Pour sa quatrième et dernière saison, sortie ce jeudi 21 septembre, «Sex Education» s’est offert une campagne marketing plutôt osée. La série, qui fait un carton sur Netflix depuis 2019, a multiplié des affiches centrées sur chacun des personnages. Les visages d’Otis, de Maeve, de Jean et des autres apparaissent en gros plan, souvent la bouche ouverte, déformés par ce qui est, sans doute possible, un orgasme.
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C’est que cette fiction, créée par la Britannique Laurie Nunn, s’est fait un plaisir de parler de sexe tout au long de ses épisodes. Mais pas question d’aligner simplement les parties de jambes en l’air entre des ados (et quelques adultes) submergés par leurs hormones. Comme son titre l’indique, «Sex Education» parle également de consentement, d’homosexualité, de vaginisme et d’acceptation de soi, aussi à l’aise pour traiter du désir que de l’absence totale de désir, de féminisme que de non-binarité.
La série fait partie des nombreuses fictions sur petit écran qui, depuis vingt-cinq ans, font bouger les lignes des représentations de la sexualité. Il y a un quart de siècle sortait en effet «Sex and the City», création irrévérencieuse de Darren Star produite par HBO. On y découvre quatre femmes bien décidées à vivre leur vie comme elles l’entendent, y compris dans la chambre à coucher. Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda sirotent des cocktails dans les bars huppés de Manhattan et baissent leur garde — et leur culotte – devant pas mal de monde au fil des saisons. Surtout Samantha qui lancera cette réplique culte, sorte de résumé de l’esprit de cette fiction: «Ni toi ni la société ne me jugeront. Je m’habillerai comme je veux et je sucerai qui je veux aussi longtemps que je vivrai et que je pourrai m’agenouiller.»
«Sex and the City» et le boom des sex-toys
Si aujourd’hui la série conserve une telle aura, c’est probablement parce qu’elle a fait l’effet d’un séisme à sa sortie. En 1998, Britney Spears est une star mondiale avec son single «Baby One More Time». Une star mondiale qui, comme beaucoup d’autres, prône… la virginité avant le mariage. «À l’époque, c’était fou de penser que des femmes pouvaient faire l’amour juste pour le fun, comme les hommes», analyse Karley Sciortino, autrice et productrice américaine spécialiste de la sexualité, dans l’une de ses chroniques pour «Vogue». «Le slut-shaming était omniprésent, dans la fiction comme dans la vraie vie. Depuis le film Les Amants du nouveau monde jusqu’à Monica Lewinsky, en passant par Paris Hilton, on avait l’habitude de punir les ‘salopes’ depuis la nuit des temps.»
Les conséquences de ce changement de représentation se mesurent dans la vraie vie. Dans l’épisode 9 de la première saison de «Sex and the City», Charlotte, de loin la plus mal à l’aise avec le sexe des quatre personnages, se voit offrir un sex-toy. Très vite, elle devient complètement accro à son «rabbit». Et devant les sex-shops américains, toujours en 1998, des files d’attente se forment avec toutes les fans de la série pressées de tester, elles aussi, les pouvoirs vibrants de l’objet jusqu’ici plutôt tabou. Vibratex, l’entreprise qui commercialise le fameux rabbit, enregistre une hausse de ses ventes de plus de 700% dans l’année qui suit la diffusion de l’épisode.
Des fictions plus gay…
Vingt-cinq ans plus tard, la fiction de Darren Star semble toujours aussi libérée, à quelques exceptions près. Elle est pourtant loin, avec ses quatre héroïnes blanches, toujours glamour et très hétérosexuelles, d’avoir couvert l’intégralité du spectre de la sexualité. En 1999, le Britannique Russel T. Davies a, lui aussi, participé à la tectonique des plaques des représentations en créant «Queer as folk». L’histoire d’un groupe d’homosexuels de Manchester, adaptée dès l’année suivante aux États-Unis sur la chaîne Showtime.
Pour la première fois, les personnages principaux sont gays et l’un est même adolescent. La découverte de leur orientation sexuelle n’est pas vraiment un sujet: dans une scène, la mère de Nathan, 15 ans, découvre du porno gay dans sa chambre. Pas question d’en faire un drame, elle remet tout en place avec un sourire. Au fond, elle a toujours su que son fils ne lui ramènerait jamais de petite amie. Cette normalisation est inédite. La série, qui s’ouvre sur une scène de sexe, provoque un tollé en Grande-Bretagne, les conservateurs pointant sa crudité et le jeune âge de certains protagonistes.
La version américaine cristallise les tensions au sein même de la communauté gay. On lui reproche de trop en faire sur le sexe et l’usage de drogues et de montrer des homosexuels vivant entre eux, sans jamais côtoyer d’hétérosexuels. La crainte que ces histoires très crues puissent nuire à la lutte pour l’égalité des droits apparaît. Pourtant, là aussi, la demande de représentations différentes se fait sentir. En Grande-Bretagne, «Queer as folk» affole les compteurs d’audience, avec trois millions de téléspectateurs par épisode malgré une diffusion tardive. Elle est piratée partout dans le monde. «J’ai rencontré beaucoup de gens, hommes et femmes, qui m’ont dit que [la série] leur avait donné confiance. Je suis assez fier de ça», glissait Aidan Gillen, l’un des acteurs principaux, au «Guardian» en 2015.
…et plus lesbiennes
Sortie en 2004, «The L World» a poursuivi le travail avec son large spectre de femmes lesbiennes ou bisexuelles et de personnages transgenres. Pour bon nombre de lesbiennes adultes aujourd’hui, elle est demeurée la seule fiction à les accompagner dans la peinture de leurs désirs (et leurs galères). Comme le résume Iris Brey, chercheuse, réalisatrice et autrice, dans son essai «Sex and the Séries» (éditions de l’Olivier, 2016), «les séries rendent visibles ce qui a parfois été rendu invisible». Par la suite, «Orange is the new Black» est venu donner encore un coup de modernité à la représentation de la sexualité avec ses détenues trans, bi, lesbiennes et racisées.
Mais l’enjeu n’est pas seulement de faire figurer toutes les orientations sexuelles. Il est aussi de montrer le sexe autrement que comme un moment de grâce un peu évanescent et forcément incroyable, ce qui s’est longtemps traduit à l’écran par des montages vieillots de gros plans liés par des fondus enchaînés [quand le plan suivant vient se superposer au précédent].
À la sortie de Girls, en 2012, Lena Dunham filme la sexualité comme personne avant elle. Sans fard, sans effets. Pas pour émoustiller mais bien pour donner des indications sur l’état émotionnel de ses personnages. Elle fait sa propre révolution télévisuelle en filmant son corps, celui d’une femme grosse, comme objet et sujet de désir. À l’inverse, celui de l’actrice Allison Williams (Marnie dans la série), qui entre parfaitement dans les canons de beauté hollywoodien, apparaît moins à l’écran pendant les scènes érotiques. Ou a droit à des positions encore jamais vues ailleurs que dans le porno, avec notamment un anulingus resté dans les annales.
Filmer du sexe «bizarre et embarrassant»
Le sexe n’est pas toujours beau. «La plupart du temps, il est bizarre, embarrassant, drôle», lançait même Laurie Nunn, la créatrice de «Sex Education», lors du festival CanneSéries en 2021. Dans un épisode de sa fiction, un personnage apprend à accepter ses mimiques faciales étranges pendant l’orgasme. Dans un autre, on y parle de la diversité des tailles et des formes du sexe féminin. Toujours, on décomplexe, on normalise, bref, on tient la promesse du titre: on éduque.
«Certaines séries en viennent à remplacer le corps médical ou les figures d’autorité pour articuler un discours autour de l’orgasme féminin que l’on n’entend nulle part ailleurs», analyse encore Iris Brey. Dans sa première série, «Split» (bientôt diffusée sur le site internet de France Télévisions), la réalisatrice est d’ailleurs passée de la théorie à la pratique en montrant un «squirt», une forme de jouissance féminine. «C’est en cela que les séries occupent une fonction révolutionnaire : elles sont majoritairement accessibles à tous et à toutes et peuvent être dévorées dans l’intimité de sa chambre», écrit-elle encore dans son essai «Sex and the Séries».
Montrer un nouveau rapport au consentement
Un «rapport privilégié d’exclusivité» s’installe alors entre le spectateur ou la spectatrice et la série. Un nouveau cap est d’ailleurs franchi dans l’hilarante «Fleabag», comédie britannique présentant un personnage principal féminin accro au sexe qui brise régulièrement le quatrième mur pour s’adresser à la caméra. Dans la toute première scène du premier épisode, la créatrice et actrice principale, Phoebe Waller-Bridge, nous parle donc directement… de sodomie.
Faut-il nécessairement aller plus loin dans le cru et les pratiques originales pour jeter un regard moderne sur le sexe? Certaines séries récentes ont montré que non. Prenons «Normal People», série sortie en 2020 et adaptée d’un roman de l’Irlandaise Sally Rooney. Elle raconte l’histoire d’amour de Connell et Marianne, deux jeunes gens tout ce qu’il y a de plus banals. Pendant leur premier rapport sexuel, Connell s’assure que Marianne est consentante en permanence. On le voit aussi enfiler un préservatif de façon très triviale, sans que cela nuise jamais à l’érotisme de l’entreprise. Des choses finalement aussi simples et courantes dans la vie que rarement représentées à l’écran. Toutes les révolutions ne se mènent pas tambour battant et certaines, bien plus discrètes, n’en sont pas moins radicales.