Le meilleur nageur ukrainien à Lausanne
«Recouverte de sang, la bannière neutre n’a pas sa place aux JO»

A l'occasion de la Lausanne Swim Cup et d'une année de guerre en Ukraine, Blick s'est entretenu avec le meilleur nageur ukrainien, Andriy Govorov. Témoignage poignant au bord du bassin de la Vaudoise aréna.
Publié: 25.02.2023 à 07:31 heures
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Dernière mise à jour: 25.02.2023 à 08:05 heures
Andriy Govorov participe à la Swim Cup de Lausanne ce week-end.
Photo: Roldy Cueto Cabrera
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Matthias DavetJournaliste Blick

Andriy Govorov n'a eu beau nager «que» durant 22"81, il est essoufflé au moment où on l'arrête. Pendant qu'il reprend son souffle, on discute de tout et de rien. De la beauté du bassin ou de la rapidité de celui-ci. Mais quand le dictaphone commence à enregistrer, nous savons tous les deux très bien sur quoi la conversation va porter. Ce vendredi 24 février 2023 marque le premier anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, pays d’origine d’Andriy Govorov.

«Ça me brise le cœur», annonce d’emblée le détenteur actuel du record du monde du 50m papillon. L’Ukrainien se souvient très bien ce qu’il faisait au moment où la guerre a commencé: «J’étais en camp en Allemagne et je devais aller aux championnats nationaux. Mais mon vol a été annulé. J’étais en train de dormir quand j’ai reçu plein de messages à 4h du matin… Ce jour était fou car j’ai dû aider mes amis à s’enfuir. Ce moment était comme un cauchemar.»

«Ça a été une sage décision»

Heureusement, Andriy Govorov a pu extraire sa femme et son fils la veille du conflit. «Je ne voulais pas qu’ils soient sous les feux des bombes, souffle l’Ukrainien. Ma maison était proche de l’aéroport et celui-ci a été détruit pendant la nuit. Ça a été une sage décision.» Le reste de sa famille est restée en Ukraine. Désormais, Daria Govorova et leur enfant vivent avec Andriy, au Portugal.

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«En Ukraine, il n’y a pas d’endroit en sécurité pour s’entraîner, ni de manière facile de se déplacer»
Andriy Govorov
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Car depuis janvier, le sprinteur est établi dans la péninsule ibérique, après avoir changé «cinq fois d’endroits et de coachs». «La Fédération portugaise et son président me soutiennent totalement, je suis un membre à part entière de leur équipe, précise Andriy Govorov. Et je vais sans doute rester là-bas jusqu’aux Jeux olympiques.»

Les Jeux olympiques, un objectif, mais également une tribune pour l’Ukrainien. À Paris, il refuse catégoriquement la participation des athlètes russes. «Le gouvernement russe utilise le sport pour atteindre ses objectifs, précise l’Ukrainien. Il essaie toujours de prendre la voix de ses athlètes pour représenter le pays et ce n’est pas correct.» Et concourir sous bannière neutre n’est pas non plus une solution pour Andriy Govorov: «On ne doit pas accepter des drapeaux blancs qui seront recouverts de sang.»

Govorov est originaire de Crimée

La Russie, l’Ukrainien la connaît bien. Le natif de Sébastopol y a vécu durant son enfance, pendant sept ans. Il se souvient bien du système russe, «où la propagande touche toute la société». Là-bas, il parle d’une mentalité condescendante. «Au niveau de l’éducation, on ne nous dit pas: 'La Russie, c’est bien', on nous dit: 'On est meilleurs que les autres.'» Cette pensée, Andriy Govorov l’a brutalement expérimentée en 2014, lors de l’invasion de la Crimée: «Lorsqu’ils ont pris ma terre natale, j’étais dans un club italien et j’avais des coéquipiers russes. Ils faisaient des blagues et étaient contents d’avoir pris la Crimée.»

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À la suite des territoires du sud, les Russes ont envahi l’Est le 24 février 2022. «Après une année, on voit que le camp ukrainien est fort. Nous défendons notre patrie et je crois que nous allons bientôt remporter la guerre et retrouver tous nos territoires. C’est le rêve de tout Ukrainien.»

Depuis plus de 365 jours, Andriy Govorov n’a plus mis les pieds dans son pays natal. «J’aimerais bien y retourner. Mais on a besoin d’une raison valable. Il n’y a pas d’endroit en sécurité pour s’entraîner, ni de manière facile de se déplacer. Je vais à beaucoup de compétitions et je voyage beaucoup afin de me préparer aux JO. Ça ne sert à rien de voyager 2000 kilomètres en voiture avant chaque compétition.»

«C'est le mieux que nous pouvons faire»

Et c’est justement en compétition que l’Ukrainien est à Lausanne. Et malgré le drame qui a lieu dans son pays, il porte fièrement le drapeau jaune et bleu sur son bonnet. «C’est le mieux que nous, athlètes, pouvons faire, s’exclame-t-il. On montre qu'on se bat toujours dans les compétitions, qu’on a la force de le faire malgré nos conditions.»

Les conditions de la Fédération ukrainienne de natation sont évidemment précaires depuis un an. C’est pour cette raison que la Swim Cup a décidé d’aider financièrement les nageurs ukrainiens au niveau du logement et de l’inscription aux courses. «J’ai un nom dans le milieu, c’est plus facile pour moi d’avoir des avantages, admet Andriy Govorov. Mais j’ai reçu le message que c’était pour tous les athlètes de mon pays et j’ai trouvé ça super. J’en ai informé directement ma Fédération.»

Andriy Govorov détient le record du monde du 50m papillon.
Photo: Roldy Cueto Cabrera

«L’idée, c’est de dynamiser les choses et redonner un peu de baume au cœur à ces nageurs, souligne Benjamin Stasiulis, directeur du Lausanne Aquatique. On a donc décidé de fournir un effort particulier pour les Ukrainiens. C’est important, car le sport réunit.»

Voix rauque et yeux brillants

Sur le plot de départ en ce vendredi matin, il est difficile pour Andriy Govorov de penser à autre chose que son pays: «C’est dur… On n’imagine pas combien de rêves ont été brisés. Même au niveau de ma propre famille, ma propre vie. J’avais prévu d’être en Ukraine pendant la majorité de ma vie. Et maintenant, je ne peux même pas y retourner.» Le nageur a également une pensée pour sa progéniture. «C’est douloureux de savoir que mon fils ne pourra pas vivre en Ukraine durant son enfance.»

Le souffle totalement repris mais la voix rauque et les yeux brillants, Andriy Govorov ne souhaite pas s’étendre sur le sujet de la famille qu’il possède toujours en Russie. «C’est une situation très difficile», résume-t-il simplement.

Comme des milliers de ses compatriotes, Andriy Govorov a expérimenté le caractère fratricide de cette guerre. Et depuis 365 jours, il représente haut et fort son pays, l'Ukraine. «Même si c'était déjà quelque chose que je faisais avant», rigole-t-il.

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