Un Ballon d’or qui fait du bien à la République. Cette affirmation, au soir de la récompense footballistique suprême accordée à Karim Benzema, peut faire sourire par sa naïveté. Un précipice sépare, fort heureusement d’ailleurs, le sport et la politique. Mais dans le cas de l’avant-centre français du Real Madrid, couronné à 34 ans lundi soir à Paris 24 ans après Zinedine Zidane, la formule est justifiée. Car plus que tout autre joueur de foot de premier plan, Benzema a symbolisé, depuis le début de sa carrière, un certain mal-être français et républicain, désormais réparé.
Une polémique politique ambulante
La question n’est pas tant celle de ses origines. Né en 1987 dans une famille d’immigrés algériens installée à Bron, dans la banlieue de Lyon, Karim Mostapha Benzema n’est en rien différent des autres stars françaises du ballon rond issues de l’immigration. Sauf que son caractère, ses premiers buts au SC Bron Terraillon son choix d’un exil doré espagnol puis son implication dans la scabreuse affaire de la «sextape» dont fut victime en 2015 son coéquipier Mathieu Valbuena ont un temps transformé cette star des stades en polémique politique ambulante.
Pour ou contre Benzema, d’autant que celui-ci n’hésita pas, en 2018, à hisser le drapeau algérien en finale de la Ligue des champions? Pour ou contre cet enfant turbulent des quartiers populaires de Lyon, que le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, décida de laisser, cinq années durant, à l’écart de l’équipe nationale? Qu’il le veuille ou non, le sort de Benzema, proclamé Meilleur joueur de l’UEFA 2021-2022 et désormais également Ballon d'or, ne peut pas être que la seule somme de ses buts marqués.
La réalité est que Karim Benzema, parti en 2009 pour la capitale espagnole après avoir remporté le championnat de France à quatre reprises consécutives avec l’Olympique Lyonnais (de 2005 à 2008), a accepté d’être clivant. Le Nancéien «rital» Michel Platini et le Marseillais Zinédine Zidane, issu d'une famille kabyle, incarnèrent avant lui une forme de générosité républicaine, d’intégration plus ou moins sans problème.
Changement d’époque pour Benzema, né une année après la première vague d’attentats islamistes commis en France, en 1985-1986. Quatre ans avant sa naissance, la marche des Beurs est partie de Lyon pour rejoindre Paris. L’heure est à SOS Racisme et à la revendication des communautés issues de l’immigration. Benzema est, sans le vouloir, le fils de son époque, plus identitaire et plus religieuse que les précédentes. Plus fric aussi, lui qui tape dans ses premiers ballons alors qu’à Marseille règne un certain… Bernard Tapie.
Enfant des années 1990
Zinédine Zidane, qui sut l’amadouer et le dompter comme entraîneur au Real Madrid, est un enfant des années 1970. La France sort alors tout juste de la décolonisation. Les accords d’Evian sur l’indépendance de l’Algérie, signés en 1962, sont encore vivants dans les esprits.
Karim Benzema est le fils d’une autre tragédie. L’avant-centre a 10 ans lorsque en 1997, la guerre civile s’empare du pays de ses parents, entre l’armée et les groupes islamiques. Les fractures algériennes défont les banlieues françaises. Le 29 septembre 1995, le terroriste Khaled Kelkal, présumé responsable de la vague d’attentats de cette année-là, est tué dans les monts du Lyonnais. La paix n’est plus le maître mot. La guerre algérienne, avec son lot de douleurs et de mémoires bafouées, se conjugue en français.
Retour chez les Bleus en 2021
C’est ce contexte, et cette France-là, que Karim Benzema a finalement réussi à laisser derrière lui en s’imposant sans conteste possible au Real Madrid, puis au sein des Bleus, qu’il a retrouvés en 2021. Fait étonnant: le meilleur joueur du monde 2022 ne faisait pas partie, en 2010, des 22 bleus sélectionnés pour le Mondial sud-africain qui fit couler tant d’encre, après la grève des joueurs et leur débâcle sportive. Coup de chance pour celui qui, à ce jour, n’a disputé qu’une seule et unique Coupe du monde, au Brésil, en 2014. Puis coup de grisou quatre ans plus tard, lorsqu’il se retrouve écarté de la sélection victorieuse en 2018.
Sa réconciliation avec le public français étant désormais achevée, Karim Benzema sait ce qu’il lui reste à faire: démontrer lors du Mondial Qatari que la France fracturée peut toujours se réunir. Pour l’emporter ensemble.