Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un tel emballement. S’est-il s’agit des ravages de l’inflation, de la précarité étudiante, de la violence contre les femmes? Non, bien entendu! À tout cela, on s’est habitué. Il n’y a qu’une chose qui ne passe pas, ou qui passe mal, comme un plat trop riche, et qui donne des flatulences méphitiques à la bonne conscience bourgeoise, toujours si proche de l’intestin: c’est le soutien à Gaza. Pire: la critique d’Israël. Pire: l’accusation de génocide portée contre ses dirigeants.
«Grosse polémique autour de Rima Hassan», titre le média Watson, sans préciser que cette polémique est en grande partie due au rythme stakhanovien de l’auteur de la publication, qui signe mensuellement plus d’articles à charge contre les militants palestiniens que je n’ai eu de rapports intimes pendant ces cinq dernières années. Le sujet de cette «grosse polémique»? L’eurodéputée française Rima Hassan (La France Insoumise), démocratiquement élue, était invitée à prendre la parole à Genève, puis à Fribourg. C’était assez pour que des voix autorisées de droite et d’extrême-droite ne s’étranglent, et que l’on en appelle au boycott, mieux: à la censure.
Une traque médiatique
Cette fois-ci, le prétexte choisi par les maîtres-censeurs – le jeu de mot est de Philippe Muray, dont je chéris la mémoire, malgré nos désaccords – est un vote contestable des eurodéputés LFI, qui ont rejeté une demande de libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Je regrette d’autant plus ce vote que j’ai appelé à la libération de l’écrivain dès le lendemain de son arrestation. Et j’ajoute que la justification donnée par les eurodéputés ne m’a pas convaincu. Mais il est évident que les censeurs se foutent pas mal de monsieur Sansal, et que la faute de madame Hassan est à chercher ailleurs.
La traque médiatique a commencé avant, bien avant, lors de la campagne des européennes en France. Car madame Hassan est non seulement une femme d’origine palestinienne, née dans un camp de réfugiés, ce qui la rend immédiatement suspecte – l’armée la plus morale du monde n’a sans doute pas bombardé massivement ces camps pour rien –, mais c’est encore une femme intelligente, engagée, bref: c’est une militante. Et c’est bien cela qui lui est reproché. Et c’est pour cette seule raison que l’on a appelé à son interdiction, ou que l’on s’est ému de sa venue.
Peu importe que Rima Hassan ait qualifié clairement les massacres du 7 octobre 2023 de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ou qu’elle se soit réjouie de la décision de la Cour Pénale Internationale (CPI) de poursuivre les dirigeants du Hamas comme les dirigeants d’Israël. Cela n’empêche nullement l’austère président d’honneur du FIFDH (toutes les abréviations de festivals de film ressemblent à des noms de pratiques sexuelles extrêmes, il faut s’habituer) de qualifier publiquement madame Hassan «d’égérie du Hamas», avant de broder des arguments censés justifier l’injustifiable: c’est-à-dire la censure.
Finalement, Rima Hassan a pu prendre la parole. Elle a trouvé en face d’elle une foule nombreuse. Elle a pu répondre aux accusations de ses détracteurs au micro de la RTS, face à des journalistes qui n’avaient certes rien de complaisants. Pour Boualem Sansal, le combat continue. Nous pouvons au moins nous réjouir que le climat autoritaire détestable qui sévit en Algérie ne soit pas devenu le nôtre, et que les militantes et les militants qui se dressent contre le génocide d’une population ne soient pas complètement bâillonnés; n’en déplaise aux «égéries» du gouvernement israélien d’extrême-droite.