Lorsque la série «The Wire» est diffusée pour la première fois, en 2002, elle offre une plongée vertigineuse dans la violence de Baltimore, rongée par la délinquance et la corruption. Cette année-là, 253 personnes ont été tuées par balles dans les rues de la ville du Maryland. Le taux de criminalité par habitant est près de sept fois plus élevé que la moyenne américaine. Exactement vingt ans plus tard, David Simon, ancien journaliste et co-créateur de «The Wire», revient sur les lieux du crime. Sa nouvelle série, «We own this city», disponible en Suisse à partir du mardi 26 avril sur HBO et OCS, suit de nouveau des policiers de Baltimore confrontés notamment à du trafic de drogue. Et la situation ne s’est pas arrangée: en 2020, la ville a pleuré 335 morts par arme à feu, avec un taux de criminalité toujours délirant par rapport au reste du pays.
Alors que peut-on bien raconter qui n’ait pas déjà été dit dans la cultissime «The Wire»? David Simon et son co-scénariste, George Pelecanos, adaptent cette fois le livre d’un autre journaliste, Justin Fenton, pour peindre l’ascension et la chute d’une unité spéciale de la police locale, la Gun Trace Task Force (GTTF). Alors que les policiers qui en étaient membres avaient pour objectif de lutter contre la violence galopante de la ville, ils se sont en réalité livrés à des vols, du racket et des falsifications de preuve. En 2017, huit d’entre eux ont été arrêtés et condamnés à de lourdes peines de prison ferme.
Une politique du chiffre délétère
«We own this city» s’intéresse à leur leader, Wayne Jenkins, flic brutal mais efficace, encouragé depuis sa formation à volontiers oublier sa déontologie, interpeller des conducteurs sans raison quitte à glisser discrètement de l’héroïne dans leur voiture, et se servir dans les liasses de billets confisquées aux parrains de la pègre. Arrêter des criminels a moins d’importance qu’essayer d’améliorer son train de vie et faire remonter les statistiques des commissariats.
Voilà, d’ailleurs, le cœur du problème. Si elle n’est jamais montrée, la mort de Freddie Gray, jeune homme noir décédé à Baltimore en 2015 après une violente interpellation, plane sur l’intégralité de la série. Depuis, la défiance de la population à l’égard de la police est à son comble. Plus personne n’hésite à sortir son smartphone pour confronter les forces de l’ordre à leurs manquements. Entravés dans l’exercice de leurs fonctions, celles-ci laissent la criminalité exploser. Ce qui pousse ensuite à fermer les yeux sur les exactions de policiers par ailleurs zélés. C’est ce cercle vicieux que David Simon examine minutieusement, montrant que le système même ne peut qu’accroître la violence qui ronge les rues de Baltimore.
Naturaliste et rythmée
On retrouve dans cette nouvelle série le naturalisme qui caractérise son auteur, cette volonté de se rapprocher au plus près de la réalité, si complexe soit-elle. Mais là où «The Wire» se déployait chronologiquement sur cinq saisons, «We own this city» se contente de six épisodes rythmés par des allers-retours dans le temps qui permettent de décortiquer les tenants et les aboutissants du scandale de la GTTF. Dès lors, il est à la fois hasardeux de comparer les deux et impossible de ne pas le faire. Disons-le tout net: la petite sœur de «The Wire» n’atteint jamais l’ampleur dramatique de ce monument de la télévision, notamment parce qu’elle ne laisse que peu de place à la caractérisation de personnages qui n’ont jamais le temps de se déployer pour exister vraiment.
Outre Jenkins, on retrouve les agents du FBI chargés d’enquêter sur les exactions de la GTTF, Nicole Steele, procureure générale en charge des droits civiques bien décidée à faire valoir ceux de leurs victimes, une maire de Baltimore qui réclame des économies et un commissaire de police dépassé. Tout ce petit monde se croise pour appuyer le propos récurrent de David Simon: il n’est plus question de bons ou de mauvais flics mais bien d’un système vicié qui ne permet à personne de faire un travail correct.
Un appendice de «The Wire»
En 2002, la police de «The Wire» se retrouvait abandonnée face au trafic de drogues, les attentats de New York ayant redirigé la priorité politique vers la lutte contre le terrorisme. Celle de «We own this city», elle, est confrontée au contraire au regain de ce qui est appelé, depuis la présidence Nixon, une «guerre» contre les stupéfiants. Si les contextes sont radicalement opposés, ils produisent les mêmes effets délétères. Parce que «dans une guerre, vous avez besoin de guerriers. Dans une guerre, vous avez des ennemis. Dans une guerre, des civils sont blessés et tout le monde s’en fout. Dans une guerre, vous comptez les corps et vous appelez ça une victoire», énonce doctement un ancien policier dans la série.
Nerveuse, servie par un casting de haute volée et des dialogues qui ne sont pas dénués d’humour noir, «We own this city» avance sa méticuleuse démonstration à toute vitesse. Plus qu’une nouvelle «The Wire», il faut la considérer plutôt comme un appendice de la série culte, moins flamboyant mais toujours passionnant… et déprimant. L’intrigue s’achève en 2017 avec l’incarcération des «bad cops», responsables directement ou indirectement de dizaines de morts et de milliers d’injustices crasses. Mais aussi avec, en toile de fond, l’élection de Donald Trump, pour un mandat qui n’a jamais permis (et n’a d’ailleurs jamais eu pour objectif) de pacifier les relations entre les citoyens américains et leur police. Nul doute que ces quatre années réservent leur lot d’histoires pour inspirer une future série de David Simon.