Sur le devant de la scène, ils sont si caricaturalement salauds que l’on se surprend parfois à en rire. C’est le vice-président Vance hurlant son mépris à la face de ses alliés Européens; c’est le président Trump attirant son homologue ukrainien dans son bureau, comme dans une souricière, pour l’injurier devant les caméras du monde entier, ce qu’il nomme lui-même «un bon moment de télévision ».
C’est le même président américain dans une vidéo réalisée par l’intelligence artificielle, et qui présente Gaza sous les traits d’une charmante bourgade californienne, non sans que l’on puisse se représenter ce qu’un tel lifting implique en termes de déplacements de population, d’emprisonnements arbitraires, de tirs d’artillerie et de bombardements.
Les salauds magnifiques sont absents
Le trumpisme, comme n’importe quelle start-up, a certes besoin de ses moments d’euphorie, de ses moments de team-building jouissante, médiatisés, avec projecteurs, caméras, vidéos en HD, sourires, poignées de mains, étreintes, tapotement sur les bras et les cuisses, cris fauves, bras levés. Mais tout ne saurait se réduire à un spectacle.
Il faut des machinistes de l’ombre, des coulisses, un côté cour, un côté jardin. C’est là que tout se prépare. C’est là que l’on vérifie que le monde est prêt pour le spectacle. Or, dans ces coulisses, dans ces espaces restreints, dans ces salles des machines et des machinations, les salauds magnifiques sont absents: ni Trump, ni Vance, ni Poutine, ni Netanyahu. Il n’y a que vous et moi. Et toutes nos compromissions, et tous nos renoncements; et nos délires privés.
Des raisons officielles fumeuses
La direction de l’Université de Lausanne (UNIL) a décidé de mettre fin au contrat de l’un de ses professeurs, monsieur Joseph Daher, pour des raisons officielles fumeuses, mais au motif officieux qu’il a soutenu les mouvements étudiants en faveur de la Palestine. L’institution participe ainsi de cette coulisse silencieuse qui rend possible les grandes horreurs spectaculaires.
Elle contribue à préparer les esprits à l’idée que l’engagement est une chose coupable, qui doit impérativement se faire le dimanche ou en-dehors des heures de bureau, et que dès lors que l’on a signé un contrat – que l’on a passé un «deal» – on appartient corps et âme à notre employeur, que l’on doit soutenir quoi qu’il fasse, et même si ce qu’il fait est contraire à la fois à l’humaine dignité et à l’intelligence commune.
Qu’il me soit permis de parler comme le vieux con que je serai bientôt (et même que j’aspire à être, avec mes costumes trop justes, de grande marque mais de seconde main): il y a vingt ans, monsieur Joseph Daher n’aurait pas été viré de son poste. Et ce n’est que parce que les démocraties se sont radicalisées, durcies, que chacun envisage désormais la censure et le ban comme moyens privilégiés d’exprimer sa puissance.
Et ce n’est que parce que le monde entier déraisonne que nos petites folies privées semblent plus acceptables, presque anodines. Qu’est-ce que le licenciement d’un professeur respecté, compétent, pire: apprécié, à côté de ce grand déballage psychotique auquel nous assistons chaque jour depuis l’élection du nouveau président américain?
Pourtant, au moment même où elles sont attaquées outre-Atlantique, les universités du monde entier porteront la responsabilité de leurs compromissions. Quand elles baissent leur pantalon devant les obsessions turgescentes des nouveaux maîtres du monde, elles faillissent à leur mission. En renvoyant le professeur Joseph Daher, l’Université de Lausanne se met volontairement au chevet du pouvoir israélien; elle se place dans l’une des petites coulisses sombres qui, à force de grossir, ont pu accoucher de la folie spectaculaire à laquelle nous assistons aujourd’hui – et qui a de plus en plus de difficultés à passer pour autre chose qu’une victoire du fascisme.