Sa maison, aux alentours de Zurich, est sobrement meublée. Quelques objets un peu éparpillés sur le sol, c’est tout. Andres Andrekson, plus connu sous l’alias Stress, prône un certain minimalisme. «La vie est suffisamment turbulente et chaotique comme ça», explique le musicien. Après des moments difficiles, marqué par une série de crises personnelles, il chante son retour sur scène avec le tube «Bye». Son huitième album, «Libertad», sort le vendredi 25 février.
Il y a trois ans, vous vous êtes exprimé publiquement sur votre dépression. Comment vous sentez-vous aujourd’hui?
Stress: Très bien. J’ai retrouvé l’équilibre. J’étais comme prisonnier dans une sorte de trou sans fin… La thérapie m’a permis de sortir de ce trou. J’ai pu apprendre à canaliser mes émotions dans une direction constructive, et à prendre plus de distance par rapport à certaines choses de la vie. J’ai donc à nouveau les pieds sur terre et l’esprit clair.
Prendre plus de distance… qu’entendez-vous par là?
Il y avait beaucoup de «bagages» que je traînais avec moi. Et ils m’ont presque complètement écrasé. La thérapie m’a aidé à réorganiser ce poids, à me séparer de beaucoup de choses… De mon père, par exemple.
Vous aviez une relation très compliquée avec lui.
Oui. Nous n’avions pas échangé un mot pendant plus de 30 ans. Il était tellement violent, toujours ivre, il terrorisait tout le monde… C’est à cause de lui que ma mère s’est réfugiée en Suisse avec ma sœur et moi, en 1989. Il y a un an et demi, je me suis à nouveau rendu en Estonie. Une fois là-bas, je l’ai appelé. Je voulais finalement faire la paix avec lui, car je ne sais pas combien de temps il lui reste à vivre.
Et que s’est-il passé?
Il a décroché le téléphone, puis a commencé à m’insulter parce que je ne parle plus très bien l’estonien. Puis, soudainement, il s’est tu… Pendant plusieurs minutes, interminables, le combiné est resté muet. Je l’ai rappelé cinq fois par la suite, mais il est resté silencieux. C’était complètement absurde, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer.
Alors qu’avez-vous fait?
Je suis rentré à la maison. Laisse tomber, me suis-je dit. J’ai essayé de faire ce qu’il fallait, de lui tendre la main. En vain. Mais je ne veux plus laisser son rejet me briser, j’ai assez souffert de lui. Aussi, cela m’a fait réaliser qu’on ne peut pas tout contrôler. Chacun fait ce qui lui semble juste. Que je le comprenne ou non n’a finalement que peu d’importance. Ces appels m’ont au moins permis de tirer un trait définitif sur lui. Aujourd’hui, cela ne me pèse plus.
Et à quoi ressemble votre relation avec votre mère?
Très étroite. Il n’y a pas beaucoup de personnes vers qui je peux aller avec mes problèmes, et qui m’accepteront et me soutiendront toujours. Ma mère a vécu l’enfer, notamment à cause de mon père. Elle a pris tellement de risques pour nous. C’est une femme vraiment admirable.
Après neuf ans, vous vous êtes séparé du mannequin Ronja Furrer à l’été 2021. Que s’est-il passé?
Ma conception d’une relation à distance a changé, en neuf ans. J’ai réalisé que cela ne nous permettait pas d’évoluer beaucoup en tant que couple. Au final, nous avons tous les deux réalisé que l’autre était plus heureux dans ce qu’il faisait. Ronja est très épanouie par sa carrière à New York. Et moi, je suis très épanoui par ma carrière en Suisse. Chacun aurait dû renoncer à beaucoup de choses pour l’autre. Nous n’étions plus prêts à cela.
DCX STORY: 4a5903fc-101f-4dbb-a220-fcdf7f685eaa [Stress - Bye (Audio) ft. Nacim]
Vous n’avez jamais caché votre intention de fonder une famille…
Exactement. Mais plus le temps passait, plus je remarquais que Ronja n’était pas encore prête à avoir des enfants. Ce que je peux bien sûr comprendre, elle est encore jeune. Les gens fonctionnent différemment, ils se trouvent parfois à des moments différents de leur vie. Et un jour, on se perd dans une relation. Il est alors temps d’avancer seul. Je ne voyais tout simplement plus de perspectives.
Ronja vous a trompé une fois. Avez-vous pu lui pardonner cette infidélité?
J’ai pu le faire. J’ai fait preuve de beaucoup de compréhension. Il y a quatre ans, je n’étais pas l’homme que j’aurais dû être. De plus, il y a eu des moments où nous ne nous sommes pas vus pendant quatre ou cinq mois. Je pense qu’il est très égoïste de toujours exiger l’exclusivité de son partenaire.
Êtes-vous toujours amis?
Nous n’avons plus de contact. Je ne reste jamais ami avec mes ex. Lorsque deux personnes sont ensemble, elles ont un ADN commun. Si elles se séparent, cet ADN s’éteint. Mais je ne lui en veux pas.
Vous n’avez pas non plus de contact avec votre ex-femme, Melanie Winiger?
Si. Avec elle, tout est facile, je vois encore souvent son fils, Noel. Mais je suis du genre à avoir un cercle d’amis très restreint. Une fois que quelqu’un est sorti de ce cercle, je ne vois pas l’intérêt de continuer à m’intéresser à cette personne. Mais cela ne veut pas dire que je ne souhaite pas le meilleur à cette personne pour l’avenir.
Parlons musique: cela fait 25 ans que vous êtes sur la route en tant que rappeur. Vous n’avez jamais douté de votre métier?
Si, bien sûr. Je n’ai pas toujours vécu une période rose sur le plan commercial. Pour mon dernier album, «Sincèrement», nous n’avons pas pu poursuivre notre travail comme prévu, nous avons dû interrompre la tournée en cours à cause du confinement. Ça m’a frustré, j’étais de mauvaise humeur, cela s’est répercuté sur ma musique. Dans une meute, si un animal est malade, il est rejeté. J’étais malade, donc on m’évitait. Maintenant, je vais à nouveau bien.
DCX STORY: doc7jre7yk0pyw1btrq5car [Rapper mit Charisma]
Qu’auriez-vous pu faire d’autre?
Beaucoup de choses. Mon Dieu, il y a des moyens plus faciles de gagner de l’argent en Suisse que de faire de la musique! J’ai fait des études, j’ai la tête pleine d’idées, je suis créatif et ambitieux. Je pourrais faire beaucoup de choses. Mais la musique est ma plus grande passion. Et pour la maintenir en vie, il faut parfois aussi manger du pain dur un moment.
C’est ce que vous avez fait cet automne, lorsque vous vous êtes engagé dans la campagne de vaccination de la Confédération en donnant des concerts. Y participeriez-vous à nouveau?
Bien sûr. Les critiques ne m’ont pas beaucoup touché. Je me suis déjà engagé auparavant pour des causes que j’estimais justes, peu importe que je sois critiqué ou non. En tant qu’artiste, on doit prendre ses responsabilités. La crise du Covid nous a montré à quel point il est dangereux de diffuser de fausses informations. Ma mère a eu le Covid et je n’ai jamais eu aussi peur pour elle. Et c’était précisément le but de la campagne de l’OFSP: informer le plus grand nombre de personnes possible sur la vaccination, afin qu’elles puissent se protéger contre le virus.
On vous a reproché de vous être engagé uniquement pour l’argent...
C’est des conneries! Je l’ai fait parce que je suis profondément convaincu qu’une société se définit par la manière dont elle défend les plus faibles, en l’occurrence les personnes âgées et celles qui ont des antécédents médicaux. Et la meilleure méthode est la vaccination. On m’a reproché d’être complaisant avec l’État, mais ce qui m’intéresse, c’est le bien-être de la société dont je fais partie. De plus, j’en avais assez de rester assis à la maison à glander en survêtement, comme beaucoup de musiciens ont dû le faire ces deux dernières années. Nous voulons à nouveau partir en tournée et offrir au public des soirées inoubliables.
Qu’est-ce qui vous rend heureux aujourd’hui?
D’être ici, de me sentir bien. J’étais perdu durant des années, mais je me suis retrouvé. Pour avoir une vie bien rangée, il faut avoir les idées claires. Je les ai enfin.
Vous dites ne plus fumer de joints. Buvez-vous encore de l’alcool?
Oui, de temps en temps, quand je suis avec des collègues. Sinon, je ne le fais pas. La vie est plus belle quand on peut y faire face en pleine conscience.
(Adaptation par Daniella Gorbunova et Alexandre Cudré)