Alors que la toile autodétruite de l’artiste contemporain Banksy s’apprête à revenir aux enchères à un prix bien plus élevé que lors de la première vente, ce qui, en soi, vaut déjà son pesant de bizarrerie dès lors que, faut-il le rappeler, l’image («Girl with Balloon», adjugée 1.2 millions) avait été détruite par les bons offices d’une déchiqueteuse à papier supposément caché dans l’œuvre et activée sitôt le marteau retombé, ne laissant subsister que quelques lambeaux d’un tableau renommé au passage «Love is in the bin», soit l’amour est dans la corbeille.
Si des extraterrestres empreints de bon sens venaient à lire cette chronique, peut-être seraient-ils surpris que le bipède qui a colonisé la planète bleue se plaît à payer davantage pour une œuvre détruite que lorsqu’elle se trouve dans son état initial. Cela étant, ils seront immédiatement rassurés par la cohérence de l’espèce qui fait de même avec les jeans troués, preuve indéniable d’un combat récent — et victorieux — avec un tigre, et autres objets artificiellement vieillis aux fins de leur donner une forme de patine du temps, indice irréfutable de ce que l’Homme a trop de temps à tuer sur terre.
Mais Banksy, dont l’identité reste prétendument secrète (la complicité béate de la presse ne cesse de surprendre, et le mythe de son total anonymat fait, au mieux, sourire, à l’heure du big data et du journalisme d’investigation 3.0), a défrayé la chronique une nouvelle fois.
Peut-être André Breton aurait-il adopté les NFT
Il est cette fois question de NFT (jeton non fongible). Une description simple des éléments clefs de l’affaire est assez complexe puisque le jeton est un proche cousin du vide intersidéral. Tentons tout de même. Il s’agit en clair d’une forme d’objet numérique enregistré sur une blockchain, de manière unique, ce qui lui permet de figurer à loisir ce que l’on souhaite, par exemple une œuvre d’art. De l’art dématérialisé, me direz-vous? Pas vraiment, dès lors que le NFT n’est pas l’œuvre en lui-même mais simplement le NFT qui lui est associé. En clair, vous faites l’acquisition d’un certificat de propriété mais pas de l’œuvre. Un peu comme si vous vous contentiez, lorsque vous achetez un appartement, de vous faire inscrire au registre foncier, sans entrer en possession du logement. Et ça marche. Récemment un riche collectionneur a payé près de 70 millions pour le NFT associé à sorte de gigantesque collage de l’artiste américain Beeple, un collage par nature reproductible à l’infini.
Sans doute y a-t-il, au-delà de la pure spéculation, une certaine poésie à investir dans le rien, à coloniser numériquement des espaces vides. Peut-être que, s’ils avaient vécu à notre époque, Philippe Soupault et André Breton, avec la gouaille de leurs 20 ans, auraient adopté les NFT, en complément dématérialisé de l’écriture automatique qu’ils développèrent patiemment, par privation de sommeil, à l’hôtel des grands hommes, face au Panthéon, et dont l’ouvrage les Champs Magnétiques est le témoin éternel. Plaidons donc pour la poésie. Mais tout de même.
Un NFT inexistant rapidement vendu à prix d’or
Et Banksy dans tout ça? En date du 1er septembre, son site officiel a, brièvement, fait la promotion d’un NFT, présenté comme lié à sa première œuvre dématérialisée. Le bipède étant ce qu’il est, ce NFT a rapidement trouvé preneur pour l’équivalent de quelque 300’000 dollars. L’œuvre à laquelle le jeton était lié avait même son petit nom: «Great Redistribution of the Climate Change Disaster» (La grande redistribution du désastre du changement climatique). Hélas, le lien internet vers la plateforme de vente allait être retiré une heure plus tard, avec un communiqué de l’équipe de Banksy indiquant que l’artiste n’avait pas créé d’œuvre numérique.
Et comme un coup (de théâtre, de com’ou de poing) ne vient jamais seul, l’acheteur a ensuite été remboursé, par l’arnaqueur au grand cœur et dans les heures qui ont suivi, de la quasi-intégralité du prix payé pour le NFT.
Alors, arnaque ou coup médiatique? A vrai dire, la réponse est sans aucun intérêt, tant l’histoire suffit, en elle-même et par ses certitudes, à démontrer l’inanité de notre société.