Le pire serait de détourner le regard. Et de se dire que les problèmes de la Syrie, qui risque à tout moment d’exploser dans la furie des règlements de compte post-dictature, ne nous concernent pas. La vérité est l’exact contraire: si la Syrie se fragmente et retombe dans la guerre civile, un nouvel exode de migrants bousculera la région et les pays européens. Avec les conséquences que l’on peut imaginer.
La Syrie est aujourd’hui «invendable» aux opinions publiques, en Suisse comme chez ses voisins européens. Le nouveau régime syrien, composés d’anciens islamistes parmi lesquels beaucoup se distinguèrent hier par leur fanatisme, est une énigme qui complique le travail des diplomates et rend très difficile toute approche humanitaire sereine. Comment faire dans ces conditions, alors que la guerre à Gaza, le sort des Palestiniens, les ambitions territoriales d’Israël et les tensions régionales pèsent toujours sur le Proche-Orient comme une épée de Damoclès?
Parler avec les autorités syriennes
La seule solution, aussi difficile soit-elle à défendre sur les plateaux de télévision, est de prendre langue avec les nouvelles autorités syriennes, et de les prendre au mot lorsqu’elles promettent de rétablir la paix civile. Quel autre choix? Le nouveau président intérimaire, Ahmed al-Charaa, est tout sauf un candidat parfait pour nos démocraties européennes et nos Etats de droit. Il n’est pas sûr qu’il contrôle ses troupes.
La présence des Chrétiens d'Orient est décisive pour l'opinion européenne. La question kurde et druze complique l’équation politique de façon très douloureuse, compte tenu de ses ramifications régionales. Le sort de la communauté alaouite, bastion de la féroce dictature du clan Assad depuis les années 70, peut aussi alimenter des exactions de grande ampleur.
Le courage oblige aujourd’hui les bailleurs de fonds de l’aide internationale à viser en priorité le rétablissement d’un pouvoir crédible et fort à Damas. Un pouvoir que l'intégration internationale peut éloigner de l'extrémisme islamiste. Il faut identifier, dans ce régime, les dirigeants les plus capables d’instaurer cette autorité indispensable, et passer, sans doute, par la Turquie qui tient une partie des rênes de l’actuelle Syrie. Une solution fédérale doit être avancée, et la Suisse peut faire des propositions en ce sens. La Syrie ne doit pas être abandonnée à ses démons.
Le grand exil de 2015
Dans le contexte ukrainien, avec l’attention de l’Europe accaparée par Kiev, cette exigence semble incongrue. Pourquoi se préoccuper des Syriens? Qu’ils se massacrent entre eux! Le problème est que nos pays ont désormais, après le grand exil de 2015 provoqué par la contre-offensive sans merci du clan Assad soutenu par la Russie, une communauté syrienne très importante. Et que celle-ci va logiquement tendre la main à ses parents et ses proches si la situation devient intenable.
Ouvrir des relations diplomatiques. Veiller à éviter l’épuration ethnique. Accepter de travailler avec des islamistes, car ils sont au pouvoir. Utiliser l’influence turque et celle des pays du Golfe. Planifier les risques migratoires et les réponses à y apporter. Tout cela est indispensable.
Damas n’est pas Kiev. Mais dans cette capitale aussi, l’avenir de l’Europe, de ses frontières et de sa crédibilité, est en train de se jouer. Oui, il faut aider la Syrie.