Le soleil tape fort. Très, très fort. Bernie Constantin, épaulé par son humoriste de fils Jessie Kobel, gravit péniblement les longues marches de pierre de l’amphithéâtre d’Avenches. Nous sommes samedi, Rock Oz’Arènes vient tout juste d’ouvrir ses portes pour l’avant-dernière soirée de cette édition 2022. Les guitares électriques vont bientôt hurler. C’est là que le Valaisan, qui a foulé à plusieurs reprises la Grande scène broyarde, a décidé de présenter son autobiographie «Ma vie en rock au pays du rhododendron».
«J’ai 75 barreaux, je ne suis plus celui que j’étais avant, souffle l’ancienne gloire du rock helvétique. J’ai parfois l’impression d’être le rescapé d’une partouse de gorilles. Mais je ne regrette rien!» Rescapé, ce mot sonne juste. En 2013, un AVC a failli coûter la vie du chanteur de «Switzerland Reggae» (1982) et de «Lola Berlingo» (1984). Une saloperie qui lui a laissé des traces dans les poumons et dans la mémoire. Probablement la pire des séquelles pour celui qui s’enorgueillissait de ne rien oublier.
«Je rendais visite à mon fils, à Lausanne, et je ne me sentais franchement pas bien, raconte-t-il, affublé de sa mythique casquette et de ses lunettes aux verres fumés. Jessie m’a emmené au CHUV et m’a sauvé la vie. Sans lui, je serais mort dans mon appartement d’Anzère.» Après de longs mois de convalescence, le rockeur, surnommé l’Iguane des Alpes en clin d’œil à la superstar américaine Iggy Pop, est brièvement remonté sur scène. C’est aujourd’hui définitivement de l’histoire ancienne.
«J’ai dû tout réapprendre, enchaîne Bernie. Je n’arrivais même plus à parler. Mon retour a surpris tout le monde, moi le premier.» Son fils sourit: «J’ai une bonne anecdote, assez symptomatique de cette période. J’étais venu le voir dans sa chambre d’hôpital pour lui amener deux ou trois de ses disques. J’en ai mis un, ni vu ni connu. Et il m’a dit: 'C’est pas mal, ça! Mais je ne comprends rien de ce que ce type raconte'. Je lui ai répondu que ce n’était pas grave, que moi non plus je n’avais jamais rien pigé à ce que baragouinait ce gaillard!»
«Des brouettes de cocaïne»
Le rockeur valaisan n’a jamais caché son penchant pour les excès en tout genre — les «nanas» et les substances «rigolotes», notamment. Des passages de sa vie qu’il dévoile sans fausses pudeurs dans son livre publié aux éditions Slatkine. A-t-il l’impression d’en avoir payé les conséquences? Il se marre: «Je n’ai jamais touché à l’héroïne, mais j’ai pas mal pratiqué le cannabis, le LSD… Tout ce qui ouvre l’esprit, tu vois. C’était l’époque, les années 70 psychédéliques. Et je me suis aussi envoyé des brouettes de cocaïne. Mais avec l’AVC, tout ça, c’est terminé. Faut pas exagérer!»
Attention: résumer Bernie Constantin à la déconne — noble activité dans laquelle il excelle — serait malhonnête. L’homme est bien davantage qu’un personnage aux saillies souvent vulgos, qui a fait remuer les foules à une époque que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître.
Depuis son village natal de Botyre, sur la commune d’Ayent, jusqu’à Los Angeles, en passant par Hambourg, Paris ou encore Amsterdam, le Valaisan a sillonné les routes au rythme du rock. Et a rencontré les plus grandes stars du genre avant de lui-même en devenir une. «Arrête avec le mot 'star', je ne l’aime pas!, grommelle-t-il. Pas tout le monde est Elvis Presley! Je ne me suis jamais pris la tête avec ça. Et, comme je l’écris dans mon bouquin, l’importance de ma personne n’a jamais été celle que la musique a toujours eue pour moi.»
Une dernière trace (dans l'histoire)
Le chanteur prend une gorgée d’eau et s’essuie la bouche. «Faut pas me faire chier, je suis comme Mick Jagger!», lance-t-il dans un éclat de rire. «Je suis surtout très reconnaissant, j’ai eu beaucoup de chance, reprend-il. Regarde ma vie… J’ai énormément travaillé, c’est vrai, mais j’ai plutôt bien réussi ma carrière d’artiste pour dire d’où je viens, dans ma montagne, à une époque où la radio était une machine à rêves et où le rock n’existait même pas. Mais, quand je regarde derrière, je vois bien que tout ça est terminé. Tous les copains — Alain Bashung, Jacques Higelin… — sont morts. C’est comme ça...»
Que reste-t-il de cette époque? «La musique et… moi!, sursaute Bernie. C’est aussi pour ça que j’ai écrit cette autobiographie. Je voulais laisser une trace tant que je le pouvais encore et raconter des choses qui, à ma plus grande surprise, intéressent beaucoup. Y compris les jeunes.» Mission accomplie. Longue vie à l'Iguane des Alpes!