Le soleil brille, le ciel est bleu acier. Et pourtant, des nuages noirs planent au-dessus du Tour de Suisse. Un jour après la mort de Gino Mäder, on essaie de se rapprocher de la normalité, tout en sachant que désormais, rien n'est normal. Comment y parvenir? Les dirigeants de la boucle ont décidé vendredi peu avant minuit que la course se poursuivra. Le Tour des femmes peut également débuter comme prévu.
Une bonne mesure? «Il n'y a pas de bonnes décisions aujourd'hui», a déclaré le Belge Wout von Aert au départ à Tübach (TG). Le directeur du Tour de Suisse, Olivier Senn, estime au contraire qu'«il n'y a pas de mauvaises décisions aujourd'hui». Cela semble contradictoire, mais ça ne l'est pas. Car pour une fois, seuls les sentiments comptent dans ce sport où, habituellement, seul le résultat est important.
Trois équipes abandonnent
Très tôt, trois équipes décident de quitter le Tour. Bahrain Victorious, l'équipe de Gino Mäder, est la première. Tudor Pro Cycling, la formation de Fabian Cancellara, se retire également. Le porte-parole Kilian Pfyfer explique que l'on n'est pas prêt à passer à l'ordre du jour: «Aucun de nos coureurs ne se sent capable de remonter sur son vélo.» Et Intermarché-Circus-Wanty, l'équipe de Biniam Girmay, ne prend pas le départ. L'Erythréen avait remporté la deuxième étape à Nottwil au sprint.
A 11h25, Olivier Senn explique pourquoi le Tour de Suisse ne sera pas interrompu: «J'ai toujours été en contact avec Andreas, le père de Gino. Il était crucial pour moi d'entendre le souhait de la famille. Elle s'est prononcée pour que nous continuions.» Olivier Senn entre alors immédiatement en contact avec les équipes, les directeurs sportifs et l'UCI. Tous donnent également leur feu vert. «Que certaines équipes et certains coureurs se soient retirés, je peux le comprendre. Chacun doit et peut écouter son cœur», souffle le patron du Tour de Suisse.
C'est exactement ce que font les coureurs suisses. Marc Hirschi – qui s'entraînait avec Gino Mäder dans leurs jeunes années – ne se présente pas au départ. La signature de Stefan Küng manque également sur la feuille d'inscription. Le Thurgovien aurait fait partie des favoris du contre-la-montre individuel de dimanche – il a déjà gagné lors du prologue à Einsiedeln (SZ). Enfin, Michael Schär renonce lui aussi à poursuivre son dernier Tour de Suisse.
«C'était tout simplement une très bonne personne»
Sur les 12 Suisses qui avaient initialement pris le départ, il n'en reste plus que trois: Stefan Bissegger, Reto Hollenstein et Silvan Dillier. «Chacun gère la situation différemment, estime ce dernier. Si je remarque pendant la course que ça ne va plus, j'arrête.»
Silvan Dillier se souvient de l'époque où il formait une équipe sur piste avec Gino Mäder. «Gino était agréable et posé – c'était tout simplement une très bonne personne.» Le coureur d'Alpecin-Deceuninck parle ensuite d'une conversation avec son fils aîné Ilja, qui ne comprend pas encore tout à fait la mort de Mäder. «Je lui ai dit: Si l'on ferme les yeux, Gino est toujours avec nous. Il reste avec nous.»
Le départ est donné à 12h15. Sans le bang habituel, mais avec une minute de silence. On fait voler une colombe en mémoire de Gino Mäder, puis on applaudit. Le speaker anime le tout avec l'empathie nécessaire. «Je suis encore en train d'assimiler tout cela, souffle Georges Lüchinger. C'est mon 30e Tour de Suisse. Avant-hier, j'ai encore fait une interview de Gino, et maintenant je ne le reverrai plus jamais.»
Le leader du Tour a perdu un ami
Les spectateurs au bord de la route le comprennent immédiatement: on ne roule pas comme d'habitude, le peloton se déplace en bloc sur 183,5 kilomètres. On ne flâne pas, mais on renonce aux tentatives d'échappée et aux attaques. La direction du Tour avait déjà décidé auparavant qu'il n'y aurait pas de secondes de bonification lors des sprints intermédiaires ni à l'arrivée. Et qu'à 25 kilomètres de l'arrivée, on prendrait le temps pour le classement général.
«Il s'agissait d'enlever la pression, explique Olivier Senn. Pour que ceux qui ne se sentent pas à l'aise n'aient pas à rouler à fond dans le final.» Mattias Skjelmose défend sans problème sa position de leader au classement général. «Il y a quelques années, j'ai perdu un bon ami à moi dans une course. C'était très dur à l'époque – tout comme c'est dur aujourd'hui», souffle le Danois.
Les cloches ne sont pas agitées
Des banderoles sont régulièrement visibles le long du parcours. «Gino, tu nous manques», peut-on y lire. Mais aussi: «Gino, tu restes avec nous» ou «Gino, nous t'aimons». Le fan-club de Stefan Küng rend également hommage au cycliste suisse à Rossrüti (TG).
Tout comme les coureurs portent des brassards noirs, on peut voir du noir sur les drapeaux du fan-club. L'oncle de Stefan Küng, Fritz Leu, explique: «Stefan est à la maison et essaie de tout assimiler. Nous avons les cloches avec nous, mais nous ne les brandissons pas, nous nous contentons d'applaudir.»
Remco Evenepoel et Jan Christen gagnent pour lui
La course s'accélère ensuite sur les 25 derniers kilomètres. Les premières attaques, les contre-attaques se succèdent, certains coureurs se font distancer dans les montées. Tout est presque comme d'habitude.
C'est alors que Blick reçoit une photo de Bruno Diethelm. Celui-ci accompagne son protégé Jan Christen – le grand talent du cyclisme suisse – sur le Giro Next Gen, le Tour d'Italie pour les jeunes coureurs. «Victoire en solo de Jan», écrit-il. La photo montre Jan Christen, les deux index pointés vers le ciel. «Je suis tombé aujourd'hui, je me suis relevé et j'ai gagné l'étape reine. C'est incroyable. Hier, j'étais sous le choc, j'avais du mal à dormir. Et maintenant, ceci. Cette victoire est pour Gino», explique le jeune cycliste au téléphone.
Peu après, Remco Evenepoel s'impose à Weinfelden (TG). Le champion du monde belge atteint lui aussi l'arrivée seul. Et lui aussi pointe le doigt vers le ciel. «Pour moi, il n'y a pas de meilleur moyen d'honorer Gino que cette victoire», dit-il après l'étape.