Cela semble être devenu un lieu commun: quand sort un nouveau film, des commentateurs plus ou moins autorisés instruisent un procès en « wokisme ». Ainsi, à propos de «Conclave» (Edward Berger, 2024) le chroniqueur Eric Naulleau écrit sur X: «A ceux qui doutaient encore de l’emprise wokiste sur les imaginaires contemporains, le final du film«Conclave» (honorable thriller vaticanesque) devrait ouvrir les yeux.» Avant d’ajouter, avec cette mesure propre aux chroniqueurs de Cyril Hanouna: «Un niveau de grotesque encore supérieur à ceux des films de propagande staliniens ou hitlériens.»
«Conclave» raconte les affrontements entre cardinaux de tendances opposées. Le film manque quelque peu de substance, les positions des différents «pontifiables» frôlent parfois la caricature, mais sa réussite est surtout esthétique. A priori, pas de quoi faire frémir qui que ce soit, dans un sens comme dans un autre… Seulement, voilà: le mot «homosexuel» est prononcé deux fois. Pire encore, le nouveau pape se révèle non seulement progressiste, mais encore intersexué! Représenter une personne intersexuée! Lui faire porter la calotte blanche!
«Gladiateur II» (Ridley Scott, 2024), à première vue, est une sympathique réunion de coachs de fitness aux dents blanches. Des hommes musclés hurlent, se roulent dans la boue, proclament des vers de Virgile, glorifient la camaraderie et la guerre: rien qui semble pouvoir faire naître une polémique. Oui, mais l’un des personnages est noir! Et, plus grave: riche. Où sont passés les historiens? Qu’un esclave affranchi devienne riche, c’est invraisemblable! Contrairement au combat naval qui prend place dans le Colisée, ou à la fille de Marc Aurèle qui ressemble à une caricature de riche ménagère californienne.
De la m..... communiste subventionnée
«Wicked» (Jon Chu, 2024) est une autre bluette hollywoodienne qui est devenue rapidement la cible de l’extrême-droite. Celle-ci accuse la superproduction de propagande inclusive et LGBT. Comprendre: un personnage est en chaise roulante, et l’amitié féminine de Glinda et Elphaba serait, avec de l’imagination, une suggestion homosexuelle. Qu’un film pour enfants invite à ne pas discriminer ses camarades et place l’amitié comme valeur cardinale n’a rien de très original… Peut-être aurait-il plutôt dû faire l’apologie des moteurs à injection et du nettoyage ethnique des Palestiniens?
Pour le cinéma moins mainstream, la situation est au moins claire: c’est de la merde communiste subventionnée par nos impôts. Pas de débat. Quant aux grosses productions, une polémique menace sans cesse d’éclater, soit que les droits des personnes LGBT y soient thématisés, soit qu’il y soit question d’esclavage, soit qu’un responsable religieux soit vaguement progressiste, soit que les femmes n’y apparaissent pas comme victimes à protéger ou objets à consommer, soit qu’un personnage secondaire soit en chaise roulante, soit que l’acteur du rôle principal soit Omar Sy.
Pourtant, à y regarder de plus près, il y a sensiblement moins de personnes LGBT ou noires au cinéma qu’il n’y en a dans la vie. Les rôles principaux sont tenus presque invariablement par des hommes blancs hétérosexuels au physique avantageux. Et les valeurs défendues, sauf écarts contrôlés, sont généralement celles du capitalisme triomphant et de la méritocratie. En d’autres termes: les grosses productions font la part belle au conservatisme. Mais force est de constater que les dénonciateurs de «l’agenda woke» semblent possédés par le fanatisme et l’aveuglement idéologique qu’ils imputent si généreusement aux autres.