La chronique de Mathilde Mottet
La Suisse a un souci avec la violence sexiste et sexuelle

Dans sa nouvelle chronique, la coprésidente des femmes socialistes Mathilde Mottet dénonce l'inaction de la Suisse face aux violences sexistes et sexuelles. Le viol, trop banalisé, gangrène nos sociétés. C'est pourquoi, elle appelle à manifester le 23 novembre à Berne.
Publié: 23.11.2024 à 08:02 heures
Le 23 novembre à Berne, une large manifestation féministe aura lieu dans le cadre «des 16 jours contre les violences basées sur le genre».
Photo: keystone-sda.ch
Mathilde Mottet, coprésidente des femmes socialistes suisses

Des anecdotes de violence sexiste et sexuelle, j’en ai plein. Rien que vendredi passé, un homme m’a suivie alors que je rentrais de soirée, insistant pour obtenir un rapport sexuel. Quand je lui ai dit que j’étais lesbienne, il m’a répondu que «lui, il me ferait aimer ça». C’est non seulement sexiste, mais aussi lesbophobe. 

Toutes les femmes et personnes queers autour de nous ont déjà vécu une situation violente sur la base de leur genre: d'innombrables «non» pas respectés, des préservatifs enlevés sans demander, des mains aux fesses dans le bus. Une étude d’Amnesty en 2019 révélait que 59% des femmes ont déjà vécu du harcèlement sexuel, et 22% ont déjà subi des actes sexuels non-consentis, causant très souvent des souffrances physiques et psychologiques.

Ces violences graves ne viennent pas de nulle part mais sont les conséquences d’actes ou de propos d’apparence plus anodine: on commence par faire une blague sexiste, puis on se permet d’insulter une femme dans la rue, avant de frapper la sienne à la maison. C’est ce que les féministes et professionnel-les de l’aide aux victimes appellent la pyramide de la violence. 

Le viol est trop banalisé

Les violences sexistes et sexuelles ne sont pas un produit de l’immigration, comme le prétend l’Union démocratique du centre (UDC), mais bien de la domination des hommes. Car l’hégémonie patriarcale, selon Gramsci, a besoin de deux choses pour se maintenir: un consensus social autour de la supériorité économique, politique et symbolique des hommes, et de la violence, elle-aussi terriblement tolérée.

Le viol, par exemple, est tellement banalisé qu’il est chanté par Michel Sardou et Jul, tout en étant nié par les 51 accusés du procès de Mazan. Le viol est partout dans notre culture et entre nos murs, mais pourtant, les violeurs ne sont nulle part. Voilà un paradoxe: le mouvement féministe a réussi à faire comprendre que les violences sexuelles sont un problème, mais rares sont les hommes et les autorités prêtes à agir pour le résoudre. 

Violences contre les femmes: besoin d'aide?

Vous, ou l'une de vos proches, êtes victime de violences de la part d'un partenaire ou d'un proche? Voici les ressources auxquelles vous pouvez faire appel.

En cas de situation urgente ou dangereuse, ne jamais hésiter à contacter la police au 117 et/ou l'ambulance au 144.

Pour l'aide au victimes, plusieurs structures sont à votre disposition en Suisse romande, et au niveau national.

Vous, ou l'une de vos proches, êtes victime de violences de la part d'un partenaire ou d'un proche? Voici les ressources auxquelles vous pouvez faire appel.

En cas de situation urgente ou dangereuse, ne jamais hésiter à contacter la police au 117 et/ou l'ambulance au 144.

Pour l'aide au victimes, plusieurs structures sont à votre disposition en Suisse romande, et au niveau national.

Les centres d'accueil complets

Pourtant, les besoins d’action sont gigantesques. Rien qu’en octobre cette année, 4 femmes sont mortes sous les coups d’un proche. Plus de victimes que jamais auparavant trouvent le courage de chercher de l’aide: depuis les années 2000, les consultations ont augmenté de 199%, mais l’aide aux victimes ne peut pas être garantie à cause du manque cruel de ressources.

«
Et si vous êtes victimes de violence, vous avez intérêt à habiter au bon endroit.
»

En juin, la fédération Solidarité Femmes, qui regroupe les foyers d’accueil pour victimes de violences domestiques en Suisse et au Lichtenstein, tirait la sonnette d’alarme car la majorité des maisons d’accueil affichent complet. Alors que le Conseil de l’Europe recommande 1 place familiale d’accueil protégé pour 10’000 habitant·es, la Suisse recense 0,24 place pour 10’000 habitant·es. Sur les 436 lits protégés, seuls 7 sont réservés aux jeunes filles, à Zürich.

Et si vous êtes victimes de violence, vous avez intérêt à habiter au bon endroit, car les cantons de Glaris, du Jura, de Nidwald, d’Obwald, de Schaffhouse, de Schwyz et d’Uri ne disposent pas de foyer d’accueil. Les différences entre cantons ne s’arrêtent pas là: dans le cadre de l’introduction du nouveau droit pénal en matière sexuelle, le canton de Berne a adopté une approche interdisciplinaire depuis des années sur la base du principe «par les femmes pour les femmes», alors que la seule mesure prise par le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures a été la planification d’une table ronde. 

Vivre sans avoir peur

Il est nécessaire de mieux protéger les victimes, mais il serait encore mieux d’empêcher qu’elles deviennent des victimes en premier lieu. Là aussi, le travail de sensibilisation et de prévention est insuffisant, autant aux niveaux cantonal que national. Même les petites avancées dans le domaine sont fragiles: alors qu’un postulat pour des campagnes nationales de prévention contre la violence domestique a été accepté en 2022, Karin Keller-Sutter a tenté l’hiver passé d’en supprimer le budget. Heureusement sans succès.

«
Même si nos corps encaissent et nos voix dénoncent, nous n'avons ni le choix ni le luxe du pessimisme.
»

Il n’est pas trop demandé de vouloir enfin vivre sans avoir peur de se faire insulter, menacer, frapper ou tuer à cause de son genre. Cela ne suffit plus de condamner la violence, il faut maintenant agir. C’est pourquoi une centaine d’organisations, partis et collectifs féministes appellent à manifester contre les violences le 23 novembre à Berne, dans le cadre des «16 jours contre les violences basée sur le genre». Il est grand temps de faire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une priorité politique absolue. 

Nous exigeons ainsi des investissements massifs et durables dans les foyers de protection pour les victimes et dans les centres de consultation LAVI afin que toute personne victime de violence puisse être protégée, indépendamment de son orientation sexuelle, de son genre, de son parcours migratoire, de sa racialisation ou d’un possible handicap. Même si nos corps encaissent et nos voix dénoncent, nous n'avons ni le choix ni le luxe du pessimisme. Nous continuerons notre lutte pour que l’égalité devienne réalité dans toutes les facettes de nos vies, car seule une société sans domination aura perdu la raison de l’utilisation de la violence.

Cette chronique a été co-rédigée par Isabel Vidal Pons, responsable des «16 jours contre la violence basée sur le genre»

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