Nicolas Capt
Fâcheries au Quai d’Orsay: de la vie aquatique (et aérienne)

Nicolas Capt, avocat en droit des médias à l’humour piquant, décortique deux fois par mois un post juridique pour nous. Dans sa neuvième chronique, il commente «l'affaire des sous-marins», qui agite en ce moment le monde politique, diplomatique et militaire occidental.
Publié: 04.10.2021 à 14:40 heures
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Dernière mise à jour: 04.10.2021 à 15:12 heures
Nicolas Capt nous parle de «l'affaire des sous-marins», qui agite en ce moment le monde politique, diplomatique et militaire occidental.
Photo: Blick_Suisse romande
Nicolas Capt

Voilà que s’ajoute à la (très) grosse fâcherie française contre l’Australie et les Etats-Unis, avec rappel immédiat des ambassadeurs en poste à Canberrra et Washington pour consultation (en langage diplomatique non codé, il s’agit d’une grosse fâcherie, toutefois rarement préambule à une vraie rupture des relations diplomatiques; en cela, il s’agit davantage d’une porte claquée de théâtre de boulevard), sur laquelle nous reviendrons, un courroux plus périphérique cette fois déclenché par les sobres Helvètes.

Le contrat du siècle s’est abîmé en mers du Sud

Le premier incident, très largement médiatisé, est lié à ce qui est vu, à tort ou à raison, comme une manœuvre conjointe et cachottière de l’Oncle Sam et du pays des kangourous, laquelle aurait abouti au naufrage complet d’une opération de vente de sous-marins Baracuda à l’Australie. Une opération commerciale concernant quelque douze submersibles, devisée à plusieurs dizaines de milliards d’euros, sans compter les commandes additionnelles escomptées.

En bref, le «contrat du siècle», comme l’on disait en 2016 en dévorant des petits fours tout en se noyant sous les salamalecs et les superlatifs de circonstance, s’est depuis salement abîmé en mers du Sud, non sans être accompagné, au violon triste ma non troppo, de déclarations chocs à la française (le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française, Jean-Yves Le Drian, allant même jusqu’à parler de «crise grave», de «mensonge» et de «duplicité» en parlant de nos lointains amis).

A vrai dire, le torpillage de la vente est d’autant plus sévère qu’il est le fruit d’un nouveau partenariat stratégique dans la zone-indo pacifique, lequel réunit Washington, Londres et Canberra (et scellé par un pacte dont l’acronyme est «AUKUS») et qui, de fait, exclut la France des jeux d’influence dans la région. Voici pour le scandale principal qui a déclenché l’ire de Paris.

Un scandale franco-suisse de seconde catégorie

Mais penchons-nous un instant sur son petit cousin provincial, ce scandale seconde catégorie que l’on jurerait rédigé cousu main par le Gorafi: Paris aurait annulé une prochaine visite du Président suisse Guy Parmelin à Emmanuel Macron, semble-t-il courroucé de ce que ses montagnards de voisins ont préféré le rutilant F-35 étasunien au beau Rafale hexagonal et, disent certains, d’avoir continué à négocier alors même que la décision d’opter pour des aéronefs de combat américains était déjà prise.

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À la suite d'articles de presse sur la question, les triples saltos arrière se multiplient dans les deux camps. Avec des techniques toutefois différentes. Ainsi, le département suisse de l’économie se fait-il rhéteur jésuitique en soutenant que «comme la visite n’était pas définitivement convenue, il ne s’agit pas de l’annulation d’un rendez-vous confirmé». Pas mal!

De son côté, les explications françaises sont un peu plus touffues et imprécises: «Le président Emmanuel Macron a confirmé le principe de la rencontre début 2021, les Suisses ont rapidement proposé une date en novembre et nous avions répondu que nous regarderions.» Et une source dite diplomatique de préciser: «Nous leur avions dit cet été que novembre serait compliqué», «la date n’a pas été calée pour le moment». Mouais.

Vous avez dit cafouillage?

D’un côté, le rendez-vous pas trop annulé car pas encore confirmé. De l’autre, le rendez-vous dont la date n’est pas même encore arrêtée. Vous avez dit cafouillage? Avant de filer dévorer une bonne tartine de Vegemite (les Australiens ont ceci de commun avec les Suisses qu’ils aiment eux aussi tartiner leur pain d’une curieuse pâte brune à la levure qui ne remporte, au mieux, qu’un succès d’estime sur les autres territoires), ces deux affaires posent la question de la bonne foi dans les négociations et de son éventuelle violation, connue sous la dénomination latine de culpa in contrahendo (responsabilité précontractuelle).

En des termes moins barbares, il s’agit de consacrer le fait que la simple tenue de pourparlers fait, déjà, naître des obligations juridiques dont celle, centrale, de négocier avec sérieux, conformément à ses intentions véritables. Reste à savoir si, en matière de politique de sécurité internationale, le fait de dévoiler ses intentions véritables peut vraiment être considéré comme une vertu. Touché! Coulé!

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