Longtemps, le cinéma et les séries furent deux mondes cloisonnés. Les stars du premier, qu’il s’agisse des acteurs ou des réalisateurs, prenaient le petit écran de haut, tandis que les noms connus dans le monde des séries avaient bien du mal à se frayer un chemin vers l’industrie du septième art. Pourtant, plusieurs ont réussi à traverser la frontière, aujourd’hui bien plus poreuse. Blick vous conseille onze séries, pour quasiment autant de réalisateurs (ce sont encore, sans surprise, une écrasante majorité d’hommes…) qui ont su mettre de côté le cinéma le temps de créer, produire et/ou réaliser un (bon) feuilleton.
Michael Mann - «Tokyo Vice» (MyCanal)
En cours de diffusion sur Canal+, «Tokyo Vice» signe le retour de Michael Mann, réalisateur prolifique («Le dernier des Mohicans», «Heat», «Collateral» ou encore «Miami Vice») disparu du devant de la scène depuis 2015. Il adapte l’autobiographie de Jake Adelstein, premier journaliste étranger (en l’occurrence, américain) à avoir été embauché dans un grand quotidien japonais. Confronté à la xénophobie ambiante, Jake s’accroche jusqu’à enquêter sur des meurtres qui, très vite, l’orientent vers les Yakuzas.
Dans la plus pure tradition du polar, Mann, qui est le producteur délégué de la série et le réalisateur du premier épisode, insuffle une élégance noire à la série, nerveuse et drôle à la fois. La peinture de la culture japonaise évite un exotisme mal placé. Et finalement, «Tokyo Vice» permet au réalisateur d’effacer le mauvais souvenir qu’il avait laissé dans l’univers des séries. En 2011, il avait tenu les mêmes rôles de production et de réalisation pour «Luck», une série sur les courses hippiques interrompue au bout d’une saison en raison de la mort de trois chevaux sur le tournage.
Ingmar Bergman - «Scènes de la vie conjugale» (Arte)
Le premier, ce fut lui. En 1973, le Suédois Ingmar Bergman concocte une série en six épisodes d’un peu moins d’une heure. «Scènes de la vie conjugale» décortique les mécanismes d’un couple qui se déchire avec férocité et justesse, Bergman s’inspirant d’ailleurs de sa vie personnelle et s’appuyant sur son ancienne compagne, Liv Ullman, qui joue l’un des deux rôles principaux. Ce n’est qu’en 1974 que la mini-série est remontée et condensée pour en faire un film, qui sera distribué à l’international (et fera, comme le veut la légende, exploser le taux de divorce en Suède…)
Ce chef-d'œuvre est à revoir sur la plateforme d’Arte. Ne passez pas non plus à côté du formidable remake (oui, c’est possible) qu’en a fait Hagai Levi pour HBO (disponible en VOD ou sur OCS), avec Jessica Chastain et Oscar Isaac.
David Lynch - «Twin Peaks» (en VOD)
Impossible de ne pas citer ici «Twin Peaks», qui là aussi fut une série avant de devenir un film. C’est en 1990 que David Lynch réalise la première saison de cette histoire faussement policière, dans laquelle l’agent Dale Cooper tente de résoudre le mystère de la mort de la jeune Laura Palmer. La série à l’étrangeté toute lynchéenne est devenue culte, au point qu’une troisième saison a été diffusée 26 ans après la fin de la deuxième.
Steven Spielberg - «Band of brothers» (MyCanal et en VOD)
Dès le tournant des années 2000, Steven Spielberg s’empare du format sériel en co-créant, avec l’acteur Tom Hanks, dix épisodes qui suivent un régiment d’infanterie américain pendant la Seconde Guerre mondiale. De leur entraînement éreintant jusqu’à la victoire, le réalisateur d’«Il faut sauver le soldat Ryan» suit de près des personnages bien écrits et remarquablement bien interprétés par des comédiens méconnus à l’époque dont la carrière a ensuite été lancée. De Damian Lewis (le héros de «Homeland») à Tom Hardy, en passant par Michael Fassbender, tous doivent beaucoup à Steven Spielberg.
Le nom du réalisateur a par ailleurs permis à la série de lever un financement énorme pour l’époque. Avec un budget de 125 millions de dollars pour une seule saison, elle est restée la mini-série la plus chère pendant dix ans. Avant de se voir ravir ce record par «The Pacific», autre mini-série sur la Seconde Guerre mondiale… également produite par Steven Spielberg.
Martin Scorsese - «Boardwalk Empire» (MyCanal et en VOD)
Le maître du film de mafia ne pouvait pas complètement délaisser la série de mafia. Mieux encore, il a été le producteur et le réalisateur du pilote de l’une des meilleures. Diffusée à partir de 2010, «Boardwalk Empire» plonge dans les bas-fonds d’Atlantic City, ville du New Jersey, pendant la prohibition. On y croise évidemment des politiciens véreux et des gangsters, le tout servi par un budget conséquent (18 millions de dollars rien que pour le pilote), une reconstitution historique minutieuse et un casting fabuleux, Steve Buscemi en tête.
Par la suite, Martin Scorsese a retenté l’aventure de la série avec «Vinyl» en 2016. Nettement moins réussie, s’essoufflant sur la longueur, cette histoire sur l’industrie musicale des années 1970 a été annulée au bout d’une saison.
Jane Campion - «Top of the lake» (en VOD)
Enfin une réalisatrice dans ce top ! Et c’est évidemment Jane Campion qui s’y colle. En 2013, celle qui avait remporté la Palme d’or à Cannes pour «La leçon de piano» vingt ans avant retourne chez elle, en Nouvelle-Zélande, pour imaginer une intrigue policière belle et effrayante à la fois. Alors qu’elle a déjà explosé dans «Mad Men» mais pas encore dans «The Handmaid’s Tale», Elizabeth Moss brille en flic traumatisée qui se confronte encore et toujours à la même violence organisée contre les femmes. Et toutes les deux se paient le luxe de récidiver avec une seconde saison aussi réussie que la première. Un chef-d'œuvre, tout simplement.
Steven Soderbergh - «The Knick» (MyCanal et en VOD)
Le réalisateur de «Traffic», «Erin Brockovich» et toute la saga des «Ocean’s» s’est attaqué plusieurs fois au genre historique, mais jamais avec autant de brio que dans «The Knick». Cette fabuleuse série médicale nous emmène dans un hôpital new-yorkais au début du XXe siècle, alors que la chirurgie y est encore balbutiante. Brillamment mise en scène, la série s’appuie sur de très bons comédiens, Clive Owen en tête.
Les Wachowski - «Sense8» (Netflix)
On peut reprocher beaucoup de choses aux sœurs Wachowski, dont la démesure n’a pas toujours donné de belles choses (en témoigne l’affreux «Jupiter Ascending»), mais pas de rester dans leur zone de confort. De «Matrix» à «Cloud Atlas», elles ont insufflé une nouveauté au cinéma qui fait de chacun de leur film une œuvre éminemment personnelle. Sans surprise, il en est de même avec leur série «Sense8», diffusée à partir de 2015 sur Netflix. Huit personnes autour du monde deviennent soudainement connectées par leurs émotions, leurs pensées et leurs sens. Et de ce pitch alléchant naît une réflexion autour de la politique, du genre évidemment (les deux réalisatrices sont transgenres) ou encore de l’identité. Déroutant, mais à voir absolument.
Paolo Sorrentino - «The Young Pope» (MyCanal et en VOD)
Une série pop sur le pape ne pouvait voir le jour que sous la férule de Paolo Sorrentino, réalisateur italien qui n’a peur de rien. Ni de mettre de la soupe italienne dans chacune de ses bandes-originales, ni d’intégrer des personnages de nains dans chacune de ses fictions, ni d’imaginer, en l’occurrence, un jeune pape, accro à la clope et qui élève un kangourou dans les jardins du Vatican. Le résultat est sorrentinien en diable: virevoltant, forcément too much mais fascinant. Avec un impeccable Jude Law dans cet improbable rôle de Pie XIII.
David Fincher - «Mindhunter» (Netflix)
C’est en terrain connu que le réalisateur de «Seven» et «Zodiac» a débarqué sur Netflix en 2017 comme producteur et réalisateur du premier épisode d’une série tournée vers les serial killer. L’approche était quand même originale: «Mindhunter» s’intéresse à deux policiers qui vont peu à peu inventer le profilage, cette technique permettant de cerner la personnalité des tueurs pour mieux prévenir leur prochain passage à l’acte et les arrêter. Pour ce faire, ils vont de prison en prison pour rencontrer les pires criminels que l’Amérique ait jamais enfantés.
La grande force de «Mindhunter», outre son casting de haute volée, réside dans sa capacité à créer de la tension autour de longs face à face dialogués. Et on y retrouve également la patte de Fincher à la réalisation.