pensais pas qu’il y en aurait et je n’en aurais pas demandé une à tout prix. Mais tout n’est pas noir ou blanc. Ce n’est pas aussi simple que de dire «je suis pour ou je suis contre». Avec cette Coupe du monde, il y a un véritable tiraillement entre le fan de foot que je suis et les convictions personnelles que j’ai.

Allez-vous vous rendre à la fan zone pour suivre certains matches?
Les matches de la Suisse, qui sont à des horaires convenables, oui. La première rencontre contre le Cameroun se joue à 11h et je serai au travail.

Vous avez dit à nos confrères du «Nouvelliste» que c’était «beaucoup d’argent alloué à un seul événement». Auriez-vous dit la même chose si la Coupe du monde avait eu lieu ailleurs?
Oui, je pense. Ce n’est pas forcément la fan zone liée au Qatar qui me dérange. Mais cet argent aurait pu être utilisé dans d’autres projets. Cette fin d’année risque d’être compliquée pour de nombreuses familles qui auront de la peine à payer leur facture d’électricité.

Concluons sur une note footballistique. Jusqu’où voyez-vous aller l’équipe de Suisse?
Jusqu’en demi-finales. Après, tout est possible…

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