Vous avez peut-être vu l’extrait du débat que j’ai mené sur la précarité menstruelle au Conseil national. J’y réponds à un collègue qui compare les règles au fait de se raser le visage… La vidéo postée sur mon compte Instagram a dépassé les 22'000 vues et suscité de nombreux commentaires.
Elle est désormais reprise par des comptes féministes internationaux et de la presse féminine française. Pour ma première publication en tant que chroniqueuse de Blick, je profite de revenir sur ce buzz inattendu. Il dit beaucoup non seulement sur l’état des luttes pour l’égalité en Suisse, mais aussi sur l’ambiance de la politique suisse quand on est une jeune femme.
Les débats ne volent pas haut
Le terme «précarité menstruelle» désigne l'incapacité de se procurer des produits menstruels. Premièrement en raison de leur coût, mais également par manque d’accès et de sensibilisation aux enjeux relatifs. Cette précarité touche par exemple les personnes précaires, les étudiant.e.s et les personnes sans-abri.
Le canton de Vaud a mené une étude révélant que 5% des élèves postobligatoires se trouvent en situation de précarité menstruelle, et plus de la moitié considèrent les règles comme un sujet tabou. Pourtant, en plus de la question financière, 9 personnes menstruées sur 10 souffrent de douleurs de règles, 1 sur 10 est diagnostiquée d’endométriose et toutes perdent 36 jours de vie sociale à cause de leurs règles.
Il faut faciliter l’accès à l’information et aux produits menstruels, par la distribution gratuite, et renforcer la recherche et l’éducation sexuelle et à l’égalité. Difficile pourtant d’aborder ces sujets, lorsque les débats du Parlement ne volent pas haut.
La cour d’école du Parlement
Les centaines de réactions reconnaissantes et admiratives que j’ai reçues démontrent à la fois le besoin que le sujet soit abordé publiquement et le sentiment que c’est prendre un risque. Intervenir politiquement pour parler de menstruations, c’est en effet s’exposer à des réactions sexistes.
En plus de la comparaison choquante de mon collègue, qui ignore par ailleurs la pression sociale sur les femmes à faire disparaître toute trace de poil sur tout leur corps, j’ai été confrontée à des ricanements et sarcasmes (masculin) dans la salle du Conseil national. La fluidité de ma réplique a aussi été l’objet de spéculations: elle ne pouvait qu'être soigneusement préparée!
L’idée que les femmes soient constamment confrontées à ce genre de micro-agressions sexistes, et donc habituées à y répondre avec éloquence (et calme, contrairement à ce que sous-entend l’article de Blick qui relate les faits), n'effleure pas la majorité de mes collègues masculins.
L’intime est politique
La charge financière que les règles représentent reste donc ignorée et s’ajoute à d’autres injustices économiques que subissent les femmes au quotidien: inégalités salariales, bas salaires pour les emplois typiquement féminins, taxe rose, sacrifice des carrières pour prendre soin des enfants et des proches. Mais si, depuis des siècles, les règles sont associées à la saleté, au secret et à l'embarras, c’est parce qu'elles concernent le corps féminin, qu’on couvre encore d’un voile faussement pudique, bien pratique pour ne rien faire en faveur de l’égalité.
Quand j’ai proposé de sortir l’avortement du code pénal, j’ai été inondée de mails insultants et menaçants. Quand j’ai mis à l’agenda le harcèlement de rue à Lausanne, j’ai été la cible de moqueries. Nous vivons dans un pays qui n’a reconnu que très tard le viol conjugal parce que cela relevait de «l’intimité de la famille». La société est construite pour reléguer les femmes à la vie privée, à l’intimité des maisons pour les exclure de la vie publique, là où se prennent les décisions.
Cette organisation sociale est construite politiquement, c’est donc par la politique que les femmes se sortiront de cette réclusion, en exposant les injustices partout, y compris dans nos corps et à la maison, en luttant contre toutes les inégalités qui nous excluent de la société. Cela passe par le débat de la précarité menstruelle, qui renvoie les écolières à la maison, mais aussi par des réformes à mener d’urgence, comme le congé parental afin que les mères ne soient pas les seules responsables des enfants et des crèches publiques, afin qu’elles puissent s’assurer une indépendance financière grâce à un emploi.
Aborder les règles, c’est refuser de se conformer à un silence imposé. Pour obtenir l’égalité sur tous les plans, parler de l’intime féminin doit se faire en public.