Au lendemain de son échec en demi-finale des Jeux olympiques de Tokyo, Jason Joseph est déjà de retour à la maison. Parti au Japon avec de grands espoirs, le sauteur de haies de 22 ans de Bâle-Campagne est tellement abattu qu’il ne veut plus passer les deux jours qu’il avait initialement prévus au village olympique.
Jason Joseph veut juste rentrer chez lui. Il s’envole le soir même. «Je suis allée le chercher à l’aéroport de Zurich, se souvient sa mère Susan Gross. 'Maman, je ne veux pas parler des Jeux olympiques', m’a-t-il dit. Et, pendant les premiers temps, il s’est terré dans son silence.» Jusqu’au Meeting Resisprint de La Chaux-de-Fonds à la mi-août, «il me disait uniquement bonjour le matin et bonne nuit», raconte Susan Gross.
Colère, déception et cœur brisé
Et puis, il y a eu le déclic de La Chaux-de-Fonds: Jason Joseph explose tout. Il s’élance sur le 110m haies en 13,12 secondes, pulvérisant son propre record suisse de près de deux dixièmes. Mieux encore, il fait désormais partie du gratin de la discipline en réalisant le dixième meilleur chrono de la saison. Il est également le plus rapide en Europe sur 110m haies en 2021. Deux semaines plus tard, il confirme son saut dans les sphères internationales avec une deuxième place à Athletissima, à Lausanne.
Le bond en avant des performances arrive trop tard pour les Jeux olympiques. Mais quiconque parle à Jason Joseph s’en rend vite compte: cette prestation n’existe probablement que grâce aux Jeux olympiques et au rêve brisé. «C’est comme un cœur brisé», explique-t-il à propos de la frustration olympique.
Et tout comme un cœur brisé change une personne, Jason Joseph en est une autre à son retour de Tokyo. «Il était déçu et en colère», déclare son entraîneuse Claudine Müller. En colère car il n’a pas pu montrer sur la piste, dans le cadre d’une compétition majeure, ce qu’il avait déjà obtenu régulièrement hors-événement. «Depuis les Jeux, il s’est montré extrêmement concentré à l’entraînement», souligne-t-elle.
Le téléphone portable en mode avion
Autrement dit, alors qu’il devait auparavant se montrer plutôt entreprenant, Claudine Müller doit maintenant le contenir. Il ne s’entraîne plus en musique, travaille méticuleusement ses séries d’entraînement, le téléphone portable est tabou même pendant les pauses, et pour le moment, il est généralement en mode avion même en dehors des entraînements.
«Je me concentre sur l’essentiel, explique le principal concerné. Je me suis rendu compte que je devais à nouveau investir davantage.» Un changement de comportement que remarque son entraîneuse: «Il a une nouvelle attitude vis-à-vis de la concentration. Se concentrer uniquement lors d’une compétition, ce n’est pas suffisant pour ce qu’il veut accomplir.»
Les deux femmes de sa vie, sa mère et son entraîneuse, valent leur pesant d’or pour Jason Joseph. «Elle a une importance inégalée pour moi», dit le Zurichois à propos de sa mère, qui s’occupe également du côté administratif et relations publiques pour lui. «Même si elle ne peut pas percevoir certaines choses sur le sport, car elle n’a jamais été athlète professionnelle, elle comprend très rapidement beaucoup d’aspects.»
Le fait qu’il l’ait si systématiquement évitée après son retour s’explique par une raison simple: «J’étais tellement énervé que je ne voulais pas la maltraiter d’une manière ou d’une autre. Elle serait la dernière personne à mériter ça.»
Pas assez de femmes entraîneuses
C’est l’entraîneuse Claudine Müller qui remet Jason Joseph sur les bons rails cet été après qu’il a fait d’énormes progrès physiques en Floride au printemps. Elle se rend vite compte que la colère de son poulain après les Jeux olympiques peut devenir un carburant pour de nouveaux sommets. «J’ai l’impression qu’un entraîneur masculin aurait géré la situation différemment, suppose Jason Joseph. Claudine a vite compris que j’avais besoin de cela et que je sais le canaliser.»
Le fait qu’il n’y ait pratiquement pas d’entraîneuses d’athlètes de haut niveau à part Claudine Müller le surprend. «Je profite énormément d’elle et de sa vision des choses. Parfois, les femmes voient les choses différemment, raconte-t-il. Les entraîneurs masculins ne voient souvent que la performance brute et, d’après mon expérience, les femmes s’occupent souvent des athlètes de manière plus globale.» Ce n’est pas seulement un atout dans les sports individuels, ajoute-t-il, en imaginant que cela pourrait aussi fonctionner dans les sports d’équipe.
Les derniers mois ont soudé le coach et l’athlète
Dans le cas de Jason Joseph, cela semble fonctionner. «Nous nous sommes très vite entendus», sourit Claudine Müller, qui travaille avec le géant de 1,93 mètre depuis son adolescence. Les derniers mois difficiles ont soudé davantage le duo. «Je pense qu’il a confiance. Je sais ce dont il a besoin.»
Il reste deux courses à Jason Joseph cette saison pour confirmer qu’il est bel et bien entré dans une nouvelle dimension. La prochaine chance se présente à la Weltklasse de Zurich, jeudi. L’athlète bâlois a déjà le vent en poupe. «J’ai hâte de montrer ce que je sais faire. Pour les fans, mais aussi pour moi-même.»