Ses sons sentent la bière, la clope, la sueur. Un aller simple — sans garantie de retour — pour un pub mancunien. Le groupe Broken Bridge fait du bruit. Beaucoup de bruit. Surtout dans la cossue région de La Côte, d’où ses trois rockeurs au look de dandies déglingués sont tous originaires. Mais pas question d’enchaîner les chopes dans un bar cradingue à souhait pour discuter Paléo, festival qu’ils ouvriront ce mardi (Club Tent, 16h30).
Don Saltamontes, élégante sauterelle tortionnaire de guitare électrique, Redd Knee, chanteur-bastonneur de fûts en chef et Nikolaï, bassiste groovy aux longs cheveux propres, veulent du calme avant la tempête de décibels qui s’abattra sur la plaine de l’Asse jusqu’au 24 juillet. Rendez-vous est donc pris… au tennis club de Gland.
Ici, les gens n’ont pas les yeux rougis par la fumée des cigarettes et ne rotent pas comme des démons après avoir trinqué. Ils sont discrets, quasi tous affublés d’un polo blanc. Et sucent des glaçons arrosés d’une eau minérale. Nous aussi.
Retour dans les vestiaires du gymnase
C’est là que les trois vingtenaires héritiers du punk 60’s — qui ne donnent que leur pseudonyme de scène — ont tourné le clip de leur single «Cabin Fever». Une manière de casser les codes, de proposer un contraste avec leurs sonorités brutales. Même idée avec leurs habits de lumière léchés, presque proprets. Un mélange des genres déroutant mais séduisant.
Un univers dont le bing bang remonte à 2015. Nous sommes dans les vestiaires du gymnase de Nyon. «Redd Knee, que je ne connaissais pas, a vu que j’avais ma guitare avec moi. Il est venu me parler musique, ça a tout de suite pris, raconte Don Saltamontes. À cette époque, on avait quelques influences musicales en commun mais surtout pas mal de divergences. Lui était attiré par le punk underground, moi beaucoup plus par le blues et le rock. Il a fallu trouver des dénominateurs communs.»
La petite histoire croise la grande
La première passerelle entre les deux mondes s’appelle Stevie Ray Vaughan, l’un des meilleurs guitaristes de l’histoire de la musique. «Étrangement, on est arrivé sur lui dans la discussion, relance Redd Knee, un sourire en coin. C’était le lien qu’il nous fallait. Et, au fur et à mesure, on s’est enrichi mutuellement. On a d’abord créé un projet avec des potes des gymnases puis, après cette étape, on s’est retrouvés avec Don Saltamontes autour du garage rock. C’est comme ça que Broken Bridge a vu le jour, début 2018.»
Pourquoi ce nom, en fait? Les deux potes se marrent. Redd Knee lâche le morceau: «On était posés sur la terrasse des Brasseurs, à Lausanne. On cherchait de l’inspiration et on tournait en boucle sur les clichés, par exemple un nom accompagné d’une couleur. Genre 'Red Carpet'. Puis, on a flashé sur le mot 'broken'. On aimait bien sa sonorité. En levant les yeux, on a vu le Grand-Pont, qui surplombe la place de l’Europe. On l’avait: 'Broken Bridge'.»
Près de quatre ans avant le début des travaux qui ont nécessité la fermeture de l’édifice, ce blase avait un petit côté prémonitoire. Don Saltamontes acquiesce. «Nous avons joué à la place Bel-Air lors de la dernière Fête de la musique et c’était complètement dingue d’avoir le pont derrière nous, avec les pierres toutes cassées. D’un coup, cette anecdote faisait sens…»
Jouer devant des groupes mythiques
Côté scène, Broken Bridge a écumé les salles romandes, alémaniques et même françaises. Et a notamment fait la première partie du légendaire Billy Gibbons de ZZ Top, de The Underground Youth, The Fleshtones, The Morlocks ou encore de Amyl and the Sniffers.
Les derniers nommés ont particulièrement marqué Nikolaï, qui a pris sa basse pour rejoindre les deux larrons un peu après leurs débuts. «C’était dans le club mythique de Zurich Mascotte, glisse-t-il. Une expérience de dingue! D’abord parce que c’est un groupe qui nous tient énormément à cœur. On a pu les rencontrer et faire un after incroyable avec eux dans les loges. Et aussi parce qu’on aimerait bien jouer en Suisse alémanique encore plus. C’est un vrai objectif.»
Dans l’histoire de ces trois étudiants à la ville, Paléo sera une sacrée étape. Mais pas une finalité. «Ça va être un grand moment puisqu’on vient de la région nyonnaise, amorce Don Saltamontes. On est très reconnaissants de pouvoir le faire, aussi grâce à toutes les personnes qui nous entourent, nous accompagnent et nous soutiennent. Et après? J’aimerais beaucoup qu’on se produise au Glastonbury Festival, en Angleterre, et aux Eurockéennes de Belfort.»
Il faudra d'abord embraser le Club Tent. Broken Bridge s’y prépare, trépigne d'impatience. La formation y jouera pour la première fois son nouveau single «When did it come to this?». Une raison de plus pour ne pas passer à côté. Feu départ!