«Makanai»
La série la plus douce de l’hiver est sur Netflix

La plateforme vient de mettre à disposition une série japonaise adaptée d’un manga. Produite par le réalisateur multi-primé Kore-eda, «Makanai» suit des apprenties geishas à Tokyo. Sans stupeur ni tremblements, mais avec beaucoup de douceur et de poésie.
Publié: 30.01.2023 à 19:28 heures
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Dernière mise à jour: 03.02.2023 à 14:45 heures
Hirokazu Kore-eda, réalisateur japonais, propose cette perle de douceur à consommer sans modération pour passer l'hiver au Japon.
Photo: Netflix
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Quelque part entre Stonehenge et l’Atlantide, les choix stratégiques de Netflix figurent parmi les grands mystères de l’existence. Le renouvellement jusqu’à l’overdose d’«Emily in Paris» quand on a préféré arrêter «The OA», voilà qui est impossible à expliquer rationnellement. Tout aussi indéchiffrable: la promotion, ou plutôt l’absence de, autour de certains programmes. C’est le cas, en ce mois de janvier, de la série «Makanai», sortie sans tambour ni trompette. Il y a pourtant, au départ, un manga à succès. Il y a ensuite, aux manettes de cette adaptation, Hirokazu Kore-eda, réalisateur japonais reparti notamment avec la Palme d’or à Cannes en 2018 pour «Une affaire de famille». Il y a enfin, dans ces neuf épisodes à déguster, suffisamment de chaleur pour tenir tout l’hiver, même par temps de restrictions énergétiques.

L’histoire est celle de Sumire et Kiyo, 16 ans et des rêves plein la tête. Les deux adolescentes, avec ou sans la bénédiction familiale, décident de partir de leur ville natale, dans le nord du Japon, pour rejoindre Kyoto, à plus de 1000 kilomètres. Là-bas, elles intègrent une école pour devenir «maiko», des apprenties geishas. Leur quotidien se partage entre les tâches ménagères, l’aide des geishas confirmées et les cours de «mai», la danse traditionnelle.

Luxe, calme, volupté et aubergines fondantes

Très vite pourtant, leurs routes semblent destinées à se séparer. Autant Sumire, gracieuse et docile, s’intègre parfaitement, autant Kiyo, allégorie de la gaucherie, n’a de toute évidence aucun avenir dans le métier. Par chance, la cuisinière officielle des geishas se fait un tour de rein et la jeune fille, plus douée derrière les fourneaux que sur des «geta» (les sandales traditionnelles à hautes semelles de bois), trouve alors une nouvelle fonction. Elle sera la «makanai», celle qui prépare à manger.

Disons-le tout net, «Makanai» ne raconte rien de plus que ce quotidien-là, doux et feutré, assez incompréhensible pour les esprits occidentaux, mais aussi pour le père médecin de Sumire. Parler de rien, c’est forcément parler de la vie, et cela suffit amplement, lorsque c’est bien fait, à tenir une série. Kore-eda bat quelques clichés en brèche (non, les geishas ne sont pas des prostituées) et déploie une atmosphère et des personnages plus qu’une intrigue. On se surprend à vouloir regarder encore et encore un couteau Santoku trancher avec précision des gombos, des baguettes battre des œufs qu’on versera délicatement dans du poulet aux oignons, un caramel couler sur un pudding au pain, des aubergines frire puis fondre dans leur sauce. Tout ceci est filmé avec tant de plaisir que les odeurs semblent jaillir de l’écran.

La mélancolie affleure

Si l’objectif de Kore-eda n’est clairement pas d’égratigner la tradition japonaise, la douleur et la mélancolie ne sont jamais très loin dans «Makanai». Ryoko, adolescente bougonne et fille de la directrice de l’école, éclabousse le cocon lisse des geishas de son spleen. Sœur Momoko, l’une des geishas les plus en vue, revient ivre morte des soirées chez ses clients, comme pour oublier que son métier («je ne sais rien faire d’autre», avouera-t-elle) est à mille lieues de sa personnalité (elle est fan de films d’horreur). Yuko, ancienne geisha excentrique, revient au bercail après avoir testé la vie maritale (une catastrophe). En creux, «Makanai» esquisse une sorte de micro-société en dehors du monde, dont il est quasiment impossible de partir.

Et c’est cela, finalement, qui intéresse et a toujours intéressé Kore-eda. Là encore, tout est «une affaire de famille», pas celle qui nous est assignée, mais celle que l’on choisit, en l’occurrence pleine de petites jalousies et de douleurs larvées, mais aussi de sororité et de communion. La cuisine se trouve être le point de jonction des caractères, l’endroit où on s’autorise à se confier, où on quitte le masque blanc des geishas pour éclater de rire, où on vit pleinement des émotions intenses. Là, aussi, où on aime vraiment. Car il n’existe pas de plus pure preuve d’amour, nous dit «Makanai», que de nourrir son prochain.

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