Ville de tous les superlatifs
Que cache Doha, la capitale éphémère du foot aux deux visages?

D'un petit village de pêcheurs à l'une des villes les plus influentes du monde, Doha a connu un développement fulgurant au cours du siècle dernier. À trois semaines du coup d'envoi de la coupe du monde, Blick s'est rendu dans la mégalopole aux deux visages. Reportage.
Publié: 31.10.2022 à 06:14 heures
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Dernière mise à jour: 31.10.2022 à 07:40 heures
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Si l'on contemple pour la première fois la ligne d'horizon de Doha, on pourrait croire que la ville est un mirage dans le désert.
Photo: Getty Images
Ramona Schelbert, Tobias Ochsenbein

Voyage depuis l’aéroport international Hamad jusqu’au centre de Doha, la capitale du Qatar. Lorsque le regard se pose pour la première fois sur la ligne d’horizon, on pourrait croire que la ville est un mirage. Là où, jusque dans les années 1960, il n’y avait guère que des maisons en torchis dans le paysage désertique, des gratte-ciel surgissent aujourd’hui du sol, des bolides de luxe sillonnent les rues, la promenade de la Corniche s’étend sur des kilomètres, des stars du football et l’émir du Qatar font des signes depuis des façades équipées de LED. Le centre représente la majeure partie de l'attrait touristique: une ville moderne et même futuriste par endroits.

À partir du 20 novembre, le Qatar accueillera la Coupe du monde de football masculin - dans des stades climatisés. C’est la première fois que l'événement se déroule dans un pays arabe - et en hiver.

Depuis sa nomination en tant que pays hôte, le petit émirat a mené une campagne de relations publiques conséquente afin d'apparaître aux yeux du monde sous son plus beau jour. Blick a enquêté pendant une semaine sur place pour voir au-delà de la façade affichée par le Qatar. Car malgré tout le faste et la publicité, le Qatar a souvent deux visages: progressiste et conservateur, riche et pauvre, ouvert sur le monde et hermétiquement fermé.

La zone industrielle et ses habitants: la face cachée de la capitale qatarie

La zone industrielle de Doha est un parfait exemple de la face cachée du Qatar. En quittant le centre-ville, à une vingtaine de kilomètres au sud, on arrive dans un monde parallèle poussiéreux qui n'a rien à voir avec la vie scintillante de la capitale. Un endroit qu’un touriste ne devrait pas voir. Ici, il n’y a pas de gratte-ciel, pas de façades en verre, pas de centres commerciaux de luxe. Tous les bâtiments sont entourés de murs, des agents de sécurité sont postés à l’entrée des cités ouvrières. L’accès est interdit aux personnes extérieures. Ceux qui ne travaillent pas ici doivent rester dehors.

La zone industrielle est peut-être le quartier le plus important de Doha. Elle est le cœur de l'Etat du Golfe en plein essor. Seulement, cette partie de la ville n'apparaît nulle part dans les campagnes de promotion du gouvernement. En outre, elle ne doit pas attirer les visiteurs: c'est la face cachée de la mégalopole qatarie.

Les habitations sont sans charme. Street 39, Street 40 - ici, les rues n’ont plus de nom, juste des numéros. On ne trouve pas de tels endroits dans les guides touristiques, on les découvre par hasard.

Une grande partie des habitants de Doha vit dans la zone industrielle. Des centaines de milliers d’ouvriers et d'ouvrières, originaires pour la plupart de pays asiatiques et africains, s’entassent dans des logements surpeuplés. . Quand ils se rendent dans le centre, où les riches Qataris achètent des symboles de statut social dans des centres commerciaux pompeux, ils se contentent de nettoyer les rues, les yachts ou les toilettes en marbre. Ils construisent des tours en verre et en acier – et des villas. En bref: ils veillent à ce que la façade de Doha brille en permanence. Mais eux ne connaîtront jamais une telle prospérité.

De village de pêcheurs à puissante mégalopole

L’actuelle Doha s’est développée à partir du village d’Al Bidda, mentionné pour la première fois dans des documents historiques vers la fin du 17e siècle. Un village côtier insignifiant au bord du désert. Un nid dont les habitants vivaient majoritairement de la pêche. Jusqu’à ce qu’ils y découvrent du pétrole, puis du gaz, dans les années 1930. L’essor de l’industrie pétrolière a entraîné une augmentation rapide de la population et une expansion sans précédent de la ville. Aujourd’hui, Doha est l’une des capitales les plus influentes du monde arabe.

«Doha ressemble à une ruche»

Ibrahim Mohamed Jaidah est l'un des acteurs de ce changement fulgurant. L’architecte a marqué la ville de son empreinte avec ses constructions. Il a notamment construit le stade al-Thumama, l’un des huit stades de football dans lesquels se jouera la Coupe du monde. Lui aussi a profité des centaines de milliers d’ouvriers des quartiers industriels. Il critique ouvertement les conditions dans lesquelles travaillent et vivent ces personnes. «C’est pourquoi je m’engage à ce que leurs conditions s’améliorent ici dans le pays», affirme-t-il.

Dans son bureau au 22e étage, l'architecte se tient devant une immense fenêtre qui offre une vue imprenable sur les Katara Towers. Il s’agit d’un hôtel six étoiles récemment construit, avec deux tours voûtées, en hommage architectural à l’emblème national du Qatar, orné de ses deux crosses de sabre. C’est là que doivent résider pendant la Coupe du monde les «VVIP», les «very, very important persons», déclare Ibrahim Mohamed Jaidah.

«Depuis le boom pétrolier, mais plus particulièrement depuis l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, Doha ressemble à une ruche. Ce qui a été construit ici au cours des dix ou vingt dernières années est massif. Cette croissance a changé bien plus que l’aspect de la ville: l’économie, la croissance démographique, la culture. Tout cela est arrivé très vite», poursuit le soixantenaire. Peut-être trop rapidement.

«Pendant trop longtemps, nous n’avons fait que copier les villes occidentales, nous n’avons guère prêté attention à la durabilité et notre culture ne s’est pas reflétée dans l’urbanisme», regrette l'architecte. Selon lui, les lois sur la construction sont aujourd’hui beaucoup plus strictes, la conscience de notre propre héritage et de la durabilité est bien plus grande.

Le pays de tous les superlatifs

Quand Ibrahim Mohamed Jaidah parle de l’influence de la culture dans l’architecture qatarie, il fait également référence au Musée national du Qatar. Ce bâtiment spectaculaire s’inspire d’une rose des sables, une formation en forme de rose faite de sable et de cristaux de sel qui se forme sur le sol chaud du désert.

La construction du célèbre architecte français Jean Nouvel a coûté plus de 400 millions de dollars américains. À l’intérieur, il y a une surface d’exposition de 40'000 mètres carrés et un parcours de 1,5 kilomètre de long permet de découvrir l’histoire du pays. On peut y écouter sur des écrans géants des personnes de générations plus anciennes qui racontent leur vie passée de bédouins, de pêcheurs et de plongeurs de perles. Ces témoignages décrivent un mode de vie simple qui, à Doha, appartient désormais à un passé lointain.

La rose des sables, les belles façades brillantes, les îles artificielles et les routes à plusieurs voies détournent le regard du quartier industriel et de tous ses ouvriers qui ont fait du Qatar ce qu’il est aujourd’hui: un pays de tous les superlatifs – pour le meilleur et pour le pire.

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