Je vous expliquerai un jour pourquoi je me suis retrouvé à la frontière entre le Laos et le Cambodge alors que je suis en route pour… l’Inde. Mais pour l’instant, j’y suis. Et le douanier laotien ne veut pas tatouer mon passeport de son joli tampon.
«Vous n’avez pas votre fiche de sortie? Un collègue vous l’a pourtant remise à l’entrée dans le pays.» Non, il a surtout bien pris soin de ne pas me la donner – et j’avais essayé d’insister. Dimitri, mon boyfriend, est à la même enseigne.
«Vous pouvez me donner combien?»
Le gabelou (moi aussi, j’apprends de nouveaux mots) me fait signe d’avancer la tête. Il baisse la voix, comme si personne ne se doutait de ce qu’il allait me proposer en ce dimanche 3 novembre. «Vous n’avez pas le droit de sortir du pays sans cette feuille. Vous pouvez me donner combien?»
Cinq dollars? Il me repose sa question. Ce sera 10 dollars pour nous deux. L’encre coûte cher dans cette dictature communiste, 44e pays le plus corrompu au monde (sur 180). Notre voisine allemande subit l’inflation de plein fouet: pour elle, c’est 20 dollars. Tarif multiplié par quatre en deux minutes, heureusement pour elle qu’il n’y avait pas de file.
Journaliste à Blick durant trois ans, Amit Juillard a quitté son poste pour se lancer un nouveau défi: rejoindre l’Inde sans prendre l’avion, puis s’y installer pour — inch’allah — y écrire des histoires. De temps en temps, il vous racontera un bout de ce voyage exceptionnel sur notre site.
Journaliste à Blick durant trois ans, Amit Juillard a quitté son poste pour se lancer un nouveau défi: rejoindre l’Inde sans prendre l’avion, puis s’y installer pour — inch’allah — y écrire des histoires. De temps en temps, il vous racontera un bout de ce voyage exceptionnel sur notre site.
Il faut marcher 450 mètres pour gagner 21 places au classement. Bienvenue au Cambodge (23e)! Un premier agent attend à l’extérieur du poste de Trapaing Kreal. «Payez un dollar ici!» Pourquoi? Son doigt tombe sur un bout de papier blanc où il est écrit, à la main: 1$. Limpide.
Jouez les Che Guevara et votre bus partira
Pour les flemmes et les râpes qui n’ont pas obtenu leur visa en ligne pour 36 dollars, il y a l’option de l’acquérir on arrival. Officiellement pour 30 dollars.
Le capitaine de police qui gère la procédure a la moustache de celui qui mange à sa faim. «35 dollars!» C’était attendu: le «Lonely Planet» nous avait mis en garde. Payer les 5 dollars supplémentaires sans broncher et votre bus vous attendra. Jouez les Che Guevara et il partira. Hasta la victoria mon prochain arrêt c’est Siem Reap et nous avons réservé dans un bel hôtel alors arrivederci les losers.
Il reste l’étape du stempf d’entrée au guichet suivant. Ô surprise! Ici, il est écrit sur le mur, en anglais, «nothing to pay here» («rien à payer ici»). Si j’étais vous, je l’écrirais en cambodgien un peu partout, ce sera plus efficace.
Salaire minimum laotien: 73 francs
La petite corruption paraît anodine. Mais elle ne l’est pas. Déjà parce qu’elle signifie que les fonctionnaires sont sous-payés. Leur salaire minimum au Laos? 73 francs par mois. Même à Luang Prabang, il est très difficile de vivre avec si peu. La preuve? Il est possible de rencontrer un prof d’uni au volant d’un Loca (Uber local) qui gagne cinq fois plus en conduisant durant son week-end de deux jours qu’en enseignant cinq jours durant la semaine.
Un État qui paie bien – faut-il le rappeler – sert à éviter la corruption, et donc à garantir l’égalité des chances. L’État n’est pas une concurrence pour l’économie privée. L’État doit être un exemple qui tire les salaires vers le haut – c’est exactement l’inverse au Laos. Couper dans les rétributions des fonctionnaires comme souhaite le faire l’Union démocratique du centre (UDC) donne le signal aux employeurs que les rémunérations dans le privé peuvent stagner. Au bout du compte, c’est donc toute une population qui paie les pots cassés.
Au Laos, au Cambodge, comme ailleurs, la corruption crée une société à deux vitesses: celles et ceux qui peuvent payer pour se sortir d’une situation scabreuse, couper la file à l’hôpital ou obtenir un permis de construire et les autres. Dans les pays du Sud globalisé, des élites au pouvoir profitent de ce système.
Les classes populaires qui trinquent et moi aussi
L’Occident et ses multinationales aussi! La corruption leur permet un accès privilégié aux ressources tout en polluant un max et en exploitant les travailleuses et travailleurs nationaux sans avoir à se soucier de normes à respecter. Les exemples passés ou récents sont légion: le géant suisse Glencore au Congo, des sous-traitants de grandes marques de mode au Cambodge, ... Une entreprise helvétique sur trois verserait des pots-de-vin à l’étranger, selon une récente étude.
La Suisse est le 6e pays le moins corrompu au monde. Mais les lobbies pèsent lourd sous la Coupole fédérale et la transparence sur le financement des partis n’est toujours pas une réalité. Cerise sur le gâteau: on peut être coupable d’acceptation d’un avantage et être conseiller d’État.
À la fin, en Suisse comme au Cambodge ou au Laos, ce sont les classes populaires qui trinquent. Je n’oublie pas d’où je viens, même pas depuis notre suite avec piscine privée à 100 francs la nuit. Ce 4 novembre, non loin des temples d’Angkor, c’est mon anniversaire et il y a du champagne français. Alors trinquons!
Je répondrai à (certaines de) vos questions sur ce grand voyage et ses à-côtés dans une prochaine chronique, posez-les ici: vosquestionsici@gmail.com. Merci pour votre fidélité!