Que Tim Burton, réalisateur acclamé d’«Edward aux mains d’argent» ou «Beetlejuice», ait mis autant de temps à adapter les aventures de la famille Addams a de quoi surprendre. Avec son appétence pour les univers gothiques, les personnages marginaux et l’humour sarcastique, le cinéaste était fait pour rencontrer les personnages créés dans les années 1930 par Charles Addams, dessinateur au «New Yorker».
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À sa décharge, Tim Burton a dû abandonner deux fois. La première à la fin des années 1980, lorsqu’on lui propose de réaliser un premier film. Le cinéaste est alors trop occupé avec le tournage de «Batman Returns». Pour la seconde, en 2010, un projet de film en stop-motion est finalement abandonné. Ce n’est donc que ce mercredi 23 novembre que cette rencontre au sommet entre la famille la plus gothique de la pop-culture et le réalisateur culte a (enfin) porté ses fruits.
Une ado boudeuse et rancunière
Le résultat est une série en huit épisodes, «Mercredi» qui, comme l’indique son titre, se focalise sur les aventures de l’aînée de la famille. Adolescente boudeuse qui refuse de sourire et de porter autre chose que du noir (gothique, on a dit!), Mercredi commence par venger son petit frère, victime de harcèlement scolaire de la part de l’équipe de water-polo du lycée. Rien de mieux, pour cela, que de lâcher dans la piscine des piranhas qui viendront s’assurer que le capitaine de l’équipe, bellâtre aussi blond que bête, ne puisse jamais avoir de descendance. La sanction tombe: c’est l’expulsion.
Mercredi est alors envoyée à Nevermore, l’école dans laquelle ses parents se sont rencontrés. Loin des «normies», les gens normaux, elle rejoint ses pairs, les «outcasts», marginaux dotés de divers pouvoirs. Notre héroïne, elle, a des visions, qu’elle ne parvient pas à contrôler et qui deviennent de plus en plus envahissantes. À moins qu’elles ne lui permettent de trouver qui s’acharne à tuer de plus en plus de gens dans les bois avoisinant l’école…
Entre «Harry Potter» et «Sex Education»
«Mercredi» se situe à la croisée des genres entre la série policière, fantastique et pour adolescents. Car en préférant suivre les pas de la jeune fille, ce qui fait du reste de la famille des personnages (très) secondaires, Tim Burton a choisi son décor et son camp. Nevermore est une sorte de nouveau Poudlard, établissement plein de couloirs tortueux, de bibliothèques poussiéreuses et de grands escaliers de marbre. Et les aventures de Mercredi sont résolument adolescentes: quand elle n’enquête pas, il lui faut tenter de nouer des liens avec ses camarades, notamment sa colocataire aussi sociable et solaire qu’elle est renfermée, gérer les sentiments naissants de ses connaissances masculines ou choisir une robe pour aller au bal. On est vraiment entre «Harry Potter» et «Sex Education».
Cette direction prise par la série n’est pas mauvaise et on sent que Tim Burton, qui en est le producteur et réalise une partie des épisodes, a gardé depuis «Edward aux mains d’argent» la même tendresse pour l’âge adolescent et ses atermoiements. Le traitement des relations entre Mercredi et sa mère Morticia, notamment, est très réussi, et on gardera en tête une scène de thérapie familiale délicieusement bizarre, à l’image des Addams.
Une série qui aurait dû être un film
Mais cette délicieuse bizarrerie a parfois tendance à s’étioler, comme l’intrigue, au fil des huit épisodes. Christina Ricci, qui a incarné Mercredi Addams dans les deux films des années 1990, est ici de retour dans le costume d’une professeure bienveillante, et c’est presque une insulte de n’avoir pas su écrire un personnage à la hauteur de son jeu tout en finesse. Les personnages masculins, notamment les deux garçons qui se disputent l’attention de Mercredi, n’ont aucun intérêt. À intervalles réguliers, «Mercredi» perd donc sa singularité pour ressembler aux dizaines de productions qui inondent Netflix, étirées sur la longueur et artificiellement gonflées aux faux suspense.
Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir prévu des personnages secondaires intéressants. La colocataire Enid, la mystérieuse Bianca reine du lycée et surtout Weems, la directrice de Nevermore (jouée par Gwendoline Christie, à mille lieues de son rôle dans «Game of Throne»), ont toutes quelque chose à apporter à cet univers. Ce n’est pas faute non plus d’avoir très bien casté Mercredi: la jeune Jenny Ortega, ancien bébé Disney Channel, est absolument géniale dans le rôle. Et à chaque fois que la série semble pâlir, c’est elle qui vient lui redonner des couleurs avec ses punchlines sarcastiques.
Mais voir l’actrice prometteuse tout donner sur une superbe séquence dansée baroque et excentrique rappelle qu’elle doit aussi tenir un grand nombre de scènes sans aspérités. On sort alors du visionnage de «Mercredi» sans insatisfaction mais avec la conviction, comme devant un nombre grandissant de séries, que ces huit épisodes auraient pu, auraient dû même, être un film.