La Coupe du monde de foot débute dans à peine trois semaines au Qatar. Mais l’événement est loin, très loin, de faire l’unanimité. Écologie ou droits de l’homme, les raisons qui poussent le public à s’insurger sont nombreuses. De son côté, le conseiller national socialiste Matthias Aebischer, observe les choses d’un œil critique. En réel fana de sport, le Bernois ne se prive pas de nous donner un avis très tranché sur la question.
Blick: Monsieur Aebischer, en tant que fan de foot, vous vous réjouissez du coup d’envoi de la Coupe du monde au Qatar?
Matthias Aebischer: Pour moi, une Coupe du monde de football est un moment fort. Mais cette fois-ci, mon impatience n’est pas vraiment au rendez-vous. Le Qatar n’a aucune culture du football et il y fait bien trop chaud pour que les joueurs et le public puissent apprécier ce moment. À noter que le pays aurait payé pour qu’on lui attribue la Coupe du monde 2022. À cela s’ajoute la situation insupportable des droits de l’homme. Tous ces éléments sont contraires à la philosophie du sport, telle que je la conçois. Pour moi, c'est clair: organiser une Coupe du monde au Qatar est une mauvaise décision.
Vous allez donc boycotter la Coupe du monde?
Je comprends tous ceux qui renoncent à suivre la compétition. Mais ce qui est perfide, c’est qu’un boycott pénaliserait le sport ainsi que les joueurs. Je suis fan de notre équipe nationale et je regarderai les matchs. Mais, comme beaucoup d’autres supporters, je suivrai ce championnat avec une certaine distance. Je comprends les villes et les bistrots qui renoncent aux projections publiques ainsi que ces gens qui ne souhaitent pas collectionner les autocollants Panini cette année. Personnellement, je renoncerai à ces à-côtés qui font normalement aussi parties de l’événement…
Cela ne vous donne-t-il pas mauvaise conscience de regarder des matchs dans votre coin?
Je ne culpabilise pas, non. J’éprouve plutôt de la colère envers la FIFA. L’institution ne rend pas service au sport en attribuant cette Coupe du monde au Qatar. À la place de parler des performances des joueurs ou de ce qui nous unit dans le foot, ce sont d’autres sujets qui sont mis en avant – à juste titre bien sûr. L’absence de droits de l’homme, les conditions déplorables des travailleurs migrants, la discrimination et l’oppression des femmes et des homosexuels… Sans oublier qu’il n’y a pas de liberté de religion au Qatar. Pas plus que de liberté de la presse, ce que des journalistes du monde entier apprennent actuellement à leurs dépens. C’est dommage que le sport ne soit pas au premier plan à cette occasion, mais c’est nécessaire dans ce contexte.
Vous pensez que cela aura des répercussions sur le terrain? On se souvient du moment où l’équipe nationale suisse avait protesté contre les essais nucléaires français avec une bannière «Stop it, Chirac» en 1995.
Il y aura des manifestations et des protestations dans le monde entier. Et je suis sûr qu’il y en aura aussi sur les terrains de foot. Il y a déjà eu des actions courageuses en amont. L’équipe nationale allemande, par exemple, s’est présentée avec des T-shirts «Human Rights». Pareil dans l’équipe nationale suisse… certains joueurs ne comptent pas accepter la situation sans réagir.
N’est-ce pas hors propos de mener des actions politiques sur un terrain de football?
Pour être honnête, je préférerais surtout que la Coupe du monde se déroule dans un pays qui respecte les droits de l’homme. Dès lors, les actions de protestation seraient totalement inutiles. Et effectivement, je trouve qu’utiliser le sport pour faire passer un message politique n’est pas constructif. Cependant, dans le cas du Qatar, c’est l’organisateur lui-même qui pose problème. Le pays utilise le sport pour se faire de la publicité.
Le Qatar a tout de même mis en place certaines mesures pour améliorer les conditions des travailleurs immigrés. C’est tout de même positif, non?
Certes, la situation des travailleurs migrants s’est quelque peu améliorée ces dernières années et la FIFA veut accorder plus d’attention aux droits du travail à l’avenir. Mais dans quelle mesure ces engagements s’inscrivent-ils dans la durée? Que se passera-t-il au Qatar après la Coupe du monde? Les conditions de travail des migrants du Népal, du Sri Lanka ou du Pakistan restent misérables malgré tout. Et a-t-on vraiment assisté à un changement de mentalité au sein de la FIFA, du Comité international olympique et des autres grandes fédérations sportives? Jusqu’à présent, je n’entends que des déclarations du bout des lèvres, la preuve par l’acte fait défaut. L’exemple le plus récent est l’attribution des Jeux asiatiques d’hiver 2029 à l’Arabie saoudite. Sans parler de la situation des droits de l’homme dans le pays, on parle tout de même d’une région où il ne neige même pas… C’est une plaisanterie, un scandale. Encore une fois, le sport perd toute crédibilité.
Une solution est-elle envisageable?
Depuis des décennies, la FIFA ou le CIO promettent de faire mieux. Mais pour cela, il faudrait une procédure d’élection transparente pour l’attribution des grands événements sportifs. De même, les candidats devraient s’engager en faveur des droits de l’homme et de la protection des travailleurs. Il faudrait également mettre certaines règles en place, comme l’exclusion des candidats qui ne respecteraient pas certains critères. Les dictatures et les régimes autocratiques seraient éliminés d’emblée. Le Qatar n’aurait ainsi jamais pu figurer sur la liste.
Pour finir, parlons un peu de sport… l’équipe nationale suisse est-elle capable de nous surprendre selon vous?
Notre équipe nationale n’a jamais été aussi bonne. Elle peut battre n’importe quel adversaire. Elle l’a prouvé en battant l’Espagne ou le Portugal en Ligue des nations ou en remportant l’Euro contre la France. J’ai confiance.
(Adaptation: Valentina San Martin)