Cette histoire, c’est celle de gars qui jouent à leur jeu vidéo de prédilection «en slip devant leur écran». Et qui, petit à petit, tissent des liens en ligne et créent une communauté. Puis, toute cette communauté se rassemble et décide, sous l’égide du streamer ZeratoR, de remplir Paris-Bercy. Cette histoire, c’est aussi celle de l’édition 2022 de la TrackMania Cup, que j’ai pu suivre au plus près.
Et mon récit commence naturellement seul, devant mon écran d’ordinateur (muni de mon pantalon, je vous rassure). Remontons au 15 mai dernier. À cette époque, ils sont 2500 joueurs à se lancer dans les qualifications de la TrackMania Cup en ligne. Seuls les huit meilleurs duos se qualifient pour le dernier carré et la finale qui se joueront le 4 juin, devant 15’000 personnes à Bercy.
Connaissant les bonnes chances de deux Suisses de monter à Paris, je suis donc devant mon ordinateur pour suivre leurs exploits à distance. Ces Romands, ce sont Yann «Yannex» Perroulaz et Sébastien «Affi» Affolter.
«C’est tout droit!»
Le dimanche soir, le stress monte. Les deux joueurs — qui ne font pas équipe ensemble — se retrouvent dans le même quart de finale et ils devront terminer aux deux premières places pour se qualifier. Il est 22h45 quand Affi décroche sa place pour Bercy. 22h58 lorsque Yannex, au bout du suspense, en fait de même. Seul devant mon ordinateur, je serre le poing de joie. Je n’accompagnerai non pas un, mais bien deux Suisses à Paris le 4 juin.
Les contacts avaient été pris en amont. Les deux sont d’accord que je me joigne à leur(s) folle(s) aventure(s). Pour des raisons pratiques, il est décidé que je prenne le train avec Affi le jeudi soir. Et pour ne pas créer d’injustice, je vais boire un verre sur une terrasse fribourgeoise avec Yannex le lundi avant la compétition. Mais, je vous avais déjà raconté sur Blick la belle histoire de ce pâtissier devenu streamer.
Grand Prix d’Allemagne et bébé qui hurle
Jeudi, je monte donc à bord du TGV Genève-Paris en compagnie de l’un des grands favoris de la compétition. Affi est aussi sympathique dans la vraie vie qu’il est talentueux sur le jeu TrackMania. On échange comme si ça faisait des semaines qu’on se connaissait. Il me raconte, des étoiles dans les yeux, son week-end dans le Paddock Club du Grand Prix d’Allemagne en 2019, pour fêter ses 20 ans. Un rêve éveillé pour le passionné de sports mécaniques qu’il est. Et ce n’est pas le bébé qui hurle devant nous durant une partie du trajet qui atténue son entrain.
Vers 22h30, on débarque à Paris. Hasard administratif, mon hôtel est à 20 minutes à pied du sien, dans la même direction. Sur la route, on passe devant Paris-Bercy.
- «Alors, comment tu te sens là?»
- «Je t’avoue que j’ai la gorge un peu sèche (rires). C’est vachement impressionnant, même vu de l’extérieur.»
On se sépare alors devant son hôtel et, chose que je ne sais pas à ce moment-là, je ne reverrai plus Affi jusqu’au samedi, 16h.
Rencontre express avec Yannex
Le vendredi est synonyme de préparation. Je revois Yannex dans un café du quartier durant une quinzaine de minutes. Accompagné de son habituel calme olympien, le Fribourgeois n’affiche pas le moindre stress… à 24h du grand moment.
Sur une terrasse un peu plus loin, je remarque à mes côtés deux hommes, dont l’un coiffé d’une casquette TrackMania Cup. J’entame donc la conversation:
- «Vous allez à la compétition demain?»
- «Ah bon? Je vois pas pourquoi tu dis ça», me répond amusé l’un de mes voisins de table.
C’est en discutant avec ces deux Français que je me rends réellement compte de l’ampleur du phénomène qu’est la TrackMania Cup. Yoan et Ronan se sont rencontrés en 2019 dans le train qui les amenaient au Zénith de Strasbourg pour la 7e édition de la compétition. Le premier venant de Limoges et le second de Poitiers. Depuis, ils sont devenus amis et ne voulaient rater pour rien au monde les finales dans la capitale.
Des fans venus de toute la Gaule
Le lendemain, c’est le grand jour. À midi, je décide d’aller me sustenter dans un food market non loin de Bercy. J’aperçois à une table un t-shirt de ZeratoR, le streamer qui organise l’événement. Ce groupe de six amis vient des quatre coins de la France — Albi, Toulouse ou encore Metz. Mais seuls deux ont des billets pour le show du soir: Constant et Justin. Peu importe, toute la clique a fait le déplacement à Paris. «C’est l’occasion de nous voir en vrai puisque deux de nos amis habitent ici.» Ils se sont rencontrés en jouant à des jeux vidéo ensemble, en ligne.
Je continue de me balader dans le quartier de Bercy et je tombe sur une trentaine de spectateurs qui hurlent à chaque fois qu’ils voient passer un t-shirt de l’événement. Mais, en plus de les appeler, le groupe leur fait signe de se joindre à eux. L’esprit est plus que bon enfant à quelques heures du show.
«Oh punaise, quelqu’un m’a reconnu»
Dans la foule, je reconnais «Aynyx», un gameur qui avait justement été éliminé par nos deux Romands en quarts de finale. Lorsque je l’interpelle, il est abasourdi: «Oh punaise, quelqu’un m’a reconnu!»
Il me présente «MimoJr», lui aussi malheureux au même stade de la compétition. «Aynyx» disparaît puis revient, accompagné de… treize autres amis dont son coéquipier lors des qualifications, «Heav».
Ce qui me marque le plus, au-delà de l’esprit soudé du groupe, c’est l’importance de la figure de ZeratoR dans ce jeu. «On vit grâce à Zera», me résume-t-on. Après une photo de groupe («dédicace au OwO Gang»), nos chemins se séparent.
Le choc d’une ambiance feutrée
L’heure est venue pour moi de me rendre dans la salle et d’aller voir mes deux poulains avant leur entrée sur scène. À nouveau, ils sont extrêmement détendus. Dans une salle de repos où tous les joueurs sont réunis, l’ambiance est étonnamment feutrée — un choc en comparaison avec ce qui se trame dehors et sur la scène. Yannex, habituellement stressé avant les grandes compétitions, me souffle même fièrement qu’il ne ressent pas le besoin de vomir.
Est-ce qu’un duo (Affi et son coéquipier Gwen, au hasard) va-t-il pouvoir battre les grandissimes favoris que sont Bren et CarlJr? «Même si tous les adversaires sont dangereux, sur le papier, ce sont nos principaux rivaux», reconnaît le second nommé. Venant du Québécois, qui a déjà remporté la TrackMania Cup à cinq reprises, c’est plutôt flatteur.
Toujours plus de monde
Vient l’heure de rejoindre ma place. En remontant dans les gradins, je vois au loin un drapeau suisse. Évidemment, je m’approche de David venu spécialement de Nyon pour l’occasion. Fan de CarlJr et Bren, il m’avoue faire acte de «traîtrise» en ne soutenant pas Yannex et Affi. Il se rattrape vite: «Je vais quand même encourager tout le monde.»
Puis, le show commence. Et là, les 15’000 personnes présentes à Paris-Bercy en prennent plein la vue. En ligne sur la plateforme Twitch, la foule ne cesse de grossir avec un pic à plus de 180’000 spectateurs. Dans la salle en délire, des «ola» sont lancées. Sur scène, micro en main, Yannex n’en croit pas ses yeux: «Je n’ai pas les mots. C’est indescriptible.» Le public scande son nom, puis celui d’Affi lors de l’autre demi-finale.
Les deux Suisses passent en finale et se disputeront la coupe. Affi s’est même payé le luxe d’éliminer CarlJr et Bren, les grands favoris et chouchous du public.
Avant le moment fatidique, je me balade dans la salle et je croise un nouveau drapeau suisse. Les Neuchâtelois Julien et Steve sont surexcités par la récente qualification d’Affi: «C’est une dinguerie. On est là pour soutenir tout le monde mais bon, on est évidemment un peu plus pour les Suisses. Mais l’expérience est folle… Les gens… La bienveillance… La TrackMania Cup quoi!»
Affi sur le toit du monde
La photo est prise et, avant que le show ne reprenne, j’ai le temps d’apercevoir Justine «Baghera Jones» Noguera. Cette autre Neuchâteloise est l’une des rares grandes streameuses suisses. Sur Twitch, elle est suivie par plus de 200’000 personnes. «J’encourage Affi et Yannex jusqu’au bout», raconte-t-elle entre deux selfies avec un fan. Accompagnée par plein d’amis streamers, elle a réussi à les convaincre de se rallier à la cause suisse. «Quand j’ai hurlé, ils ont tous suivi!»
En finale, la pression est importante mais Affi et Gwen ne tremblent pas. Ils s’offrent leur premier titre en duo, le troisième pour le jeune Breton. Dans les gradins, la coalition de journalistes suisso-breton que je forme avec deux confrères du «Télégramme» ne pouvait rêver d’une meilleure fin.
Les lendemains sont durs
Son énorme sourire n’a pas quitté Affi le lendemain matin devant son hôtel. Le Vaudois a encore des étoiles plein les yeux. Devant 200’000 personnes, il a soulevé le trophée le plus prestigieux de son jeu vidéo. À la gare, quelques personnes l’approchent. «Affi? Un grand bravo pour hier soir!»
Le héros du week-end le sait, le retour à la vie normale, à la HEP le lendemain, va faire mal. En même temps, comment lui en vouloir? Samedi soir, il exultait devant ses fans qui l’acclamaient. Lundi matin, il a un rendez-vous sur Zoom pour préparer l’un de ses examens.