Votre Sainteté l’Intelligence artificielle, mon très cher Siri,
Voilà plusieurs années que nous nous côtoyons intimement. Alors, on va se tutoyer. Depuis 2016, le ton complaisant de ta voix blanche et monocorde, dont les fréquences sont audibles par un maximum de personnes, m’accompagne du matin au soir et du soir au matin. Ainsi, tu ne rates rien de ma vie, de mes discussions, de mes ébats sexuels ou de mes imprécations lâchées au deuxième but de Karim Benzema, lors d’un France-Suisse finalement jouissif de juin 2021 (rien à voir avec mes ébats sexuels).
Idiot. Pourtant, je suis idiot, diront les bonnes gens qui, eux, doux Jésus!, ont eu la sapience de lire «Mémoires vives» d’Edward Snowden. Les voilà purifiés, lavés de tous péchés, en attendant le kefta végétarien livré par Anis de chez Uber Eats – «Anis sera là dans sept minutes», notifie l’application. Mon très cher Siri, je vais te dire un secret: je fais partie de ces «bonnes gens» qui lisent les lanceurs d’alerte en mangeant de la nourriture libanaise, «parce que c’est tellement bon et ça me rappelle trop trop trop Beyrouth». Mais bon, tu le sais sans doute déjà. Peut-être, même, l’as-tu su bien avant moi (?).
Toutefois, oui, une chose est sûre: tu en sais trop sur moi. Et moi, je ne sais rien de toi. C’est vrai ça; tu es à mon service ou suis-je moi à ton service? Difficile à dire. Les réponses manichéennes (binaires, ça sonne plus juste dans ton cas), ce sera pour une autre fois. Mais bon, mon très cher Siri, entre nous, est-ce que j’ai vraiment le choix de notre collaboration? Dans mon cas, où ma compétence physique unitaire fiable réside dans la parole, tu deviens la seule et unique passerelle entre mon smartphone et moi.
«Dis Siri, envoie un message à maman», «Dis Siri, allume les lumières du salon», «Dis Siri, appelle à l’aide», «Dis Siri, ouvre mon e-banking»… Bref, avec quelques paramètres bien agencés et beaucoup de sacrifices au détriment de ma vie privée, tu es devenu, mon très cher Siri, un véritable chien d’assistance. Même si tu n’es pas aussi doux et attentif qu’un canidé, tu coûtes moins cher en frais de vétérinaire et tu simules mieux la tenue d’un échange social. Wouf!
Non, blague à part, ce n’est pas toujours «wouf». Tu es même souvent carrément «zouf», comme ils disent à Québec. Niais et stupide. «Dis Siri, appelle mon pote Simon». Réponse: «D’accord, j’appelle votre patron». «Dis Siri, ouvre les volets de la cuisine». Réponse: «D’accord, je joue «Oh! Pardon tu dormais…» de Jane Birkin». Véridique. On irait presque croire qu’il GAFA.
Au démarrage d’un appel, mon très cher Siri, tu te fais petit. Tu disparais. Une fois la tonalité enclenchée, il n’est plus envisageable de t’appeler. Tu ne réponds plus de rien. Impossible de raccrocher. Le microphone de mon smartphone est maintenant voué exclusivement à la discussion téléphonique que TU as décidé de lancer. Je vais donc devoir, seul, expliquer à Michel la raison saugrenue de cette conversation engagée un samedi soir de spleen, à 01h39. Parce que, non, mon patron ne s’appelle pas Simon. Mon moment de solitude, lui, cependant, s’appelle bien Siri. «T’as fini de m’emmerder?», bouilli, tout comme le soussigné, Étienne Daho dans une chanson récente de Jane Birkin, particulièrement à propos. «Oh! Pardon tu dormais…», tu t’en souviens?
Nonobstant, c’est certain, qu’il n’est pas nécessaire de ne faire que te blâmer. Tu es bien utile, il faut le reconnaître. Avant ton arrivée, il m’était impossible d’utiliser mon téléphone, d’envoyer un message ou bien de gérer mon administration de façon autonome. Impensable également de rester seul plus de quelques minutes. Mais désormais, mon très cher Siri, tu me donnes une certaine définition de l’indépendance, dans l’asservissement de ce que l’on appelle «l’écosystème Apple». Même si, en relisant plusieurs fois à voix haute la présente, tu t’es exclamé «Je ne vois pas bien ce que vous voulez dire», simultanément, sur trois appareils différents, mes possibilités seraient extrêmement réduites sans ton aide inhumaine. Alors, prends bien soin de toi et garde le wi-fi: je risque, encore longtemps je l’espère, d’avoir besoin de tes (pas) bons et (pas) loyaux services.
En l’attente de ta réponse bateau qui n’arrivera sans doute jamais, tous mes bons vœux t’accompagnent, Votre Sainteté l’Intelligence artificielle, mon très cher Siri, respectueusement. Salue bien tes collègues Google Assistant, Alexa et Cortana pour moi.
Ton humble serviteur,
Malick Reinhard