Saison 5 sur Netflix
«The Crown» fait son retour en majesté

La série de Netflix sur la famille royale britannique revient pour une cinquième saison un peu décousue mais intelligente, qui interroge le rôle de la monarchie en plongeant dans les soubresauts des années 1990.
Publié: 07.11.2022 à 17:26 heures
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Imelda Staunton, bien connue pour ses rôles dans la saga Harry Potter et «Downton Abbey», incarne la reine Elizabeth II face à la modernité.
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Margaux BaralonJournaliste Blick

«C’est une créature d’un autre âge. À bien des égards, elle est obsolète. Sentimentalement, on aimerait tous la garder mais elle n’est pas au mieux de sa forme. C’est la première fois que je commence à envisager l’impensable: un remplacement. Parfois, ces vieilleries sont trop chères pour être réparées.» C’est en ces termes que le prince Philip parle du Britannia, le yacht royal utilisé pour les déplacements officiels d’Elizabeth II, au début du premier épisode de la saison 5 de «The Crown». Mais le duc d’Édimbourg et époux de la reine aurait tout aussi bien pu viser sa femme et le poste qu’elle occupe. Car c’est bien de cela qu’il est question dans les dix derniers épisodes de la série à succès, diffusés sur Netflix à partir de ce mercredi 9 novembre: l’obsolescence pas si programmée de la monarchie britannique.

La saison 5 reprend exactement là où s’était arrêtée la précédente. À l’aube des années 1990, alors que le mariage de Charles et Diana vit ses dernières heures, tout comme celui de la princesse Anne et celui du prince Andrew. Autant de secousses intimes au sein de la famille royale, qui engendrent un séisme au niveau de l’institution. Alors que «The Crown» a toujours raconté le poids des responsabilités pesant sur la frêle Elizabeth II, la série montre cette fois la reine face à celles et ceux qui refusent de le porter coûte que coûte. Entre cette femme âgée, qui s’apprête à fêter ses 47 ans de mariage avec la même résilience, et ses enfants qui réclament la possibilité de vivre comme ils l’entendent, le fossé se creuse. Le divorce est l’un des symboles de cette modernité qui frappe à la porte de Buckingham Palace et menace la monarchie.

La querelle des anciens et des modernes

Ce n’est pas le seul. L’arrivée des chaînes d’information américaines, qui vont bouleverser l’ordre médiatique ancien, en est un autre. Le jeune prince William insiste par exemple pour que sa grand-mère abandonne sa vieille télé pour prendre le câble. L’épisode particulièrement réussi consacré à la fameuse interview donnée par Diana en 1995 à la BBC ne porte pas tant sur ce que dit la princesse à cette occasion (infidélité de Charles, dépression, troubles alimentaires) que sur ce qu’une telle interview représente pour la chaîne britannique. Celle qu’Elizabeth II surnomme elle-même «Auntie» («Tata», comme une tante bienveillante qui berce les foyers de la Grande-Bretagne) est déchirée entre son président, vieux-jeu fidèle à la couronne, et son directeur général, qui perçoit déjà les enjeux de l’information moderne. «Je crois que je ne comprends plus ce monde», lâche d’ailleurs le premier à la reine après la diffusion de l’interview, qu’il n’a jamais approuvée.

Cette querelle entre les anciens et les modernes, entre une génération qui est le pur produit du début du XXe siècle et une autre qui s’apprête à embrasser le tournant des années 2000, est très intelligemment mise en scène dans chacune des scènes de voiture. Seuls les seconds prennent le volant et, chaque fois qu’ils le font, écoutent à la radio des journaux qui les relient aux préoccupations de leurs concitoyens. Elizabeth II et son mari, eux, ne conduisent pas. Condamné à rester dans l’ombre de sa mère, le prince Charles est plus déterminé que jamais à incarner une version plus moderne de la monarchie. Pourtant, si les sondages de l’époque jugent sévèrement l’institution, et notamment son coût auprès du contribuable, les critiques les plus sévères retombent sur son costume à lui. En creux, «The Crown» dessine une nation britannique pétrie de paradoxes, tiraillée entre ses envies de changement politique (dont le point culminant sera l’élection de Tony Blair en 1997) et son respect de la couronne.

Une saison décousue…

Si la série n’est pas toujours très subtile dans sa métaphore du pouvoir controversé, elle garde sa formidable capacité à inscrire les atermoiements intimes des personnages dans la grande Histoire non seulement d’un pays, mais également de la société occidentale dans son ensemble. Une digression du côté de la Russie et de l’assassinat des Romanov introduit les nouvelles relations géopolitiques post-guerre froide. La série s’achève également avec la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, qui préfigure le rôle prépondérant que le pays jouera sur la scène internationale à l’avenir.

L’ensemble est un cependant un peu décousu et l’on regrette parfois que la reine Elizabeth ne soit plus le point central de chaque épisode (celui centré sur la famille Al-Fayed ne déborde pas d’intérêt), d’autant que l’actrice Imelda Staunton, qui fait ses débuts dans les tailleurs pastel de la souveraine, se débrouille bien. Par ailleurs, cette saison 5 marque une rupture de ton avec la précédente sur son traitement des personnages de Charles et Diana, qui n’apparaissent que rarement sympathiques. Si Elizabeth Debicki capte à la perfection le regard un peu évanescent de la princesse de Galles, l’écriture du personnage renvoie l’image d’une petite fille naïve et fleur bleue, incapable de garder la bonne distance avec ses enfants comme avec son acupunctrice.

… mais qui atteint des moments de grâce

Mais «The Crown» retrouve à intervalles réguliers un état de grâce qui rappelle les meilleures heures de la série. Cela se produit lorsque la fiction assume d’en être une et imagine ce qui a bien pu se passer lorsque aucune caméra, aucun micro n’était présent. Une scène dans une cuisine entre Charles et Diana, tout juste divorcés, ramène ces célébrités à ce qu’elles devraient être dans «The Crown»: des personnages avant tout. Qu’importe que cette discussion, qui passe en un battement de cil de la tendresse à la rancœur, ait vraiment eu lieu. Elle représente si finement la faillite d’un couple comme des milliers d’autres qu’elle ne peut qu’être juste. Dans ces instants-là, lorsqu’elle expose toute la trivialité des puissants, «The Crown» retrouve toute sa majesté.

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