Cela fait plusieurs années que je dis à qui veut bien l'entendre que la période dorée que nous vivons depuis un peu plus de dix ans n'est pas éternelle. Qu'un jour prochain, Granit Xhaka, Xherdan Shaqiri, pour moi les deux meilleurs joueurs de l'histoire de l'équipe nationale, ne seront plus là. Ricardo Rodriguez, qui les rejoindra bientôt sur le podium des joueurs suisses les plus capés, non plus. Je continue de penser que, ce moment venu, se qualifier pour une Coupe du Monde et même pour un EURO à 24, n'ira plus de soi.
En attendant, en cette fin d'année 2023, comme un grand pays de football qu'elle n'est pas, la Suisse ne parle ces jours que de l'éviction possible d'un sélectionneur qui, depuis deux ans, a atteint tous les objectifs qui lui étaient fixés. Ces derniers temps, comme chez les cadors, les conférences de presse commencent par la question «Est-ce que ce sera votre dernier match à la tête de l'équipe?». On dirait Chelsea ou l'Allemagne.
Durant mes deux premières années au commentaire de l'équipe de Suisse, Vladimir Petkovic a, lui aussi, souvent été remis en question, notamment après la défaite 3-0 contre l'Italie à l'EURO. Et je l'ai toujours défendu. Un de mes arguments était précisément celui-ci: N'oublions pas qui nous sommes et d'où nous venons. Dans le cas de Murat Yakin pourtant, je fais partie de ceux qui pensent qu'un changement est nécessaire.
Magnifier les joueurs à disposition
On réalise ces jours la qualité fondamentale qu'avait Vladimir Petkovic: Celle d'avoir su composer une équipe magnifiant celles des joueurs à sa disposition. Quand, parmi ses meilleures individualités, se trouvaient trois défenseurs centraux, il a adapté son système de jeu. Lorsque Shaqiri, il y a quelques années déjà, a perdu sa capacité à percuter sur les côtés, il l'a placé derrière les attaquants. Au moment où Seferovic, un joueur qui marche à la confiance, était dans un trou, Petkovic continuait de le titulariser. Sans jamais se mettre lui en avant.
L'équipe de Suisse de cette année fut, plus que jamais, moins forte que la somme de ses individualités. Schär, Elvedi, Akanji sont méconnaissables alors qu'ils vivent leurs meilleures années en club. Xhaka distille des passes laser à Leverkusen mais se traîne (il en est aussi responsable) avec la Suisse, Yakin n'ayant toujours pas décidé quelle était sa meilleure position. Sa gestion de Zakaria ces deux dernières années mériterait une chronique entière. Offensivement, l'absence d'Embolo ne suffit pas à gommer le sentiment que l'animation reste un chantier.
Manque d'anticipation
Son manque d'anticipation au poste de latéral droit, déjà largement commenté, a eu une conséquence pour le moins ironique. Cet entraîneur venu pour imposer ses idées, et parmi elles une défense à 4, a dû opter pour un système à 3 lors des deux matches les plus importants de son mandat: un huitième de finale de Coupe du Monde et ce duel en Roumanie qui a peut-être scellé son destin.
Ces critiques sont toutes d'ordre sportif. Elles tiennent compte d'un contexte, celui d'un groupe de qualification faible qui aurait au minimum dû faire de l'année 2023 un laboratoire pour l'EURO et au-delà. Plutôt que d'y répondre concrètement, Murat Yakin estime que c'est sa personne qui est attaquée par certains journalistes. Je pense pour ma part qu'une grande majorité d'entre nous avons au contraire une vraie sympathie pour l'homme.
Les rendez-vous des équipes nationales ne sont pas très nombreux. Et ils sont courts. Pour performer, une sélection comme la Suisse a besoin de certitudes, aujourd'hui perdues en route. Mais il n'est pas trop tard pour autant. L'EURO 2024 peut toujours être un tournoi historique pour cette sélection. Ce dont elle a besoin, c'est d'un entraîneur qui en a la conviction, ainsi que les idées claires. Si l'ASF n'arrive pas à le trouver ou qu'aucun des noms cités ces derniers temps ne veut y aller, il faudra se poser d'autres questions. Et accepter, peut-être, que c'est au début d'un déclin que nous avons assisté cet automne.