No more chill
Netflix a-t-il tué la sexualité des couples?

Alors que le nombre de séries disponibles sur les plateformes est en perpétuelle augmentation, les adultes à même d’en consommer font de moins en moins l’amour. Netflix est-il vraiment si néfaste pour la libido?
Publié: 04.07.2023 à 19:29 heures
Les Suisses font moins l'amour qu'en 2003: à l'époque, ils avaient des rapports 2,3 fois par semaine alors qu'aujourd'hui, le chiffre est tombé à 1,4 fois.
Photo: Shutterstock
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Margaux BaralonJournaliste Blick

«On regarde un petit épisode?» Quel couple n’a pas expérimenté cette soirée, quand l’appel de Netflix ou de la dernière production HBO est si fort qu’une série s’invite dans le salon, voire dans la chambre à coucher? La suite est aussi prévisible qu’une comédie romantique mal écrite: il est plus que probable que les épisodes s’enchaînent jusqu’à ce que l’une des deux personnes s’endorme profondément. Ce qui, on le conçoit aisément, est rarement le prequel d’une nuit torride.

Les séries à la fête, le sexe en berne

Le constat est d’ailleurs sans appel. Alors que le nombre de séries explose (599 rien qu’en langue anglaise en 2022, contre 560 l’année précédente et… 182 en 2002), le nombre de rapports sexuels, lui, suit le chemin inverse. Du moins dans les sociétés développées. Au Royaume-Uni, les couples faisaient l’amour en moyenne cinq fois par mois dans les années 1990. Trente ans plus tard, ce chiffre a plongé de 40%, avec trois relations sexuelles par mois. Même chose de l’autre côté de l’Atlantique: les adultes américains ont eu neuf fois moins de parties de jambes en l’air dans les années 2010 par rapport à la fin des années 1990.

La Suisse romande suit le même chemin, comme l’a montré notre sondage réalisé en partenariat avec M.I.S Trend en février dernier. En moyenne, les personnes interrogées font l’amour 1,4 fois par semaine, contre 2,3 fois en 2003. Et la baisse concerne absolument tout le monde, femmes comme hommes, jeunes comme vieux, couples comme célibataires.

Et si tout cela était de la faute de Netflix? En 2015 apparaît pourtant l’expression «Netflix and chill», doux euphémisme qui désigne le fait de proposer une soirée visionnage de séries à l’objet de son affection pour tenter, à la fin, de mettre la personne dans son lit. La plateforme américaine de streaming est donc perçue comme un bon moyen de parvenir à ses fins. Trois ans plus tard, un vent de panique de sens contraire s’empare des médias. Nombreux sont ceux qui titrent sur la ruine de toute vie sexuelle à cause de Netflix (créé en 1997 aux États-Unis, mais qui répand ses services dans le monde à partir de 2013) en invoquant des études et des chercheurs des plus sérieux.

Beaucoup d’hypothèses, aucune assertion

On a cherché, cherché… et on n’a pas trouvé grand-chose. En 2017, une étude américaine parue dans la revue «Archives of sexual behavior» pointe en effet la baisse de la fréquence des rapports sexuels des adultes. Et ses trois auteurs expriment alors des hypothèses, notamment le fait qu’il existe «plus d’options de divertissement comme le streaming». Mais l’étude est très prudente et précise bien que si cette explication est «plausible», «elle ne peut être explorée avec les données actuelles».

Un autre chercheur, britannique cette fois, évoque également Netflix. Il s’agit de David Spiegelhalter, statisticien à l’université de Cambridge. Au Royaume-Uni comme ailleurs, on l’a vu, la fréquence des rapports sexuels baisse. Interrogé sur les causes de cette diminution lors d’une conférence pendant un festival de littérature, l’expert assure que les statistiques n’ont pas de réponse. Puis lance une blague: «Je pense que c’est Netflix.» Plus sérieusement, il avance un problème «d’hyper-connectivité» des individus, le fait de «checker son téléphone constamment».

Mais les médias ne retiennent alors que Netflix, quand bien même les statistiques de David Spiegelhalter s’arrêtent en 2010, soit… avant que la plateforme ait fait son apparition dans les foyers britanniques. Le professeur est même obligé de reprendre de volée des journalistes pour préciser, une nouvelle fois, qu’il ne s’agissait que d’une blague.

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26% des Américains ont déjà préféré le streaming au sexe

En 2019, le «Wall Street Journal» décide d’en avoir le cœur net et organise un sondage dans ses colonnes. Quelque 86% des répondants utilisent un service de streaming et plus d’un quart (26%) de ces utilisateurs admettent avoir déjà, dans les six derniers mois, préféré le streaming à une relation sexuelle. Ils sont quasiment autant (24%) à déclarer que leur partenaire a fait de même sur la même période. La proportion grimpe même à 36% parmi les 18-38 ans.

Interrogé par le journal américain, un porte-parole de Netflix décline toute responsabilité avec humour: «Nous sommes fiers de participer à un bouleversement culturel, mais être à l’origine d’un déclin des relations sexuelles qui dure depuis des décennies est hors de la portée de notre catalogue.»

Le véritable ennemi de la libido, c’est le stress

Le fait est qu’il est difficile de trouver des données scientifiques qui lient exactement le streaming et la baisse de libido. «S’il y a eu une étude, je ne l’ai pas lue», avance prudemment Aline Alzetta-Tatone, sexologue et thérapeute de couple à Neuchâtel, auprès de Blick. «Il y a bien une réalité, qui est que l’ennemi numéro un du sexe, au niveau tant psychique que physique, c’est le stress. Or, nos vies sont aujourd’hui complètement stressantes. L’individu va donc chercher à rééquilibrer ce stress, grâce à des moments de décrochage, où il ne se prend plus la tête.»

Et regarder une série sur Netflix correspond bien plus à cette définition que le sexe. «Les séries offrent une manière de vivre ce qu’on ne vit pas dans la vraie vie. On peut devenir qui on veut», souligne Aline Alzetta-Tatone. La praticienne observe d’ailleurs une autre échappatoire chez certains patients: le sport. Autrement dit, on aura souvent tendance à évacuer le stress sur un vélo elliptique ou devant la 57e saison de son soap préféré, rarement en faisant l’amour.

Et si… c’était l’inverse ?

En revanche, il est impossible d’affirmer que les services de streaming n’ont aucune conséquence sur l’intimité de celles et ceux qui les regardent. Mais ces effets pourraient bien être à l’opposé d’un effondrement de la libido. Dans une étude publiée en 2011, soit bien avant que Netflix ne vienne conquérir le monde, quatre chercheurs américains ont analysé ce que regarder des scènes de sexe à la télévision faisait aux adolescents. Ils en concluent notamment que les séquences érotiques dans les comédies ont tendance à provoquer, chez celles et ceux qui regardent, une envie d’«engager des comportements sexuels».

Traduit dans des termes un peu plus concrets que le langage universitaire, cela signifie que les jeunes pourraient avoir envie de faire l’amour après avoir regardé une comédie. À l’inverse, les drames ne donnent pas du tout envie de se donner du plaisir à deux (ou plus), selon la même étude. Les lecteurs et lectrices du «Wall Street Journal» ne sont pas entrés dans ce genre de détails, mais 86% de celles et ceux qui regardent du streaming ensemble estiment qu’il s’agit de «moments de qualité» passés ensemble. Et si 70% estiment que cela n’a aucun effet sur leur sexualité, ni dans un sens ni dans l’autre, ils sont 17% à affirmer que oui, regarder Netflix, Prime Video ou d’autres plateformes les poussent à plus faire l’amour. Bref, les séries ne sont probablement pas les tue-l’amour qu’on se plaît à imaginer…

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