Adapter les aventures d’Astérix et Obélix n’est pas chose aisée. Les deux héros gaulois, imaginés par René Goscinny et Albert Uderzo en 1959, ont connu et connaissent toujours la gloire en bande dessinée, avec la parution rigoureuse d’un album chaque année impaire et des ventes qui se comptent par millions.
Mais au cinéma, le résultat est plus qu’inégal. Il y a eu, bien sûr, des dessins animés géniaux. Il y a eu, aussi, «Astérix et Obélix: mission Cléopâtre», signé Alain Chabat et resté dans les annales. Tout le reste est oubliable et le dernier opus, «Astérix et Obélix: l’empire du milieu», sorti mercredi dernier, ne viendra pas changer la donne. Au contraire, cette adaptation à peine divertissante confirme qu’on ne s’attaque pas si facilement aux irréductibles Gaulois. Même avec beaucoup d’argent et de stars au casting.
L’intrigue n’est, pour la première fois, pas tirée d’une BD mais imaginée de toutes pièces. Et pour s’assurer une belle exportation du film sur le marché asiatique, le réalisateur Guillaume Canet («Ne le dis à personne», «Les petits mouchoirs») et ses coscénaristes ont décidé de planter le décor en Chine. Alors que sa mère, impératrice, est victime d’un coup d’État, la jeune princesse Fu Yi traverse deux continents pour aller demander de l’aide à Astérix et Obélix.
Sur le papier, l’idée n’est pas mauvaise et permet à nos deux héros d’explorer un nouveau territoire. À l’écran, c’est surtout la porte ouverte à tous les clichés. Il y aura donc bien des scènes de kung-fu mollassonnes au ralenti et des personnages chinois qui s’appellent Tofu, Ri Qi Qi ou Banane.
Une ribambelle de «guests» plus coûteux que talentueux
L’humour, qui s’égrène tout au long de sketches sans véritables liens les uns avec les autres, réussit l’exploit d’être hyper contemporain et déjà has been. Le principal ressort comique repose sur le choix d’Astérix (Guillaume Canet lui-même, transparent) de manger moins de viande (il est donc moqué par tout le village car c’est hilarant mais rassurez-vous, il retrouvera un sens à sa vie et l’estime de ses pairs en mordant dans un cuissot de sanglier). Le scribe Biopix (José Garcia) parle d’une voix suraiguë en faisant des gestes efféminés car son personnage est visiblement gay. Cléopâtre (Marion Cotillard, en roue libre) crie. Jules César (Vincent Cassel) fait le signe de Jul. Angèle et Orelsan citent les paroles de leurs propres chansons et Zlatan Ibrahimovic, qui incarne le meilleur soldat des armées romaines, sort de la bagarre au bout de trois minutes sur blessure (car c’est un footballeur, vous suivez?).
L’apparition de l’ancien attaquant du PSG est d’ailleurs symptomatique d’un casting qui aligne les «guests» dont les cachets sont probablement inversement proportionnels à leur temps d’apparition à l’écran. Zlatan Ibrahimovic prononce trois phrases en français incompréhensibles (de l’aveu même des actrices, le joueur n’avait le temps et l’envie de faire qu’une seule prise), les youtubeurs McFly et Carlito ont la charge de hausser un sourcil avant de disparaître, le potentiel comique de l’humoriste Laura Felpin est réduit à néant en quelques secondes.
Un film formaté
Il y a pourtant des choses intéressantes dans ce long métrage, à commencer par l’Obélix incarné par Gilles Lellouche, souvent drôle et même touchant, ou les prestations de Ramzy Bedia et Vincent Cassel. Mais ce ne sont pas des ingrédients suffisants pour rattraper une potion magique aussi fade. C’est que le film est moins dévoré par l’ambition de s’inscrire dans l’esprit de la bande dessinée, ses jeux de mots impayables et ses personnages truculents, que par un cahier des charges délirant. Aligner les têtes connues en est une, tout comme choisir un réalisateur qui a déjà obtenu un César (les Oscars français), fait 2 millions d’entrées et un film en langue anglaise (apprécier la BD originale ou avoir du talent ne fait en revanche pas partie des prérequis).
Tous ces défauts n’empêcheront sûrement pas «Astérix et Obélix: l’empire du milieu» de trouver son public, même s’il lui faudra atteindre les 6 millions de spectateurs rien qu’en France pour amortir son budget de plus de 65 millions d’euros (à titre de comparaison, le budget moyen d’une production hexagonale est de 4,2 millions). Mais ce film était aussi supposé être la figure de proue d’un nouveau cinéma français taillé pour le grand écran. À l’heure où les salles obscures ont toujours du mal à faire le plein, Jérôme Seydoux, le président de la société de production et de distribution Pathé, répète à longueur d’interviews que les spectateurs réclament des films populaires, à gros budget et à grand spectacle.
Après le bon démarrage en salles d’«Astérix et Obélix», l’homme d’affaires a fustigé dans les colonnes du «Point» des critiques qui «ne comprennent pas que les grandes comédies sont faites pour le public» et qui réservent leurs louanges à «des navets prétentieux». Peut-être le public mérite-t-il justement que 65 millions d’euros financent un peu moins les youtubeurs et les anciennes gloires du football et un peu plus un scénario, des costumes corrects et des acteurs professionnels. Bref, un peu plus de cinéma.