Nicolas Capt
Talibans: montrez moi votre iris et je vous dirai qui vous êtes!

Nicolas Capt, avocat en droit des médias à l’humour piquant, décortique deux fois par mois un post juridique pour nous. Dans sa septième chronique, il se demande si les talibans ont changé.
Publié: 23.08.2021 à 18:29 heures
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Dernière mise à jour: 23.08.2021 à 19:21 heures
Nicolas Capt nous parle des talibans.
Photo: Blick_Suisse romande
Nicolas Capt
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Ces images ont fait le tour du monde. Instantanément. Comme celles des inondations en Allemagne, des feux de conifères en Grèce ou de la bénédiction urbi et orbi (à la ville et au monde, la formule est, au demeurant, d’une indicible beauté) du Pape.

Ces images omniprésentes et ubiquistes figurent le retrait ou la fuite, c’est selon, des forces armées américaines d’Afghanistan et l’évidente horreur de la situation.

Les images, tout à la fois affreuses, dérangeantes et curieuses, se succèdent et s’entremêlent comme dans un kaléidoscope détraqué: des Afghans qui, dans un geste désespéré, s’accrochent à la carlingue d’immenses aéronefs de l’US Air Force qui, coûte que coûte, accélèrent et décollent sur le tarmac poussiéreux, des talibans qui rigolent à l’idée même que des femmes puissent accéder à des responsabilités, des portraits féminins recouverts à la peinture blanche, dans un zèle qui n'augure rien de bon, l’ambassadeur de France qui pose, façon Bureau des légendes, avec sa garde rapprochée dans un bureau de l’aéroport, des militaires américains qui braquent leurs fusils mitrailleurs sur une foule incontrôlable et dont la mise en joue dévoile, dans un curieux renversement, plutôt la peur que le contrôle, Emmanuel Macron, en seyant costume bleu, qui appelle tranquillement les bonnes gens à se protéger des «flux migratoires irréguliers», des talibans qui promettent, sourire aux lèvres, une amnistie.

Cinquante nuances de courage

Les commentateurs avisés - qu’ils soient experts militaires, stratèges géopolitiques ou, plus communément, anciens experts en infectiologie (cette dernière catégorie est communément rassemblées sur les réseaux dit sociaux) - glosent sans fin sur cet événement: débâcle surprise pour les uns, mise en application efficace d’une stratégie politique de retrait pour les autres, avec cinquante nuances de courage entre ces deux visions antagonistes. Et comme nous sommes en 2021, s’y ajoutent les questions dans l’air du temps: les talibans ont-ils changé? Les talibans auront-ils à cœur d’adopter l’écriture inclusive? Quelle place laissée aux femmes par les talibans nouvelle génération?

Des données biométriques et biographiques

Comme le veulent les sciences molles, il y a autant d’analyses que d’analystes, ce qui n’est pas, en soi, un gage de qualité. La question n’est donc pas ici de trancher ce débat. Quoique. Car il est un élément, bien spécifique, qui fait pencher l’un des plateaux de la balance du côté de la débâcle pure et dure: selon le média américain «The Intercept», dans sa fuite (euh, pardon, son retrait), l’Oncle Sam a oublié, hormis quelques canettes de soda et de petites réserves de Sioux de gomme à mâcher, de petits appareils portatifs pudiquement nommés «équipement portatif de détection d’identité interagences» ou, en acronyme anglais (portant assez mal son nom) de «Handheld Interagency Identity Detection Equipment», HIIDE.

De la taille d’un gros appareil photo, cet équipement contient des données non seulement biométriques, telles que des scans de l’iris ou encore des empreintes digitales, mais aussi biographiques d’une part non négligeable de la population afghane et est aussi utilisé pour se connecter à d’immenses bases de données centralisées.

Quel sort pour ces données?

Certains doutent de la capacité des talibans d’exploiter tout ou partie de ces informations. Lorsque, en revanche, l’aide du Pakistan et de ses services est évoquée, peu sont en revanche optimistes sur le sort des données. L’ennui est naturellement que ces données, utilisées par les américains lors de leur croisade contre «l’ennemi», permettent aussi d’identifier ceux qui ont apporté leur concours aux Etats-Unis. Avec le risque que l’on imagine si ces données devaient être exploitées par les nouveaux maîtres de Kaboul.

Il ne reste plus qu’à espérer que les talibans ont changé et qu’ils joueront de l’amnistie comme jadis de la kalachnikov, comme le plaident certains progressistes véganes, tout en écoutant à plein tube la bénédiction urbi et orbi. Pleinement rassuré sur les vertus de la pensée magique, nous pourrons alors nous complaire dans la contemplation extatique des inondations et des feux de forêts.

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