Au Tour de France, tout le monde guette le maillot jaune. Les romantiques suivent aussi le classement de la montagne et les pois rouges sur fond blanc du meilleur grimpeur. Les amateurs des sprints à haute vitesse vibrent pour le maillot vert.
Mais personne n’a cure des derniers, ceux qui souffrent dans le «gruppetto», qui tremblent devant les grands sommets, qui luttent pour ne pas terminer hors délai.
«Je ne suis plus dernier, non?»
N’importe quel être humain normalement constitué aurait tremblé dimanche au moment de s’élancer pour la boucle de 193 kilomètres entre Aigle (VD) et Châtel en France voisine.
Après neuf étapes, et le passage en Suisse, le peloton s’offre une deuxième pause bien méritée en ce lundi. Un jour de congé qu’Anthony Turgis va passer avec la lanterne rouge sur sa table de nuit. Aujourd’hui, l’encombrant accessoire réservé au dernier coureur du Tour n’est plus que figuratif. Reste que l’expression est lourde à porter.
«Je ne suis plus dernier, non?» À l’arrivée de Châtel, le Français de 28 ans espérait avoir fait le nécessaire pour doubler au moins un concurrent au classement général. Ce n’est jamais facile d’apporter les mauvaises nouvelles.
Un terrible chute au Danemark
Même si le puncheur tricolore a fait neuf minutes de mieux que le dernier dimanche, il reste solidement collé au fond du tableau. Le coureur de l’équipe TotalEnergies compte près de deux heures de retard sur le maillot jaune, Tadej Pogačar (1 heure, 55 minutes et 28 secondes pour être précis).
«Je vous assure que je fais tout pour ne plus être dernier, soupire Anthony Turgis. Depuis le début du Tour, la malchance me poursuit.»
Sa cinquième participation consécutive au Tour de France a tourné au calvaire dès la deuxième étape. Il est pris dans une chute collective au Danemark et mord le bitume du vertigineux pont du Grand Belt.
«J’ai galéré pour finir ce jour-là. J’ai été touché à la hanche et au bassin. Depuis, j’ai mal. Impossible pour moi de relancer. Dès que le peloton accélère, je décroche.»
Une compétition inhumaine
La douleur d’Anthony Turgis, ses difficultés à rallier l’arrivée et sa terrible fatigue au soir de la première semaine raconte aussi la portée inhumaine du Tour. On aurait presque tendance à l’oublier, en voyant les coureurs débouler comme des avions, que la route soit plate ou à 15%.
Les coureurs ont déjà avalé près de 1500 kilomètres, des cols, de pavés et autres joyeusetés depuis le départ de Copenhague, le 1er juillet dernier. Et dire qu’ils ne sont qu’au tiers de l’épreuve, que les plus grands sommets alpins et pyrénéens les attendent encore.
«On perd plus souvent qu’on ne gagne»
«Le cyclisme, c’est un sport dur, résume frugalement Anthony Turgis. On y perd beaucoup plus souvent qu’on ne gagne. Enfin, la majorité d’entre nous, ceux qui composent le peloton. En étant dernier, je reçois aussi plus d’encouragements. Les gens ont repéré mon nom au fond du classement et ils me soutiennent. C’est sympa. D’habitude, je préfère en rire, mais là…»
Dimanche, le Français est lassé par les efforts, las d’être trop souvent lâché par les autres. Il n’a plus le cœur à rire de cette lanterne rouge. Pourtant, le bonhomme a de l’humour. Il a transformé son dossard, sponsorisé par une agence de voyages qui propose des voyages la dernière minute. Il a barré ce dernier et l’a remplacé par «position». Un clin d’œil à son classement.
Une 165e et dernière place qu’il espère bien lâcher dès mardi et la montée finale vers Megève.