La dernière cérémonie des Emmy Awards, équivalent des Oscars pour la télévision, avait vu la plateforme HBO rafler 38 récompenses, devant ses concurrents directs comme Netflix ou Disney+. Un carton lié, notamment, à la razzia de «The White Lotus». Cette petite pépite, sortie en plein creux de l’été 2021 dans une relative indifférence avant de bénéficier d’un excellent bouche-à-oreille, avait été couronnée dix fois. Meilleure réalisation, meilleur scénario, meilleure actrice, meilleur acteur dans des seconds rôles mais aussi, et surtout, meilleure mini-série: le triomphe fut total. Ironie de l’histoire, «The White Lotus» ne pourra jamais concourir de nouveau dans la même catégorie puisqu’en lui offrant une deuxième saison, son créateur Mike White l’a privée de l’appellation «mini-série». Qu’importe. Son retour sur HBO et OCS, ce lundi 31 octobre, est suffisamment savoureux pour lui donner raison.
Cette deuxième saison reprend le même principe que la première. De riches touristes américains arrivent dans un hôtel luxueux pour passer une semaine de vacances tranquille, entre petits déjeuners gargantuesques, caprices à la hauteur de la capacité de leur porte-monnaie et mépris du petit personnel. Dès le début, on sait qu’il va y avoir (au moins) un mort. Reste à découvrir qui, comment et pourquoi. Pas tellement que les réponses à ces questions sont importantes -nous ne sommes pas dans une série policière- mais l’enchaînement de grosses secousses et petits séismes qui mènent jusqu’au drame est l’occasion de faire un portrait acide et drôlissime des ultra-riches.
La «vita» pas si «dolce» en Sicile
Le décor, en revanche, a changé. Après un arrêt à Hawaï en 2021, «The White Lotus» pose cette année ses valises en Sicile, dans la ville magique de Taormina. Les personnages aussi. Cette fois, on découvre deux couples de trentenaires dont les maris ne sont que de vagues connaissances d’université et les femmes n’ont absolument rien à se dire. Il y a aussi ce grand-père, ce père et ce fils, venus passer des vacances destinées à renouer avec leurs racines italiennes en famille (dysfonctionnelle au possible, la famille). Seule rescapée de la première saison: Tanya McQuoid (géniale Jennifer Coolidge, responsable de l’une des dix récompenses de la série aux Emmys), millionnaire dépressive fraîchement remariée, qui traîne derrière elle le nouveau mari et son assistante.
Il est difficile, pour une série comme «The White Lotus», qui a cartonné autant qu’elle a pris tout le monde par surprise, de se renouveler. De fait, cette deuxième saison n’est pas tout à fait aussi saisissante que la première, qui parvenait à traiter de façon fine et intelligente des sujets vraiment casse-gueule, notamment le racisme et les discriminations. Pourtant, on y retrouve l’écriture brillante de Mike White qui donne à chaque épisode l’allure d’un bonbon très acide.
Sexe, mensonge et rococo
En Sicile, le showrunner se concentre cette fois sur des sujets plus communs. Il sera surtout question de sexe, de rapports de couple et de genres, et de la façon dont tout cela est nécessairement imbriqué avec les implacables lois du pouvoir et de l’argent. En témoignent les trentenaires. L’un des couples a de toute évidence une connexion plus intellectuelle que charnelle. Ce qui n’avait pas l’air de leur sauter aux yeux, jusqu’à ce qu’ils partent en vacances avec l’autre couple, vulgaire et peu porté sur le suivi de l’actualité, mais à la sexualité plus débridée. Au sein de la famille italo-américaine, les péchés du grand-père, visiblement peu porté sur le respect des femmes, à commencer par la sienne, semblent se transmettre de génération en génération. Son fils connaît un tumultueux divorce après des adultères répétés de sa part et l’éducation du petit-fils oscille entre ces modèles parentaux peu recommandables et le mouvement #MeToo.
Mike White prend un malin plaisir à mettre tous ses personnages sur une ligne de crête, les rendant à la fois détestables et dignes de compassion. Il y a dans «The White Lotus» une incroyable capacité à sonder les sentiments les plus vilains et les plus fugaces, de cette pointe de jalousie qui naît d’un regard à la soumission choisie pour en récolter les fruits plus tard. Cela fonctionne parce que les comédiens sont excellents, les dialogues ciselés, et le tout bien enrobé. Les villas siciliennes rococo offrent des décors de rêve à la série, qui s’adjoint une nouvelle fois les services de l’excellent compositeur Cristobal Tapia de Veer pour sa musique. Lui qui n’aime rien tant que faire grincer l’opéra trouve ici son inspiration dans les classiques italiens, dont il tord les notes jusqu’à la dissonance, pour épouser parfaitement le ton délicieusement grinçant de la fiction.