Une élection est toujours un saut dans l’inconnu. Celle que vient de remporter avec succès Alain Berset, désormais Secrétaire général du Conseil de l’Europe pour les cinq prochaines années, est même plus que cela. L’ancien Conseiller Fédéral socialiste va en effet devoir tourner deux pages. La première est celle de son expérience gouvernementale nationale. La seconde est celle de sa nationalité. Le Fribourgeois restera évidemment suisse sur son passeport. Mais c’est au nom des 46 pays membres de l’institution basée à Strasbourg qu’il parlera désormais.
Besoin de crédibilité
Écrire cela, contrairement aux apparences, n’est pas qu’une formalité. Contrairement à l’Union européenne, cette «fédération d’États-nations» dont le parlement jouxte son propre hémicycle dans la capitale alsacienne, le Conseil de l’Europe est une institution qui manque du principal atout de la Confédération: la crédibilité. De nombreux États membres contestent les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, son bras armé si controversé qui a même condamné la Suisse, le 9 avril, pour «inaction climatique».
La question de la Russie, exclue depuis la guerre en Ukraine, est encore plus empoisonnée. A quoi sert le Conseil de l’Europe, pour faire simple, s’il n’est plus ce pont entre tous les pays du continent? Plus actuel encore: quel avenir sera celui de l’institution si la Communauté politique européenne (CPE), ce forum informel constitué autour de l’UE, prend peu à peu de l’importance?
La première obligation d’Alain Berset, fort de son carnet d’adresses d’ancien chef de l’État, doit donc être de parler en Européen sans œillères, en conservant à l’esprit que le cœur de son organisation est la défense de l’État de droit, de plus en plus mis en péril. Être un homme de compromis «à la Suisse» ne suffira pas, s’il veut faire de ce poste une référence, ce que la secrétaire générale sortante Marija Pejčinović Burić, de nationalité croate, n’a absolument pas réussi à imposer.
Alain Berset doit, dans ses nouvelles fonctions, démontrer à la fois aux membres de l’Union et aux autres pays membres que leur intérêt est de conserver, à Strasbourg, ce gardien de la justice, des libertés et de l’éducation. Tout en prenant à bras-le-corps le dossier compliqué, mais indispensable, de l’engorgement très problématique de la Cour européenne des droits de l’homme.
Amertume à Bruxelles
L’ex-conseiller fédéral n’est plus suisse. C’est une évidence qu’il faudra apprendre à conjuguer à Berne, mais aussi à Bruxelles où un vent d’amertume va sans doute souffler après la seconde défaite du Commissaire européen belge à la justice, Didier Reynders. Il y a cinq ans déjà, celui-ci avait échoué à prendre la tête du Conseil de l’Europe.
La preuve, sans doute, qu’une majorité de parlementaires européens de l’Assemblée du COE (114 voix pour Berset contre 85 pour l’Estonien Indrek Saar (ancien ministre de la Culture) et 46 pour Reynders, souhaitent tenir à distance l’Union et ses institutions. A l’efficacité d’une campagne diplomatique et politique bien menée doit maintenant succéder un agenda capable de replacer le Conseil de l’Europe sur la carte de la géopolitique, et de démontrer son utilité à l’heure de la vague nationale-populiste-réactionnaire qui déferle partout sur le continent.