Commençons par l’essentiel: mon âge. Je suis d’une génération que la France avait habituée à la défaite. Celle du culte des Bleus qui perdent avec panache. Né en 1966. Rivé à son écran, seize ans plus tard, en ce 8 juillet 1982 d’anthologie. Platini, Giresse, Tigana, Rocheteau, Trésor: 3-1 contre l’Allemagne de l'Ouest en demi-finales à Séville (Espagne), lors de la première prolongation. Puis la remontada germanique et les tirs au but ratés de Six et Bossis.
Cette France-là se glorifiait de ne pas avoir d’étoile accrochée au maillot. Une défaite en forme de victoire morale, avec le gardien Schumacher en adversaire sorti droit de l’enfer. La France footballistique de ma jeunesse est celle de Battiston, face contre terre, «séché» par un gardien allemand sans âme. Battus, d’accord, mais pour la gloire. Comme Vercingétorix à Alésia, encerclé par Jules César en l’an 52 avant Jésus-Christ. Comme le corps expéditionnaire dans la cuvette de Diên Biên Phu, en Indochine, le 7 mai 1954. Perdre, et surtout ne jamais l’oublier.
Alors que faire dimanche? Soutenir les Bleus comme il se doit face à l’Argentine de Lionel Messi? Ou se dire que la France n’est pas l’équipe rêvée qui vous fait chavirer? J’ai trouvé cinq raisons de ne pas crier «Allez», mais «Vamos». Au moins en début de match…
Benzema ne méritait pas ça
On est nombreux à en avoir rêvé. Karim Benzema, alias KB9, les bras levés vers le ciel avec le trophée en main. Plus qu’une revanche: un destin héroïque. Voir Benzema, à 34 ans, faire mentir tous ceux qui le disaient incapable d’un projet collectif. Voir Benzema faire oublier Zidane. Voir Benzema, le gone lyonnais de Bron, faire de l’ombre à Mbappé, le kid parisien de Bondy. Non, Karim ne méritait pas de disparaître ainsi, terrassé par une blessure. Le Qatar était taillé pour lui. Son duel avec Messi aurait été d’anthologie. Un «règlement de comptes à OK Corral», version ballon rond. Avec la rédemption de Benzema, cette finale aurait été mythique. Il ne reste qu’un héros sur l’herbe: Messi le magnifique.
Mbappé peut encore attendre
Le problème des surdoués est qu’ils sont fatigants. On les regarde. On les admire. On les envie. Et on s’énerve. Vous aurez envie, vous, d’applaudir lorsque le prodige des stades brandira, à 23 ans, la Coupe du monde pour la deuxième fois consécutive? Avouez que vous avez pensé comme moi, le 28 juin 2021. Triste pour lui après le tir au but raté contre la Suisse. Mais plutôt satisfait de lui avoir barré la route. Trop fort. Trop rapide. Trop talentueux. Kylian est le clou qui dépasse. Au Japon, où j’ai été correspondant, ces clous-là sont faits pour qu’on leur tape dessus. Pas fort. Mais avec fermeté.
Revoir le tir au but de Mbappé contre la Suisse:
Deschamps n’est pas Napoléon
Il n’est pas corse, mais de Bayonne. Son sacre a déjà eu lieu. Son parcours est semé d’Austerlitz. Et aucun Waterloo, de toute façon, ne pourra ternir son règne. Didier Deschamps, 54 ans, est un Napoléon qui ne risquera jamais l’exil à Sainte-Hélène, puisque ses Bleus ont battu l’Angleterre en quarts. Et puis il y a ce ton. Docte. Professoral. Ce ton sérieux et respecté qui sied si peu à la France ébouriffée et désordonnée. Ne pas soutenir la France, dimanche, c’est refuser la fatalité d’une victoire obtenue à la force du poignet et de la discipline. C’est préférer la révolution permanente au règne de la force vertueuse. À Napoléon, préférons Ernesto «Che» Guevara, le plus cubain des Argentins, né à Rosario, la même ville qu'un certain... Lionel Messi.
Messi, à demi Qatari
Oui, c’est énervant. Si Messi flamboie, l’Émir du Qatar se frottera une fois de plus les mains. Logique. Faire venir le prodige argentin vieillissant au Paris Saint-Germain pour – dit-on – près de 160 millions d’euros, représentait un sacré pari. Mais bon, oublions ce septième Ballon d’or de 2021, taillé lui aussi sur mesure pour faire fructifier les bonnes affaires de l’Émirat. Leo Messi, ce n’est pas le Qatar Inc… Ce joueur-là a eu une autre vie. À Barcelone. Alors que si la France l’emporte, tout ce que le Qatar compte d’amis bien placés, dans la capitale française, se verra dans la foulée récompensé. L’Argentine ne vend pas de Rafale. Elle n’a pas non plus besoin de gaz. Bon, je sais, je m’égare…
Diego et Pelé, adieu!
Ils seront là. Sur le terrain. Dans les tribunes. L’un nous a quittés en septembre 2020. L’autre est mourant, au Brésil, sur son lit d’hôpital, admis en soins palliatifs au tout début de ce Mondial. Maradona et Pelé. L’Argentin et le Brésilien. Deux icônes aux antipodes, porte-drapeaux de deux pays voisins qui ne s’aiment pas, et encore moins quand on parle de football. Mais il faut bien que le foot, un jour, réconcilie les ennemis. Imaginez l’Argentine victorieuse. Tout un continent qui se réveille. La victoire du football qui chante, qui danse et qui reste, en Amérique Latine, le sport des plus pauvres.
Adieu Diego! Adieu, Pelé! Cette Coupe du monde sera la vôtre. La France la mérite aussi, cela ne fait pas de doute. Les Bleus seront, s’ils l’emportent, d’excellents vainqueurs. Mais dans le ciel du foot, l’étoile de cette victoire vous appartient déjà.