Emmanuel Macron a raison d’avoir peur de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur, qu’il a redit vouloir empêcher, en marge du sommet du G20, achevé au Brésil mardi 19 novembre. Mais son véto, contrairement aux apparences, n’est pas seulement le résultat de la mobilisation des paysans français qui menace à nouveau, ces jours-ci, d’enflammer le pays et de prendre d’assaut les préfectures. C’est en réalité la vision macroniste du monde qui est naufragée. Cette vision que ce chef d'Etat âgé de 46 ans n’aura, in fine, jamais réussi à faire partager à ses compatriotes.
Le groupe Mercosur regroupe cinq pays latino-américains (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et depuis 2023 la Bolivie), avec lesquels l’Union européenne a signé, en juin 2019, un accord de libre-échange, intégré dans un accord d’association plus large. L’argument moteur de cette future zone de libre-échange transatlantique, encore soutenue aujourd’hui par la plupart des 27 pays membres à commencer par l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, est qu’il ouvrira aux exportateurs européens de nouveaux marchés émergents. Ce qui, avec le retour annoncé du protectionnisme américain version Donald Trump, représente un carburant non négligeable pour la future croissance du Vieux Continent.
Colonie financière des États-Unis
L’agriculture n’est qu’un volet de cet accord qui couvre aussi l’industrie automobile, la chimie, le secteur pharmaceutique, le textile et les services. Son esprit est, en plus, fidèle à la doctrine communautaire: diffuser la puissance européenne par les normes technologiques et commerciales, en s’appuyant sur le marché unique dont l’ancien Premier ministre italien redoute, dans un rapport récent, qu’il devienne une «colonie financière des États-Unis».
Emmanuel Macron devrait donc, en théorie, peser de tout son poids pour défendre un tel texte et l’utiliser comme un levier pour défendre ce qui a constitué son principal credo économique depuis son élection de 2017: l’attractivité et la compétitivité de la France. Seulement voilà: l’audience pour ce type de discours, orienté vers l’avenir et vers une France plus performante sur le plan industriel, n’est plus au rendez-vous. La vieille antienne paysanne – légitime au vu des difficultés de ce secteur – selon laquelle les racines agricoles du pays doivent primer, car elles imbibent tout le tissu social, est victorieuse toutes catégories.
Seul contre tous
Qu’importe le fait que ces agriculteurs en colère se soient souvent endettés jusqu’à l’os. Qu’importent les changements d’habitudes alimentaires. Qu’importe l’impasse dans laquelle se trouve, à terme, la politique agricole européenne, compte tenu des divergences entre pays membres.
Le «Non au Mercosur» est devenu la nouvelle digue. Contre la mondialisation. Contre Bruxelles. Contre les transformations de l’agriculture qui, de toute façon, finiront par s’imposer.
Le pire, dans cette affaire du Mercosur, n’est bien sûr pas la mobilisation paysanne qu’il faut absolument entendre. Le plus grave est l’effondrement de toute capacité d’Emmanuel Macron à argumenter, à défendre encore une approche plus libérale de l’économie, à rendre attrayante l’Union européenne et son marché. Le plus-pro européen des dirigeants des 27, l’homme qui continue de défendre une «autonomie stratégique de l’UE face aux États-Unis» à propos de la guerre en Ukraine, est dos au mur. Il n’a plus que le véto, voire bientôt la possible chaise vide à Bruxelles, ou la grève de la signature, comme moyen de défendre les intérêts français.
Macron a peur? Oui, de lui-même. Et de son incapacité, en dix ans, à convaincre ses concitoyens de croire en sa vision du monde, de la France et de l’Europe.