Martin Fuchs et Clooney formaient un duo inséparable. Le cavalier suisse revient sur son parcours avec son cheval favori, son meilleur ami. A travers cette grande interview, le Zurichois de 30 ans égrène ses difficultés, ses tristesses, ses joies, ses derniers scandales et ses nouveaux objectifs.
Martin Fuchs, vous avez eu une année riche en événements, il s’est passé beaucoup de choses depuis votre déception aux Jeux olympiques de Tokyo. Qu’est-ce qui vous a le plus touché?
C’est vrai, l’année a été très riche. Le grand choc pour moi a été, il y a un an, la blessure de Clooney et son départ à la retraite. D’un côté, cela a été extrêmement douloureux, effrayant et déstabilisant pour moi. D’un autre côté, c’était extrêmement agréable de voir que nous avions pu le sauver après sa terrible blessure, qu’il pouvait à nouveau trotter et galoper facilement. Il peut désormais profiter de sa vie de retraité au pré.
En quoi cela vous a-t-il marqué?
J’ai beaucoup appris sur le plan humain au cours des huit derniers mois. J’avais participé à de nombreux concours, chaque week-end, le succès était toujours au rendez-vous. Mais j’ai décidé de faire des pauses, de prendre davantage soin de moi, de sauter parfois un tournoi et de partir en vacances à la place. J’ai fêté mon 30e anniversaire en Engadine. Je ne l’aurais probablement pas fait ces dernières années, car j’aurais donné la priorité à un concours. J’ai compris que je n’avais pas besoin d’être partout et que je pouvais aussi me retirer de temps en temps. Et j’ai commencé à lire des livres, ce que j’apprécie désormais beaucoup.
A lire aussi
Les succès sportifs, comme les médailles européennes ou la victoire en Coupe du monde, vous ont-ils consolé d’avoir dû dire adieu à votre Clooney?
Non, les succès ne sont pas une consolation. Je n’ai plus besoin de consolation non plus, parce que quand je regarde en arrière, je ne vois qu’une période merveilleuse avec lui. Je n’ai plus de mauvaises pensées concernant son accident. Je suis simplement heureux et reconnaissant qu’il ait une belle vie maintenant.
Comment a-t-il réagi à votre dernière visite?
J’étais très nerveux. J’étais venu avec une équipe de tournage, car nous réalisions une vidéo d’adieu. Pour cela, je devais courir dans le pré mais Clooney était assez loin. J’étais presque sûr qu’il allait simplement continuer à brouter, parce qu’il est presque impossible de l’éloigner de la nourriture. Je l’ai appelé et j’ai couru vers lui, puis il s’est retourné, m’a regardé et a couru vers moi. Ce moment était si beau et si spécial que j’en avais la chair de poule. Encore maintenant. (Il regarde les photos sur son téléphone portable.)
Votre dernier grand concours remonte aux Jeux olympiques de Tokyo. Cela vous laisse-t-il un souvenir particulier?
En finale individuelle, j’ai pris un plaisir énorme avec Clooney, mais j’ai mal monté, j’ai pris de mauvaises décisions et j’étais extrêmement déçu de moi. Mais il était en pleine forme et prêt à remporter une médaille.
A l’époque, vous ressentiez une grande pression et aviez fait appel à un préparateur mental. Cela vous a-t-il rendu plus fort à long terme?
Je n’ai rencontré Jörg Wetzel (ndlr: psychologue du sport de Swiss Olympic) à Tokyo que parce que, pour la première fois, j’étais assez nerveux et que j’avais mal dormi. Il m’a donné de bons conseils. Finalement, j’ai quand même commis une faute, mais j’ai pu tirer beaucoup de choses de ces entretiens. Si je me retrouvais à nouveau dans la même situation, par exemple aux Championnats du monde, je pourrais les appliquer. Mais depuis les Jeux olympiques, je n’ai plus jamais été aussi nerveux. Je sais que le monde ne s’effondre pas si quelque chose ne fonctionne pas.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez brillé lors de grands tournois?
C’est vrai, j’ai remporté des succès aux Championnats d’Europe, une victoire en Coupe du monde, une victoire en Coupe des nations à Saint-Gall et, plus récemment, une victoire en Grand Prix à Dinard. Avec Leone Jei, Conner Jei, Chaplin, The Sinner et Commissar Pezi, j’ai de très bons chevaux. L’expérience que j’ai pu acquérir ces dernières années avec Clooney m’aide énormément. Avec lui, j’ai participé à tant d’épreuves. Maintenant, j’en suis au point de toujours viser la victoire. Ma confiance en moi est renforcée, ma confiance dans mes chevaux est plus grande.
C’est bon signe pour les Championnats du monde à venir?
Oui, Leone Jei était déjà très fort aux Européens l’année dernière (ndlr: médaille d’or par équipes, médaille d’argent en individuel), c’est pourquoi j’ai un bon sentiment pour les Mondiaux. La victoire à Dinard était importante, car avant cela, j’avais participé à six ou sept Grands Prix et nous avions toujours fait une erreur. Le fait que nous ayons à nouveau livré une belle performance avant les Championnats du monde est un bon coup de pouce pour la confiance. Leone Jei est toujours aussi motivé et veut tout donner, c’est sa personnalité, je l’apprécie pour cela.
Vous avez été à nouveau numéro 1 mondial pendant quatre mois jusqu’à début août, qu’est-ce que cela signifie pour vous?
J’étais conscient que si je choisissais les bons tournois pour les chevaux et pour moi, cela pourrait à nouveau fonctionner, tôt ou tard. Je suis fier, c’est une satisfaction. C’est aussi la confirmation du bon travail effectué par mon entourage et moi-même. Mais ce qui est le plus spécial pour moi, c’est que je reste toujours dans le top 4 mondial depuis quatre ans.
Vous êtes-vous senti encore plus au centre de l’attention en tant que numéro 1?
Non. Ce qui est toutefois difficile à comprendre pour les non-initiés dans notre sport, c’est que le numéro 1 ne gagne pas toujours. Dans d’autres sports comme le tennis, le numéro 1 gagne 90% des matches. En équitation, il gagne peut-être 10% des concours. Il arrive aussi qu’on finisse à la 30e place!
Alors si vous n’êtes pas au centre de l’attention, êtes-vous plus sous surveillance? Vous avez récemment été pointé du doigt pour une course à Linz en avril dernier…
Cela n’a rien à voir avec le fait d’être numéro 1, mais plutôt avec ma convocation pour les Championnats du monde. Après ma nomination, cette fondation a écrit à la fédération pour savoir comment elle allait réagir.
Y a-t-il eu une plainte de l’association pour les droits des animaux «Stiftung für das Tier im Recht»?
C’est ce qu’on m’a dit, mais je n’ai jamais reçu de plainte. Leur vidéo était montée de telle sorte qu’on ne me voyait plus terminer le parcours tranquillement. Ils voulaient sans doute attirer l’attention des médias. C’était certes très pénible, mais cela ne m’a pas inquiété plus que ça, car je sais à quel point mes chevaux sont bien traités. Leur bien-être est toujours une priorité. C’est la seule façon de créer ce lien spécial que j’ai avec eux. La fédération internationale ainsi que notre fédération suisse se sont immédiatement rangées derrière moi et ont précisé que je n’avais rien fait de mal.
Le sport équestre est de plus en plus dans la ligne de mire des défenseurs des animaux. Pensez-vous que cela soit principalement lié aux réseaux sociaux?
L’équitation a toujours été dans leur ligne de mire, mais oui, depuis l’apparition de ces médias, on en entend beaucoup plus parler. Dans mon cas, je suis très étonné de voir à quel point les jeunes sont méchants dans leurs commentaires sur les réseaux sociaux. Il ne me viendrait jamais à l’idée d’écrire de telles choses à un inconnu.
En tant que cavalier, a-t-on l’impression de devoir fondamentalement et constamment se justifier pour son métier?
Non, pas nécessairement. Ceux qui sont contre l’équitation et qui la trouvent mauvaise resteront convaincus qu’ils ont raison. Peu importe ce qu’on dit. J’essaie simplement d’expliquer comment cela s’est passé d’un point de vue sportif et professionnel. C’est ce que j’ai fait à Linz, après le parcours, auprès du jury du concours, qui s’est montré compréhensif. Nous mettons toujours les chevaux au premier plan et nous nous occupons mieux d’eux que de nous-mêmes. Si chaque personne dans le monde se portait aussi bien que mes chevaux, il n’y aurait plus de problèmes.
Comment décririez-vous le lien qui se développe entre vous et un cheval?
C’est un processus, une relation, amicale, collégiale, presque familiale. C’est une confiance mutuelle qui s’intensifie. Entre Clooney et moi, c’était même une confiance aveugle. Je savais ce qu’il pouvait faire. Il savait ce que je lui demandais de faire.
Vous avez récemment fêté vos 30 ans. Si vous pensez à la personne que vous étiez à 20 ans, comment avez-vous changé?
Je n’ai plus besoin d’être le héros de tout le monde, je préfère me faire du bien à moi-même.