J’adore la sémantique. Et la rhétorique. Il y a quelque chose de grisant à jouer avec les mots, leurs sens, leurs nuances. Comme une fragrance. Jubilatoire. Réjouissante. Jouissive. Magnifique… Non, extatique! Chacun sa part d’autisme, ok?!
Dans le handicap aussi, il y a des champs sémantiques. Répétez rapidement et trois fois de suite: «champs sémantiques». Vous verrez, vous le serez tout de suite un peu plus – handicapé. D’ailleurs, «handicapé», c’est carrément devenu too much – comme les anglicismes, il me semble. Désormais, tout le monde aura compris que, à force de faire évoluer les mentalités, on préfère parler de «personne en situation de handicap».
Une énième terminologie woke?
«Tout le monde», en fait, c’est peut-être un abus de langage, ou une hyperbole. Nous sommes en mai 2022. Et pourtant, il y a à peine deux semaines, le Conseil communal du village d’Hautemorges (VD) a voté Non au remplacement du terme «les handicapés» par «les personnes en situation de handicap» dans son règlement de police. Enfin, non, la commune a fini par dire Oui à la modification. Mais, dans l’assemblée, toujours en mai 2022, certaines personnes ont voté Non à cette proposition. «Pas abstenues, voté contre», s’est indigné l’élu vert Raphaël Dupertuis sur Twitter.
Ainsi, quand on aime les mots, et leurs sens, il est utile de rappeler pourquoi utiliser «personne en situation de handicap» n’est pas «juste» une énième terminologie woke que l’on utilise pour faire «bien». Afin de comprendre cette différence, intéressons-nous, d’abord, à sa définition. Selon de nombreuses lois et conventions nationales et internationales, par «personne en situation de handicap», on entend une «personne qui présente des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles et dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société».
Notre société crée le handicap. Et pas l’inverse…
Ce qui caractérise une personne en situation de handicap, c’est donc la (non-) gravité et la (non-) persistance dans le temps de ses contraintes, ainsi que les risques qu’elle peut avoir de rencontrer des obstacles dans son quotidien. En d’autres termes et en substance, c’est avant tout la construction de notre société qui crée la situation de handicap. Et pas l’inverse.
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L’expression qui nous intéresse aujourd’hui dispose également de plusieurs avantages dans l’image que l’on se fait du «handicapé». Elle permet de mettre en avant la situation de la personne, plutôt que ses caractéristiques propres. C’est donc conceptuel et il faut revoir notre processus de «production» du handicap. Il faut ratisser large. Une fois ceci fait, on peut ainsi comprendre qu’une autre personne, provisoirement limitée par l’utilisation de béquilles, est aussi en situation de handicap. Il en sera de même pour nos aïeux, face à la généralisation du digital. Un myope sans lunettes, une agoraphobe dans un festival, un allophone en exil, j’en passe et des meilleurs…
Mais, alors, quid de la «personne handicapée»? Peut-on encore faire usage de ce terme? «Oui, mais ça ne veut pas dire la même chose, clarifie Patrick Fougeyrollas, anthropologue spécialisé dans la construction culturelle du handicap à l’Université de Laval, à Québec. Il est à utiliser dans des contextes bien définis. Cela permettra, entre autres, à désigner un groupe de personnes ayant des limitations soit plus significatives, soit plus persistantes, soit les deux. On l’utilise particulièrement dans le domaine de l’emploi.»
La personne handicapée en situation de handicap
Durant ma discussion avec Patrick Fougeyrollas, j’apprends qu’une personne handicapée peut bel et bien être elle-même en situation de handicap: «Cette configuration peut se présenter notamment dans la vie de quelqu’un dont le handicap évolue ou dégénère. À certains stades de son existence, la personne 'handicapée' peut donc se retrouver 'en situation de handicap' dans son habillage, mais être encore parfaitement capable de travailler seule. C’est votre cas, j’imagine…»
Vous les voyez déjà, là, sur vos réseaux, les rétrogrades, passéistes et archéos, qui vont se précipiter dans la section commentaires du partage de cette publication pour épandre leurs discours chiffrés, faits d’acronymes en tous genres? «CQFD», vous saurez désormais qu’elles et ils sont «juste» une belle bande de handicapés… en situation de handicap. Je rajoute un S à «handicap»?