Bienvenue dans le «Murphyverse». Non, on ne parle pas des comics de Sean Murphy, mais bien des séries de Ryan (aucun lien de parenté entre les deux), showrunner prolifique auquel on doit des fictions marquantes. «Nip/Tuck», c’était lui, tout comme «Glee» puis, plus tard, la magnifique «Pose». Mais depuis 2017, Ryan Murphy est surtout sur la plateforme Netflix, avec laquelle il a signé un mirobolant contrat de 300 millions de dollars en 2017. Celui-ci s’étale sur cinq ans et vient de déboucher sur la sortie de «Dahmer». Un true crime dans la plus pure tradition du genre, qui s’intéresse au parcours de Jeffrey Dahmer, surnommé le cannibale de Milwaukee.
Sortie sans annonce ni promotion la semaine dernière, «Dahmer» s’est depuis hissée en tête des programmes les plus regardés de la plateforme. On y retrouve tout ce qui fait la patte de Murphy, de son goût pour le monstrueux à ses efforts pour représenter des populations longtemps invisibles sur nos écrans. Ce qui a donné à Blick des envies de classement. Voici donc, de la moins réussie à la plus flamboyante, le top 5 des séries de Ryan Murphy produites avec Netflix.
5 - «Halston»
Qui était Roy Halston Frowick? Pour les Européens, personne. Aux États-Unis, ce designer est un monument de la mode qui, dans le tournant des années 1970, a imposé un style classe et minimaliste adopté par le gratin people du moment, Jackie Kennedy en tête. Pour Ryan Murphy, c’est un personnage romanesque qui méritait les honneurs d’une mini-série éponyme. De son enfance miséreuse à sa déchéance dans les années 1980, en passant par la gloire juste avant, le showrunner signe un biopic tout ce qu’il y a de plus classique.
Et c’est bien là que le bât blesse. Trop conventionnels, les cinq épisodes de «Halston» se regardent sans déplaisir mais sans passion non plus. En dépit de l’interprétation fine d’Ewan McGregor, qui déploie sans faillir tous les paradoxes d’un Halston aussi agaçant qu’attachant, et de celle, magistrale, de Krysta Rodriguez dans le rôle de sa muse Liza Minnelli, on oublie cette série aussi vite qu’on la regarde.
4 - «The Politician»
Payton Hobart en est sûr et certain: un jour, il sera président des États-Unis. Et pour se faire les dents, rien de mieux que de se présenter à la présidence… des étudiants de son lycée. Mais le chemin est long et semé d’embûches, d’autant que ses rivaux sont aussi déterminés que lui. Et peut-être bien plus vicieux…
Première collaboration de Ryan Murphy avec Netflix, «The Politician» est une série à l’image de son créateur, déjantée et colorée, qui égratigne à la fois les ultra-riches et les politiques (deux catégories qui se rejoignent souvent de l’autre côté de l’Atlantique…). Le problème, c’est que ce propos est un peu léger pour faire une série de qualité. «The Politician» s’éparpille et manque de mordant pour s’imposer comme une excellente satire.
3 - «Dahmer»
Tous les ingrédients du «true crime» sont ici réunis: un tueur en série atroce (Jeffrey Dahmer a été condamné en 1992 pour les meurtres de 17 jeunes hommes), des détails gores à souhait (il démembrait ses victimes, en a violé certaines et a même mangé des cadavres) et toujours la même question en suspens. Comment naissent les monstres? «Je suis né comme ça», répond Dahmer dans la série à des policiers médusés et un père qui ne peut s’empêcher de s’interroger sur sa propre responsabilité. Ryan Murphy ne renouvelle pas le propos sur la monstruosité intrinsèque des hommes mais cultive l’ambiguïté, bien aidé par son acteur principal, l’impeccable Evan Peters. «Dahmer» a aussi le bon goût, même si ses dix épisodes prennent (un peu trop) leur temps, d’éviter toute violence graphique en jouant sur les hors-champs.
Mais c’est véritablement dans sa deuxième partie qu’elle se révèle intéressante. Ryan Murphy fait alors le choix de se concentrer sur les victimes et l’entourage de Jeffrey Dahmer. Toujours avec la même volonté de ramener les marges au centre de son propos, il montre à quel point ce psychopathe a pu sévir car il s’en est pris à des jeunes hommes racisés et homosexuels dont la police, pourtant appelée à de nombreuses reprises, n’avait strictement rien à faire. On retiendra notamment un sixième épisode très réussi, qui suit Tony, l’un des jeunes noirs gays assassinés par Dahmer. Celui-ci se trouve être sourd et l’épisode épouse partiellement ce handicap. Rappelant au passage que les «true crime» gagneraient parfois à se détacher des monstres qui en font le succès parce que leurs histoires sont aussi celles de destins fauchés injustement.
2 - «Ratched»
Étonnant mais fascinant pitch que celui de la série «Ratched»: comment Mildred Ratched, l’infirmière tyrannique du film «Vol au-dessus d’un nid de coucou» (jouée par l’actrice oscarisée Louise Fletcher, décédée le 24 septembre), est-elle devenue cette sorcière qui martyrise les patients d’un hôpital psychiatrique? Cette série est donc une sorte de prequel du chef-d'œuvre de Milos Forman. Avec Sarah Paulson, comédienne fétiche de Ryan Murphy, dans le rôle principal.
Et ce n’est pas le seul détail «murphyesque» de cette fiction à l’esthétique très soignée, faite de grands angles, de split-screen et de couleurs pop, qui rend aussi hommage aux films noirs et policiers. Là encore, il y est question de l’origine des monstres mais surtout de changement de point de vue. Si «Vol au-dessus d’un nid de coucou» est un film culte, mais aussi d’abord un roman, ça ne l’empêche pas d’être profondément misogyne en présentant tous ses personnages féminins comme des prostituées ou des castratrices. Avec «Ratched», Ryan Murphy réhabilite le point de vue féminin, en donnant la parole à celles qu’on n’écoute jamais (notamment un personnage de femme lesbienne, remarquablement interprété par Cynthia Nixon).
1 - «Hollywood»
Ce n’est pas parce qu’on produit des séries qu’on n’est pas un grand cinéphile. Ryan Murphy le prouve une nouvelle fois avec «Hollywood», qui nous plonge dans l’âge d’or du cinéma américain. Mais sous la forme d’une uchronie: la série imagine le destin de trois personnages, une actrice noire, un scénariste gay et un réalisateur métis, déterminés à faire un mélo qui marquera le septième art.
La grande force d’«Hollywood» est de mêler la fiction à la réalité dans une entreprise aussi virevoltante qu’enthousiasmante, pour peu qu’on se laisse prendre au jeu. La série est parsemée de figures bien réelles, comme les actrices Anna May Wong et Hattie McDaniel, respectivement sino- et afro-américaines. Ryan Murphy raconte leurs difficultés face au racisme latent de l’industrie cinématographique qui les a cantonnées à des rôles de femme fatale orientale pour la première, servante débonnaire pour la seconde. Rock Hudson, acteur qui a vécu dans le placard toute sa vie avant de mourir du sida, est lui aussi présent. Mais Ryan Murphy imagine qu’il ait pu vivre sa sexualité au grand jour. Un peu à la manière de Quentin Tarantino dans «Once upon a time…in Hollywood», le showrunner rend un vibrant hommage au pouvoir du cinéma, capable d’inventer mille destins et autant de secondes chances et de rédemptions.